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CHAPITRE XI — LE PARDON DES PÉCHÉS

CHAPITRE XI

LE PARDON DES PÉCHÉS


"Je crois… le pardon des péchés." "Je reconnais un seul baptême pour la rémission des péchés." Ces mots tombent sans peine des lèvres des fidèles, dans toutes les églises de la Chrétienté, pendant la récitation des Crédos familiers, celui des Apôtres et celui de Nicée. Tes péchés te sont pardonnés. Ces mots reviennent fréquemment dans les propos prêtés à Jésus, et il est à remarquer que cette expression accompagne constamment l'exercice de Ses facultés curatives, la délivrance de la maladie physique et celle de la maladie morale étant par conséquent simultanées. Un jour même, Jésus voulut démontrer par la guérison d'un paralytique qu'Il avait le droit de déclarer à un homme : Tes péchés te sont pardonnés 310. Ailleurs, il dit d'une femme : Ses péchés, qui sont nombreux, lui sont pardonnés, car elle a beaucoup aimé 311. Dans le célèbre traité Gnostique, la Pistis Sophia, nous trouvons l'affirmation que la rémission des péchés est le but même des Mystères
"Auraient-ils été pécheurs, auraient-ils vécu dans tous les péchés et toutes les iniquités dont Je vous [229] ai parlé, néanmoins, s'ils se convertissent et se repentent et font acte de renoncement, comme Je viens de vous le décrire, accordez-leur les mystères du royaume de lumière ; ne les leur cachez en aucune façon. C'est à cause du péché que J'ai apporté ces mystères dans le monde, pour la rémission de tous les péchés commis depuis le commencement. Voilà pourquoi Je vous ai dit autrefois. – Je ne viens pas appeler les justes. J'ai donc apporté les mystères afin de remettre à tous les hommes leurs péchés et les faire entrer dans le royaume de lumière. Car ces mystères, sont le don du premier mystère, celui de l'effacement des fautes et des iniquités de tous les pécheurs 312."

310 Saint Luc, VII, 47, 48.
311 Ibid., VII, 47.
312 Trad. angl. de G. R. S. MEAD, loc. cit., liv. II, §§ 260-261.

Dans ces mystères, c'est le baptême qui remet les péchés, comme le reconnait d'ailleurs le Crédo de Nicée. – Jésus dit : "Écoutez encore et Je vous dirai, en vérité, à quel type se rattache le mystère du baptême qui remet les péchés… Lorsqu'un homme reçoit les mystères des baptêmes, ces mystères deviennent un feu puissant, d'une violence et d'une sagesse extrêmes, qui consume tous les péchés ; ils pénètrent dans l'âme d'une manière occulte et dévorent tous les péchés que l'imposteur spirituel y a implantés." Jésus complète la description de ce processus purificateur, puis il ajoute : "Telle est la manière dont les mystères des baptêmes remettent les péchés et toute iniquité 313." [230]
Sous une forme ou sous une autre, le "pardon des péchés" se retrouve dans la plupart des religions, sinon dans chacune. Or, toutes les fois que se présente une semblable unanimité, nous pouvons conclure sans crainte, en vertu d'un principe dont j'ai parlé plus haut, qu'elle a pour base un fait naturel. Cette idée du pardon des péchés réveille, d'ailleurs, un écho dans l'âme humaine. Nous constatons que, pour certaines personnes, le sentiment de leurs fautes est une souffrance ; mais qu'elles rejettent le poids du passé, qu'elles se dégagent des liens du remords qui les enserre, et elles s'avancent, le coeur joyeux ; leur regard, naguère perdu dans les ténèbres, voit briller la lumière, il leur semble qu'un fardeau soit enlevé de leurs épaules, qu'une entrave leur soit ôtée. Le "sentiment du péché" a disparu et, avec lui, la souffrance qui les rongeait. Dès lors elles connaissent le printemps de l'âme, la parole souveraine qui renouvèle toutes choses ; un hymne de reconnaissance jaillit de leur âme ; le temps où chantent les oiseaux est arrivé ; il y a de la joie parmi les Anges. Cette transformation, assez fréquente du reste, ne laisse pas d'être difficile à expliquer, lorsque la personne qui l'éprouve en elle-même ou qui la constate chez autrui se demande : Que s'est-il donc passé ? D'où vient cette modification de conscience dont les effets sont aussi manifestes ?

313 Loc. cit., §§ 299, 300.

Les penseurs contemporains sont pénétrés de l'idée que tous les phénomènes reposent sur des lois invariables ; ils ont étudié le mécanisme de ces lois et sont, par suite, disposés à rejeter toute théorie du pardon des péchés, la déclarant en contradiction avec [231] cette vérité fondamentale. Les savants, persuadés que la loi est inviolable, rejettent de même toute notion qui s'en écarte. Les uns et les autres ont raison de s'appuyer sur l'action infaillible de la loi, car la loi n'est que l'expression de la Nature divine qui ne présente ni variation, ni ombre de changement. Quelle que soit notre manière d'envisager le pardon des péchés, elle doit s'accorder avec cette idée fondamentale, aussi nécessaire dans le domaine moral que dans celui des sciences physiques. Plus de stabilité possible, si nous ne pouvions nous reposer en toute sureté dans les bras éternels de la Bonne Loi.
Mais poussons notre examen plus loin ; nous serons frappés par ce fait que les Instructeurs qui ont le plus insisté sur le caractère invariable de la loi proclament en même temps avec énergie le pardon des péchés. Jésus dit : Au jour du Jugement, les hommes rendront compte de toute parole mauvaise qu'ils auront dite 314. Et pourtant il dit ailleurs : Prends courage, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés 315. De même, la Bhagavad Gîtâ nous dit constamment que l'action nous lie. "Le monde est lié par l'action 316." "L'homme retrouve un corps offrant les mêmes caractères que celui qu'il avait précédemment 317." Et cependant il dit dans un autre passage : "Si le plus pécheur des hommes m'adore de tout son coeur, lui aussi devra être considéré comme juste 318." Quel que soit le sens attaché à [232] l'expression "pardon des péchés" dans les différentes Écritures il semble donc que cette idée ne soit pas, pour Ceux qui connaissent le mieux la loi, en contradiction avec la séquence infaillible de cause à effet.
D'ailleurs, si nous examinons, même sous sa forme la plus élémentaire, l'idée qu'on se fait du pardon des péchés, nous constatons que les croyants n'entendent point par-là que le pécheur pardonné doive, ici-bas, échapper aux conséquences de son péché. L'ivrogne repenti, dont les péchés sont pardonnés, souffre évidemment encore d'ébranlement nerveux, de ses fonctions digestives affaiblies et, au moral, de la méfiance que lui témoignent les hommes qui l'entourent. On trouve, en dernière analyse, que les déclarations concernant le pardon s'appliquent aux rapports entre le pécheur et Dieu et aux châtiments posthumes que le Crédo de celui qui parle attache au péché non pardonné ; elles n'impliquent point la possibilité d'échapper, sur la terre, aux conséquences du péché. Les Chrétiens ont perdu la foi dans la réincarnation et, avec elle, toute manière raisonnable d'envisager la continuité de l'existence, soit dans ce monde, soit dans les deux mondes qui lui succèdent. De là sont nés certains écarts d'imagination et certaines affirmations insoutenables, par exemple l'idée blasphématoire et terrible que l'âme humaine souffre de tortures éternelles pour des péchés commis pendant une courte vie terrestre. Pour échapper à ce cauchemar, les théologiens ont conçu l'idée d'un pardon qui délivre le pécheur de son affreux emprisonnement dans un enfer perpétuel. Ce pardon ne lui épargne pas ici-bas les conséquences de sa mauvaise conduite ; [233] jamais cette thèse n'a été soutenue ; il n'est pas supposé non plus, sauf dans les Églises Protestantes modernes, lui épargner, dans le Purgatoire, après la mort physique, les souffrances prolongées qui sont l'effet direct de son péché. La loi suit son cours, sur la terre comme dans le Purgatoire, et, dans ces deux mondes, l'affliction suit le péché comme les roues suivent les boeufs d'un attelage. Le pardon des péchés permet d'échapper uniquement aux tortures éternelles, cauchemar n'existant que dans l'obscure imagination des croyants. Nous nous demandons même si les théologiens, après avoir déclaré que l'enfer perpétuel était le monstrueux résultat d'erreurs passagères, n'ont pas dû trouver un moyen d'échapper à un sort incroyable et injuste et déclaré pour cela l'existence d'un pardon tout aussi incroyable et tout aussi injuste. Les systèmes élaborés par la pensée humaine, sans tenir compte des faits sur lesquels repose la vie, font souvent tomber le penseur dans des fondrières intellectuelles dont il ne peut se tirer sans gagner péniblement, à travers la fange, une direction opposée. Un pardon inutile est venu faire contrepoids à un enfer éternel et inutile et remettre en équilibre les balances de la justice. Mais laissons là les aberrations des esprits encore ignorants et rentrons dans le domaine des faits et du bon sens.

314 S. Matth., XII, 36.
315 Ibid., IX, 2.
316 Loc. cit., III, 9.
317 Ibid., VI, 43.
318 Ibid., IX, 30.

Un homme commet-il une mauvaise action, il s'impose, par là, un chagrin, car le chagrin est toujours la plante qui nait de la semence du péché. On pourrait dire, plus exactement, que le péché et le chagrin sont simplement les deux faces d'un même acte, et non deux faits indépendants. Tout objet présente deux [234] faces, dont l'une est postérieure et invisible et l'autre antérieure et visible. De même, tout acte a deux faces qui, dans notre monde physique, ne peuvent être vues en même temps. Dans d'autres mondes, le bien et le bonheur, le mal et le chagrin, sont visiblement les deux faces d'un même principe. C'est ce qu'on nomme le karma. Ce terme commode et aujourd'hui fréquemment employé est emprunté au sanscrit ; il exprime cette connexion ou identité et signifie littéralement "action" ; de là le nom, donné à la souffrance, de conséquence karmique du mal. Le résultat, "l'autre face", peut ne point s'affirmer immédiatement au cours de l'incarnation présente, mais tôt ou tard il fera son apparition, et le pécheur sentira douloureusement sa griffe s'appesantir sur lui. Un résultat se produisant dans le monde matériel, un effet éprouvé par notre conscience physique, sont l'aboutissement final d'une cause mise en jeu dans le passé ; c'est le fruit devenu mûr ; c'est à la fois la manifestation et l'épuisement d'une force déterminée. Cette force se dirige du centre vers la périphérie, et ses effets sont déjà épuisés dans le mental quand ils apparaissent dans le corps. La manifestation physique, son apparition dans le monde matériel, prouvent qu'elle a fait son temps 319. Si à ce moment le pécheur, ayant épuisé le karma de sa faute, rencontre un Sage capable de voir le passé et le présent, l'invisible et le visible, ce Sage pourra constater la terminaison du [235] karma en question et, la loi étant satisfaite, il déclarera libre le captif. L'épisode du paralytique, dont nous avons déjà fait mention, semble offrir un exemple de ce genre. Une maladie physique est l'expression ultime d'une mauvaise action commise dans le passé ; le processus mental et moral touche à son terme, et l'homme qui souffre est amené, par l'intermédiaire d'un Ange serviteur de la loi, dans la présence d'un Être susceptible de soulager la maladie physique en mettant en jeu une énergie supérieure. Tout d'abord, l'Initié déclare que les péchés du malade sont pardonnés ; puis il justifie sa clairvoyance par ces mots pleins d'autorité : Lève-toi, prends ton lit et va-t'en dans ta maison 320. Dans le cas où aucun Initié n'eût été présent, la maladie se fût dissipée sous l'action réparatrice de la nature, sous l'influence d'une force mise en jeu par les Intelligences Angéliques invisibles, qui sont, dans ce monde, les agents de la loi karmique. Quand un Être plus exalté se charge de ce rôle, la force est plus rapide et plus irrésistible, et les vibrations physiques sont immédiatement remises à l'unisson avec l'harmonie qui constitue la santé. On peut dire que tout pardon des péchés accordé dans ces conditions présente un caractère déclaratoire. Le karma étant épuisé, "celui qui connait le karma" déclare le fait. Cette assurance produit un soulagement mental comparable au soulagement éprouvé par un prisonnier, quand l'ordre d'élargissement est donné, ordre qui fait partie de la loi au même titre que la sentence jadis prononcée. L'homme qui apprend ainsi [236] l'épuisement d'un mauvais karma éprouve cependant un soulagement plus profond, car il eût été incapable, par lui-même, d'en prévoir le terme.

314 S. Matth., XII, 36.
315 Ibid., IX, 2.
316 Loc. cit., III, 9.
317 Ibid., VI, 43.
318 Ibid., IX, 30.
319 D'où la douceur et la patience dont souvent font preuve les malades d'une nature très pure. Ils ont appris la leçon de la souffrance et ne font pas naitre de mauvais karma nouveau, en s'irritant contre les effets du mauvais karma qui s'épuise actuellement.
320 Saint Luc, V, 24.

Ces déclarations de pardon – remarquez-le bien – sont constamment suivies de l'observation que le malade a fait preuve de "foi" ; en d'autres termes, le véritable agent déterminant l'épuisement du karma est le pécheur lui-même. Dans le passage relatif à la femme qui menait une vie déréglée, nous trouvons réunies les deux déclarations : Tes péchés te sont pardonnés… Ta foi t'a sauvée ; va en paix 321. – La foi – c'est le jaillissement, dans l'âme humaine, de sa propre essence divine cherchant à retrouver l'océan divin qui lui est semblable. Fait-elle irruption à travers la nature inférieure qui l'emprisonne comme la source jaillit à travers les mottes de terre qui la recouvrent, la force ainsi libérée agit sur la nature humaine toute entière et en accorde les vibrations avec les siennes. L'homme ne devient conscient de ce travail qu'à l'heure où la croute karmique du mal est ainsi brisée. La certitude joyeuse de l'existence, en lui-même, d'une puissance naguère ignorée, dont la naissance coïncide avec l'épuisement du karma mauvais, entre pour une large part dans le bonheur, le soulagement et la force nouvelle dus au sentiment que le péché est "pardonné" et que ses conséquences ont pris fin.
Cela nous amène au coeur de notre sujet : je veux parler de cette transformation qui s'opère dans la nature intérieure de l'homme, à l'insu de cette partie [237] de la conscience qui agit dans les limites cérébrales, jusqu'au moment où elle se manifeste soudainement dans ces limites, venant on ne sait d'où, éclatant "comme un coup de tonnerre dans le ciel bleu", jaillissant d'une source inconnue. Comment s'étonner que l'homme, stupéfait de cette invasion, ignorant tout des mystères de sa propre nature et de l'existence du "Dieu intérieur" qui est véritablement lui-même, croie recevoir de l'extérieur ce qui vient en réalité du dedans et, inconscient de sa propre Divinité, ne puisse concevoir dans le monde que des Divinités extérieures à lui-même. Or, cette erreur est d'autant plus facile à commettre que l'impact final, la vibration qui brise les murs de sa prison, est souvent la réponse de la Divinité qui est dans l'âme d'un autre homme ou de quelque Être surhumain, la réponse aux appels pressants de la Divinité enfermée en lui-même. Souvent l'homme est conscient de cette aide fraternelle, sans comprendre qu'il l'a provoquée lui-même par le cri de sa nature intérieure. Une explication, donnée par une personne plus instruite que nous, peut élucider une difficulté intellectuelle, et cependant c'est notre propre intelligence qui, ainsi aidée, arrive à la solution ; une parole d'encouragement prononcée par une personne plus pure que nous peut nous donner la force d'accomplir un effort mental dont nous nous supposions incapables et cependant l'effort est nôtre. Un Esprit plus élevé que nous et plus conscient de sa Divinité peut, de même, nous aider à déployer notre propre énergie divine, bien que ce soit ce déploiement d'énergie qui nous élève à un plan supérieur. Tous, nous sommes unis, par les [238] liens d'un service fraternel, à ceux qui sont au-dessus comme à ceux qui sont au-dessous de nous. Et nous hésiterions à admettre que nous, si souvent à même d'aider, dans leur développement, des âmes moins avancées que la nôtre, nous puissions recevoir une assistance analogue de Ceux qui nous dominent de si haut, et que leur aide puisse accélérer considérablement nos progrès !

321 Saint Luc, VII, 48, 50.

Parmi les transformations qui s'opèrent dans les profondeurs de la nature humaine à l'insu de la conscience inférieure, il en est qui affectent l'exercice de la volonté. L'Égo jette un regard en arrière sur son passé, en résume les résultats et, souffrant des fautes commises, décide qu'il changera d'attitude, décide qu'il changera le mode de son activité. Le véhicule inférieur continue, sous l'influence des impulsions anciennes, à s'emporter dans des directions qui l'amènent à se heurter violemment contre la loi. L'Égo n'en décide pas moins qu'il suivra une ligne de conduite différente. Jusqu'alors il a cédé à l'attrait du principe animal ; les plaisirs du monde inférieur l'ont tenu enchainé. Maintenant il se tourne vers le but véritable de l'évolution et prend la résolution de travailler pour des joies plus hautes. Il voit le monde entier en voie d'évolution et comprend qu'en se mettant en travers de ce courant formidable, il sera jeté de côté, cruellement meurtri ; il réalise, par contre, qu'en suivant le flot, il sera emporté sur son sein et amené jusque dans le port qu'il désire atteindre.
L'Égo se décide donc à transformer sa vie, revient délibérément sur ses pas, fait face en arrière. Cet effort qu'il tente pour amener sa nature inférieure dans la direction nouvelle a pour conséquence immédiate beaucoup de souffrances et de troubles. Les habitudes contractées sous l'influence des idées anciennes résistent obstinément à l'action des idées nouvelles, et un conflit cruel s'élève. Petit à petit la conscience qui se manifeste à travers le cerveau accepte la décision prise sur les plans supérieurs ; alors nait en elle, par le fait même qu'elle s'incline devant la loi, le "sentiment du péché". La conviction qu'on a fait fausse route devient plus profonde ; le remords s'empare du mental ; des efforts mal réglés sont faits pour devenir meilleur, mais se brisent contre les vieilles habitudes, jusqu'à ce que l'homme, accablé de douleur, songeant au passé, désespéré en voyant le présent, reste plongé dans des ténèbres sans issue. Enfin, la souffrance toujours croissante arrache à l'Égo un cri suppliant, et une réponse lui est renvoyée des profondeurs intimes de sa propre nature, par le Dieu qui vit en lui, comme dans tout ce qui l'entoure, par la Vie de sa Vie. Il abandonne donc la nature inférieure, qui lui fait obstacle, et se tourne vers la nature supérieure, qui est essentiellement lui-même, laisse le moi séparé qui le torture, pour le MOI unique qui est le Coeur de tous.
Or, changer ainsi d'objectif, c'est se détourner de l'obscurité pour faire face à la lumière. La lumière n'avait jamais cessé de briller, mais l'homme lui tournait le dos. Maintenant il voit le soleil, dont l'éclat réjouit son regard et inonde de joie tout son être. Son coeur était fermé, mais s'ouvre maintenant sans réserve, et l'océan de la vie, semblable à une marée puissante, y pénètre et l'inonde de bonheur. [240] Les vagues d'une vie nouvelle se succèdent et le soulagent. La joie de l'aube rayonne. Il comprend que son passé ne se répètera plus, car le chemin qu'il est décidé à suivre le mène dans des régions plus hautes ; il ne se soucie point de la souffrance que le passé peut lui léguer encore, sachant que le présent ne transmettra plus à l'avenir d'amertumes semblables.
Le sentiment de paix, de joie, de liberté, voilà ce qui a été appelé le résultat du pardon des péchés. Les obstacles opposés par la nature inférieure au Dieu du dedans et au Dieu du dehors sont renversés, et cette nature a peine à comprendre que la transformation se soit opérée en elle-même et non dans l'Âme Suprême 322. Un enfant repousse la main maternelle qui voudrait le guider ; il tourne son visage vers la muraille, se croit peut-être seul et oublié, jusqu'à ce qu'il se retourne en poussant un cri et se retrouve entouré des bras protecteurs qui étaient restés là, tout près de lui. Tel l'homme, dans sa présomption, repousse les bras protecteurs de la Mère divine des mondes, mais s'aperçoit, en regardant en arrière, qu'il n'a jamais quitté ce sûr abri ; quels que soient ses écarts, il n'échappe pas à cet amour vigilant.
Le passage de la Bhagavad Gîtâ, déjà cité en partie, nous donne l'explication de cette transformation qui amène "le pardon". – "Le plus grand des pécheurs m'adore-t-il sans réserve, lui aussi doit être regardé comme un juste, car la résolution qu'il a prise est [241] bonne." – Cette bonne résolution amène un résultat inévitable : "Bientôt il devient soumis et trouve la paix 323."

322 OVERSOUL… "Cette unité, cette âme suprême dans laquelle chaque être est contenu et unifié, uni aux autres…" (Emerson, trad. Maeterlink. (NDT))
323 Loc. cit., IX, 31.

Le péché consiste essentiellement à opposer la volonté de la partie à la volonté du tout, le principe humain au principe Divin. Quand le changement s'est opéré, quand l'Égo unit sa volonté séparée à la volonté qui agit dans le sens évolutif, alors, dans la région où vouloir et agir ne font qu'un, où les effets se montrent inséparables des causes, l'homme est "regardé comme un juste". Or, des effets correspondants se manifestant invariablement dans les plans inférieurs, "bientôt il devient soumis" en action, après l'être devenu en volonté. Ici-bas, nous jugeons d'après les actions, feuilles mortes du passé ; là-haut le jugement porte sur les volontés, semences en germination d'où sortira l'avenir. Voilà pourquoi, dans le monde inférieur, le Christ exhorte toujours les hommes à ne point juger 324.
Des défaillances sont possibles, après même que l'homme se soit franchement engagé dans la nouvelle direction et que celle-ci est devenue pour lui une habitude. Pistis Sophia y fait allusion, dans un passage où les disciples demandent à Jésus si un homme peut, en se repentant, être admis de nouveau dans les Mystères après une défaillance. La réponse de Jésus est affirmative, mais Il déclare qu'à un certain moment la réadmission devient impossible, sauf pour le Mystère suprême, qui pardonne toujours. – "Amen, amen, vous dis-je ; quiconque, après avoir reçu les mystères du premier mystère, retombera et commettra [243] (jusqu'à) douze transgressions, mais se repentira ensuite douze fois, en invoquant le mystère du premier mystère, sera pardonné. Mais s'il commet plus de douze transgressions, s'il retombe et pèche encore, il n'obtiendra pas indéfiniment la rémission de sa faute de manière à pouvoir rentrer dans son mystère, quel qu'il soit. Il ne lui appartient plus de se repentir, à moins qu'il n'ait reçu les mystères de cet ineffable qui toujours a compassion et remet les péchés aux siècles des siècles 325."
Ces relèvements après les défaillances, avec leur "rémission des péchés", nous les constatons dans la vie humaine, surtout dans les phases avancées de l'évolution. Tel homme voit une occasion mise à sa portée ; il s'assurerait, en la saisissant, des possibilités de développement nouvelles ; mais il n'y parvient pas et ne peut se maintenir au niveau qu'il avait atteint et qui lui avait valu cette occasion de s'élever encore. Pour le moment, tout progrès lui est interdit ; il est obligé de réunir ses forces et de parcourir de nouveau, avec lassitude, le terrain déjà gagné, pour remonter enfin et reprendre pied dans la position d'où il avait glissé. Alors seulement se fait entendre une douce Voix ; elle lui annonce que le passé n'est plus, que sa faiblesse s'est changée en force, que le portail s'ouvre de nouveau devant lui.

324 Saint Matth., VII, 1.
325 Loc. cit., 1. II, § 305.

Ici encore le "pardon" n'est que la déclaration, faite par une autorité compétente, de la situation réelle, la permission d'entrer accordée à ceux qui en sont dignes, refusée aux autres. Supposez qu'un homme ait failli ; cette déclaration lui donnera l'impression d'être "un baptême pour la rémission des péchés" et lui rendra le privilège perdu par sa propre faute. Il en résultera certainement pour lui de la joie et de la paix, la disparition d'une accablante tristesse, le sentiment que les entraves du passé ont enfin été détachées de ses pieds.
Reste une vérité qu'il ne faut jamais oublier : nous vivons dans un océan de lumière, d'amour et de béatitude qui nous entoure sans cesse – la Vie de Dieu. Semblable au soleil inondant la terre de sa clarté, cette Vie éclaire toutes choses. Seulement, ce Soleil-là ne se couche jamais. Par notre égoïsme, notre sècheresse de coeur, notre intolérance et notre impureté, nous empêchons la lumière de pénétrer notre conscience ; elle n'en brille pas moins sur nous, nous baigne de toutes parts et exerce sur les murailles élevées par nous-mêmes une pression douce, mais, en même temps, forte et persistante. L'âme renverse-t-elle ces remparts, la lumière y pénètre, l'âme se trouve inondée de Soleil et respire avec bonheur l'atmosphère céleste car le Fils de l'Homme est dans le ciel, bien qu'il ne le sache point, et les brises d'en haut viendront caresser son front s'il l'expose à leur souffle. Toujours Dieu respecte l'individualité humaine ; Il ne pénètre notre conscience que le jour où cette conscience s'ouvre pour Le recevoir. Voici, je me tiens à la porte et je frappe 326 : telle est l'attitude de toutes les Intelligences du monde spirituel vis-à-vis de l'âme qui se développe. Si Elles attendent que la porte s'ouvre, ce n'est pas faute de sympathie, mais un effet de Leur profonde sagesse. [244]
L'homme n'est soumis à aucune contrainte ; il est libre ; il n'est pas esclave, mais potentiellement un Dieu ; sa croissance ne saurait être forcée ; elle doit procéder d'une volonté intérieure. Comme l'enseignait Giordano Bruno, Dieu n'influence l'homme que lorsque sa volonté s'y prête. Et pourtant Dieu est "partout, et prêt à secourir tous ceux qui font appel à Lui par un acte de leur intelligence et se donnent à Lui sans réserve, avec amour et spontanément 327". – "La puissance divine qui est tout en tous ne s'offre ni ne se refuse ; c'est nous qui l'assimilons ou la rejetons 328." – "Elle s'absorbe rapidement, comme la lumière solaire, sans hésitation, et se manifeste pour quiconque se tourne vers elle et s'ouvre à son influence… Quand les fenêtres sont ouvertes, le soleil entre instantanément ; il en est de même dans les cas dont je parle 329."
C'est donc au sentiment du "pardon" qu'est due la joie qui remplit le coeur, au moment où la volonté s'harmonise avec le Divin, où, l'âme ayant ouvert ses fenêtres, le soleil d'amour et de lumière se répand en elle, où la partie sent qu'elle appartient à l'ensemble, où la Vie Unique fait tressaillir toutes les veines. Telle est la vérité sublime qui donne de la valeur aux expositions les plus naïves du "pardon des péchés" et leur permet souvent, malgré leur insuffisance au point de vue intellectuel, d'amener les hommes à une vie pure et spirituelle. Telle est la vérité montrée dans les Mystères Mineurs.

326 Apoc., III, 20.
327 G. BRUNO, trad. L. Williams, The Heroic Enthusiasts, vol. I, p. 133.
328 Ibid., vol. II, pp 27, 28.
329 Ibid., pp. 102, 103.

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