LE MONDE DE DEMAIN Par Annie BESANT - 1909

LE RÔLE DE LA THÉOSOPHIE DANS LA PROCHAINE CIVILISATION

LE RÔLE DE LA THÉOSOPHIE DANS LA PROCHAINE CIVILISATION


Depuis longtemps déjà, je viens en Angleterre chaque année, ou tous les deux ans, pour répandre, en cette contrée, et dans la mesure du possible, les vérités de cette Sagesse antique que nous appelons aujourd'hui par son nom grec de : Théosophie. Cette fois, mon devoir consiste spécialement à semer, dans la capitale de notre royaume, quelques grands principes concernant les transformations en cours dans la civilisation moderne et à attirer en même temps l'attention des penseurs sur les signes qui, à l'horizon, nous entourent, et nous indiquent la fin d'un cycle comme le déclin d'une civilisation. J'avais cru ne pouvoir m'adresser qu'aux quelques milliers d'auditeurs venus pour m'entendre chaque dimanche dans une des salles de Londres, mais, grâce à la [297] généreuse amabilité du Christian Commonwealt 12, ces conférences ont été largement répandues.


* * *


Je choisirai un point déterminé, dans les sujets sur lesquels je me suis étendue assez longuement, avec l'intention de vous indiquer le rôle que la Théosophie est appelée à jouer dans la prochaine civilisation, de vous montrer les travaux auxquels elle se livre pour préparer la naissance de la race future. Bien des détails que j'ai expliqués dans mes autres conférences ne pourront être ici qu'effleurés, mais vous devez vous rappeler qu'en considérant l'évolution de l'homme, celui-ci se trouve, à des périodes déterminées, limité et dominé par certains et différents attributs de sa conscience ; c'est ainsi, par exemple, que nous voyons dominer dans l'enfance : l'émotion, dans l'âge adulte : l'intelligence, dans la vieillesse : la sagesse. De même, si nous embrassons d'un regard les [298] civilisations du passé et les races humaines, nous constatons les mêmes processus, la même succession de phénomènes. Cela peut être pour nous un indice de ce que sera l'avenir.

12 Important journal anglais, organe du progrès religieux et social qui publia, in extenso, toutes ces conférences. Nous en recommandons la lecture aux personnes qui connaissent l'anglais, 133, Salisbury Square-Londres, E. C. (NDT).

Dans la grande race qui précéda la nôtre, la race celtique, qui existe encore, nous remarquons que l'émotion supérieure fut la note dominante, émotion qui se traduisit dans la poésie et les autres arts.
Dans la race teutonne, c'est l'intelligence qui, dans toutes les sphères de son activité, se révèle parmi les peuples rattachés à ce tronc dont notre propre race est une branche.
Cela étant pour le passé et le présent, il n'est pas irrationnel d'envisager le développement de l'humanité au point de vue de sa prochaine caractéristique, du prochain aspect de sa conscience, de l'évolution de la nature spirituelle dans l'homme, évolution qui succède à celle de l'intelligence aussi inévitablement que l'intelligence apparait après l'évolution de l'émotion. Il n'est pas irrationnel d'envisager, dis-je, ce développement au terme duquel se place la couronne de la sagesse et de l'amour universel sur le front de l'humanité. Celle-ci a désormais traversé les phases de l'enfance et de l'adolescence pour s'acheminer [299] définitivement vers la maturité de son évolution. C'est pourquoi nous attendons, pour la prochaine civilisation, l'avènement de la spiritualité dans la religion, la science, l'art et la société. Nous pouvons logiquement prévoir que cette spiritualité unifiera et colorera la civilisation de demain, qu'en religion l'unité s'affirmera de plus en plus, qu'en science nous aurons de nouveaux moyens d'investigation et de nouveaux pouvoirs ; qu'au point de vue moral nous jouirons d'idéaux plus nobles, d'une inspiration plus puissante ; que, dans la société, la spiritualité se révèlera par l'esprit de sacrifice comme base fondamentale de cette société comme par le contrôle de soi-même, la Fraternité, couronnant enfin l'édifice tout entier.
Tels seront, d'après nous, et très brièvement indiqués, les signes distinctifs de la civilisation de demain.
Quel sera le rôle de la Théosophie dans cette civilisation, quelle sera sa place, sa fonction, son devoir ? C'est ce à quoi je me propose de répondre ce soir,


QU'EST-CE QUE LA THÉOSOPHIE ?


Pour ceux qui ne connaissent guère la Théosophie que de nom ou qui l'ont bien mal comprise, – à en juger par les allusions rencontrées dans la presse à son sujet, – il sera peut-être [300] utile de nous poser tout d'abord les questions suivantes :
Qu'est-ce que la Théosophie ?
D'où vient-elle ?
Avant de continuer, répondons rapidement à ces questions.
En fait, comme son nom l'indique, la Théosophie pose, en principe, que l'homme est de nature divine et peut par conséquent apprendre à connaitre Dieu directement. C'est la proclamation de la gnose ancienne contre l'agnosticisme tel que nous l'avons connu dans les dernières années du XIXe siècle.
De plus, c'est un corps de doctrines, doctrines communes à toutes les grandes religions du inonde et qui se trouvent plus ou moins expliquées dans chaque grande religion du passé et du présent. C'est un ensemble d'enseignements, spirituels dans leur essence, universels dans leur expansion, et tendant à conduire l'homme sur le chemin de la perfection à le guider dans la vie, à l'illuminer à l'heure de la mort. Elle ne s'occupe pas de rites, de cérémonies ou d'enseignements religieux qui ne soient pas universels et susceptibles d'être [301] rencontrés dans tous les cultes. Elle explique les particularités de chaque religion, montre le sens occulte que renferment souvent le cérémonial, les rites, les prières et les symboles de toutes les croyances. Non seulement elle les explique mais elle les illumine et en augmente la valeur.
Elle n'incite pas à l'abandon de sa propre religion pour une autre, elle conseille plutôt d'y rechercher les profondes vérités communes à toutes les fois religieuses. Loin donc de prêcher la guerre dans les questions religieuses, elle fait de celles-ci des éléments d'harmonie et non des éléments de discorde, élevant haut l'étendard de paix et non celui du combat. En cherchant les points essentiels de chaque religion, en les rassemblant et en les soumettant à la critique des hommes, elle justifie bien son nom de Sagesse Antique, source unique de toutes les grandes religions.
Telle est, très sommairement exposée, la définition de la Théosophie : une gnose en ce qui touche les rapports de l'homme avec Dieu, une déclaration de principes où elle affirme la communauté des vérités spirituelles fondamentales pour toutes les grandes religions du monde je parlerai de son [302] rôle dans la religion future, je mentionnerai successivement toutes ses doctrines et vous verrez qu'on les rencontre dans toutes les Écritures du monde, dans toutes les grandes religions, sans exception. J'ai voulu auparavant établir catégoriquement ce qu'est la Théosophie, afin de dissiper, si possible, les nuages que l'ignorance et les mauvaises intentions ont amoncelés sur elle.


* * *

Sachant que la prochaine civilisation sera spirituelle et que la Théosophie est appelée à y jouer un rôle défini, permettez-moi maintenant de vous tracer la nature de ses travaux, comment elle prépare cette race de demain et en hâte la venue. J'insiste sur le mot : préparer, car, effectivement, nous préparons le terrain, convaincus que nous sommes, qu'à chaque religion correspond une civilisation dont le caractère s'adapte à celui de cette religion ; nous préparons parce que nous croyons à la naissance de chaque nouvelle civilisation, un grand instructeur apparait dans le monde pour donner à cette civilisation la première impulsion, fonder la religion qui la vivifiera. Or, en attendant [303] la prochaine civilisation, nous attendons par conséquent aussi la manifestation d'un grand Être, d'une Instructeur divin.


D'OÙ VIENT-ELLE ?


À la question : qu'est-ce que la Théosophie ? ai-je dit, on peut ajouter :
D'où vient-elle ?
La Théosophie est l'une des dernières impulsions, je ne dis pas la dernière, qui, les unes après les autres, ont contribué à fonder les grandes religions du monde. Ces impulsions viennent toujours d'une puissante
Fraternité d'Instructeurs ayant eux-mêmes fondé des religions sous la haute direction de l'Instructeur suprême qui les dirige, les guide, les inspire ; grandiose Fraternité d'Instructeurs qui, de temps à autre, apparaissent dans le monde pour donner une religion, préparer les bases d'une civilisation, Instructeurs qui se sont manifestés dans le passé et se manifestent encore dans le siècle présent.
Toujours et toujours les mêmes choses se répètent, et toute nouvelle civilisation est sans cesse précédée d'une nouvelle impulsion spirituelle.


LA FRATERNITÉ DES RELIGIONS


Cette fois cependant, cette impulsion diffère [304] des autres en ce sens qu'elle ne fonde pas de religion, n'élève aucune barrière, ne fait aucune distinction entre les croyants et les non-croyants, ne fait aucun prosélytisme, son seul but étant d'éclairer. Ainsi que je viens de le dire, la Théosophie s'adresse en messagère de Paix à toutes les religions, ne s'applique pas à écarter de leur foi ceux que la naissance a placés sous l'égide de telle ou telle religion. Aussi son premier travail, en vue de la venue de la prochaine civilisation, consiste-t-il à proclamer La Fraternité des Religions, sans en détruire aucune, sans diminuer la valeur d'aucune d'entre elles, mais en s'efforçant de les rapprocher, de faire cesser la rivalité qui les sépare pour que chaque religion puisse reconnaitre sa parenté avec les autres, toutes devenant ainsi une grande famille dont les membres ne combattront plus entre eux. En outre, elle apporte, à cette fin, la connaissance des faits dont on s'est servi contre la religion alors qu'on devrait s'en servir pour la défendre.
Ceux d'entre nous qui sont d'un certain âge peuvent se rappeler que dans les dernières [305] années du XIXe siècle apparut une nouvelle science : la Mythologie comparée. Vous devez vous rappeler comment cette science prit rapidement de l'importance. En fouillant le passé et le présent elle s'efforça de prouver que chaque religion naquit de l'ignorance et ne devint admissible, n'eut de valeur qu'au fur et à mesure qu'elle avança en âge et prit contact avec les peuples cultivés. Elle utilisa les découvertes archéologiques, celles des archéologues, des antiquaires et s'en fit des armes contre la religion dominante, le Christianisme, au moment même où la science était active et puissante. Elle s'empara successivement des doctrines chrétiennes, fit remarquer leurs concordances avec les doctrines d'autres époques, en d'autres civilisations, dans les religions du passé disparues ou non.
Elle recueillit les informations contenues dans les tombeaux mis à découvert en Égypte, rassembla les fragments des connaissances égyptiennes inscrites sur le papyrus, – cette feuille posée sur le corps des momies, – et, de tous ces fragments épars, elle composa l'ouvrage connu sous le nom de Livre des Morts. Elle fit de même pour la Chaldée, pour Ninive, pour les copies des temples égyptiens que [306] des fouilles mirent à découvert au fond du Mexique, temples de plusieurs millions d'années plus anciens que ceux des Aztèques qui en chassèrent les adorateurs et détruisirent ces antiques civilisations ; les Aztèques, eux aussi, existaient depuis des millions d'années lorsque Cortez, à la tête des Espagnols, les traita comme ils avaient traité leurs prédécesseurs.
La Mythologie comparée retrouve, dans ces temples, des enseignements et des idées analogues à ce qu'elle avait déjà recueilli d'autre part ; il en fut de même lorsqu'elle ouvrit les Écritures Chinoises renfermant d'immémoriales traditions ; de même encore en fut-il pour les Écritures de l'Inde, pour les fragments de la tradition de Zoroastre, pour les livres des nations Bouddhistes, Grecques et Romaines. Collationnant alors tous les témoignages ainsi recueillis, elle en fit donc la Mythologie comparée.
Ce fut l'arme la plus dangereuse qui fut jamais dirigée contre le christianisme dogmatique, car cette science était fondée sur des faits vérifiables que nul ne pouvait nier. C'est alors que la Théosophie, qui venait d'apparaitre, eut à intervenir pour témoigner de la vérité [307] des faits, en ajouter de nouveaux, mais, aussi pour faire comprendre qu'au lieu d'une mythologie comparée s'imposait une science des religions comparées, démontrant que tout ce qui a été universellement enseigné est vrai et non pas mensonger, est une réalité et non une illusion. Elle défendit chaque religion en proclamant L'Universalité des croyances religieuses, et fit observer qu'une vérité ne cesse pas d'être vraie sous prétexte qu'elle est ancienne, pas plus qu'une chose fausse ne cesse d'être fausse sous prétexte qu'elle était admise autrefois. Elle justifia la religion en employant les arguments qui servirent à la discréditer, en fit une branche de la Sagesse Antique au lieu d'en faire un produit de l'ignorance épuré par le temps. Elle apporta à cet effet de nombreux arguments sur lesquels je n'ai pas le temps de m'attarder mais que vous pouvez lire dans les livres qui ont été écrits à ce sujet.


L'UNIVERSALITÉ DES CROYANCES RELIGIEUSES


Et maintenant, afin d'utiliser les théories de la Théosophie pour l'édification de la Fraternité des Religions, nous proclamons dans tous les pays, chez les peuples de toutes les [308] religions, l'héritage commun, la vérité spirituelle, les doctrines fondamentales que renferme chaque croyance.
Quelles sont ces doctrines ?
Elles ne sont pas nombreuses mais d'une haute portée. On pourrait les compter sur nos doigts tant le nombre en est peu élevé.
La première grande doctrine que toute religion enseigne c'est l'unité de Dieu ; la seconde enseigne que Dieu est triple dans sa manifestation.
On parle, en philosophie, de trois qualités, de trois attributs ; en religion on les personnifie et l'on pose une Trinité en trois aspects. Philosophiques, ou personnifiés par la pensée religieuse, vous avez toujours :
La Puissance ou Volonté ;
La Sagesse ;
L'Activité.

Vous retrouvez ces trois attributs dans la Trinité de toutes les nations, que vous considériez dans le Christianisme, le Père, c'est-à-dire l'incorporation de la puissance, de la volonté ; le Fils, la Sagesse éternelle ; l'Esprit, l'activité créatrice qui construisit l'univers, soit encore que vous considériez l'Indouisme dans lequel l'ordre est toutefois interverti. Vous y rencontrez alors : le Créateur, et son [309] activité ; le Préservateur, manifestation de la Sagesse ; le Régénérateur, manifestation de la Volonté. Je pourrais ainsi prendre toutes les religions, les unes après les autres, celles qui sont disparues comme celles qui existent encore, et je vous montrerais sans cesse cette Trinité. Ces vérités fondamentales sur Dieu sont universelles : Il est Un dans son essence et triple dans sa manifestation.
À ces deux vérités s'ajoute celle qui se rattache à cette vaste famille des Fils de Dieu, la grande hiérarchie des intelligences spirituelles ou Archanges, anges, êtres brillants, quels que soient les noms que vous leur donniez, c'est la grandiose cohorte des Fils de Dieu au sein de laquelle l'humanité trouve son propre champ d'évolution.
Nous arrivons à cette quatrième grande doctrine : il y a évolution continue de la conscience dans des corps devenant de plus en plus parfaits et permettant aux pouvoirs de la conscience de s'exprimer. Mais ce principe que la science appelle évolution, la religion lui a donné le nom de Réincarnation.
C'est grâce à celle-ci que le germe divin [310] devient l'homme divin lorsque l'évolution est complète.
Viennent ensuite les mondes dans lesquels cette évolution a lieu : le monde intermédiaire, le monde céleste et celui de la matière. L'homme appartient à tous les mondes et peut se mettre en contact avec tous.
Suit une autre grande doctrine, une loi universelle, loi s'appliquant au domaine de l'esprit comme à celui de la matière, et d'après laquelle le caractère se construit comme le monde qui lui est extérieur, loi inchangeable et inviolable que nous pouvons connaitre et utiliser pour nous élever à des idéaux toujours plus nobles.
Nous trouvons enfin, pour terminer l'énumération de ces doctrines communes à toutes les religions, cette croyance que des Instructeurs dirigent l'évolution de l'humanité, inspirent les religions et assurent le progrès spirituel de l'homme.
Telles sont les vérités universelles, ce sont là les enseignements que toutes les religions ont toujours eus et possèdent encore ; aussi trouvons-nous dans leur unité d'enseignement, la réalité de l'existence de cette Fraternité, réalité sur laquelle nous insistons à chaque [311] instant et partout. À quoi bon dès lors abandonner sa foi pour une autre puisque dans cette autre, vous rencontrez les mêmes vérités malgré les différences de cérémonies et de rites ? Cette Fraternité, plus qu'aucune autre religion, nous permet en outre d'apprécier toutes les religions à leur juste valeur.
La lumière solaire se décompose, vous le savez, en sept rayons colorés qui contribuent à la beauté de la nature ; ces rayons peuvent être réfractés d'une certaine manière et recomposer la lumière blanche ; ce phénomène, familier au physicien, peut s'appliquer aux religions :
Les grandes vérités, les grandes vertus sont Une, l'éclatante lumière blanche de la vérité est leur source. L'intelligence, en servant de prisme, disperse cette lumière en faisceaux, les religions apparaissent chacune avec leur couleur puis, recombinées en lumière blanche par le prisme de l'Esprit, elles sont ainsi ramenées à leur unité primitive.
Si vous examinez les religions, vous ne pouvez qu'aboutir aux mêmes conclusions. Chacune d'elles a sa note particulière et sa couleur qu'elle apporte pour la régénération du monde.
Reportez-vous à l'Égypte ancienne, vous [312] trouverez, comme caractéristique de sa religion : la Science. La religion de l'Égypte fut en effet le berceau de la science, science qui, par la suite, se répandit en Europe.
Prenez les Indes, dans l'Extrême-Orient, et vous constaterez que la caractéristique de l'Indouisme présente la nature comme étant divine en toutes choses et le sentiment du Devoir comme devant être la loi de tout individu.
Prenez la Perse du passé ! Sa note fut la Pureté, pureté de pensée, de parole, d'action.
Prenez la Grèce ! Vous la verrez frapper la note de la Beauté, beauté en architecture, en sculpture, en peinture, en philosophie, le Beau étant alors élevé au rang du Vrai et du Divin.
À Rome c'est la Loi, la Loi régissant toutes choses.
Pour le Christianisme enfin c'est la loi du Sacrifice qui contient les promesses de l'avenir.
Dans l'Islamisme c'est une nouvelle proclamation de l'unité divine.
Et toutes ces religions, chacune ayant sa propre note, sa propre couleur, réunies ensemble donneront la Lumière blanche de la Vérité ; frappées ensemble elles donneront un accord parfait.
Une seule ne vous eût pas permis un pareil [313] accord. La pensée humaine est trop étroite et le cerveau ne peut concevoir ce faisceau de plusieurs rayons colorés recomposés en lumière blanche ; c'est pourquoi chaque religion émit tout d'abord ses caractéristiques, comme s'il avait été nécessaire que la Divinité fût épelée mot à mot, par les religions, chacune d'elles donnant une seule lettre, toutes ces lettres ensemble formant le nom du Seigneur.
Si vous envisagez de cette manière la religion, vous devez pouvoir vous rendre compte de sa puissance, voir que sa force tend à l'unité et non à la division, voir que toute religion a quelque chose à apprendre des autres, à donner à chacune une partie des connaissances qui lui sont spéciales, sans penser à s'isoler comme étant la seule vraie. Elle ne rabaisse pas la religion voisine à un niveau inférieur mais la grandit, en en faisant une force d'attraction au lieu d'un élément de dispersion.
Le Christ est-Il amoindri sous prétexte qu'Il recommanda : "Aimez vos ennemis" ! précepte que Bouddha avait lui-même proclamé quelque six cents ans auparavant en disant : "La haine ne tue pas la haine ; seul l'amour tue la haine" ? N'est-il pas merveilleux au contraire [314] de voir Bouddha et le Christ annonciateurs de la Loi Une et éternelle, venant, à des époques et en des nations différentes, apporter la même vérité, enseigner la même doctrine ?
En s'attachant à tous ces points, – traités naturellement en détails lorsqu'ils font l'objet d'une étude particulière, – la Théosophie prépare cette religion spirituelle commune, cette sagesse divine Une, pour que toutes les religions en arrivent à se considérer comme les branches d'un seul et même arbre.
Voilà ce en quoi consistera l'oeuvre de la Théosophie dans la race de demain, c'est là sa mission, et c'est pourquoi il fut dit à ses débuts, qu'elle était destinée à devenir, dans l'humanité, la pierre angulaire de la religion de l'avenir. Cette religion sera cette Fraternité dont j'ai déjà parlé ; toutes les fois religieuses demeureront, car toutes ont leur utilité et leurs caractéristiques spéciales, mais toutes seront ne parce qu'elles enseignent, sous des formes différentes, les mêmes vérités.


LA SCIENCE DANS LA CIVILISATION FUTURE


Envisageons maintenant quel sera le rôle de la Théosophie au point de vue de La science dans la civilisation future.
La science pénètrera dans les domaines [315] supérieurs ; c'est-à-dire qu'elle se trouvera en présence d'une matière plus subtile que celle dont elle s'est occupée jusqu'à présent. Elle connait la matière physique dans ses formes les plus denses ; elle gravira un échelon de plus. Ici git la difficulté, car toutes les méthodes et les appareils employés jusqu'ici pour l'étude de la matière grossière deviennent inutilisables pour l'étude des mondes supérieurs. Souvent je parle de la matière grossière, mais pensez à la délicatesse des instruments qui furent nécessaires pour l'observer. J'ai reçu tout dernièrement un journal scientifique dans lequel un article relatait la découverte d'un appareil capable de mesurer le quarante-millionième d'une inch 13 et cependant cela n'est qu'une mesure grossière comparativement à la subtilité de la matière des mondes supérieurs que la science de demain étudiera.
Quel est, à cet égard, l'apport de la Théosophie ?
Elle donne à l'homme actuel la possibilité de hâter son évolution, de connaitre et diriger ces lois de la nature qui n'agissent que très lentement lorsqu'elles ne sont pas guidées par [316] l'intelligence humaine. Elle apporte et proclame, dans le monde entier, un système d'entrainement par lequel l'homme peut rapidement développer les pouvoirs de sa conscience, développer les organes qui le mettent en contact avec cette matière plus subtile des mondes supérieurs où la science pénètrera bientôt et sur le seuil desquels elle se trouve déjà. Elle indique à tous, les moyens d'évoluer les sens subtils, leur montre la route que quelques-uns suivirent dans le passé et que des myriades d'individus suivront dans l'avenir, au prochain stade de l'évolution humaine, alors que l'on entreprendra définitivement l'organisation des corps supérieurs de l'homme.

13 Mesure anglaise équivalant à 2,5399 cm (NDT).

Voilà ce qu'apporte la Théosophie pour que, par l'évolution des corps l'homme, les mondes subtils puissent devenir sensibles et observables avec autant de précision que les lois qui régissent nos corps physiques actuels nous permettent d'observer les choses qui nous entourent ici-bas.
Il y a une vision supérieure à la vision qui s'exerce avec le concours de ces organes évolués depuis la simple cellule pigmentaire.
Il y a des oreilles autrement délicates que celles que nous possédons aujourd'hui, si [317] merveilleuse que soit la délicatesse de leur mécanisme ; il y a enfin des organes des sens bien supérieurs à nos sens physiques.
Il existe dans le cerveau un organe qui évolue et servira d'intermédiaire entre ces sens subtils des corps supérieurs et le corps grossier qui nous revêt. C'est un organe que beaucoup d'hommes de sciences considèrent comme atrophié, ou s'atrophiant, sous prétexte qu'on le retrouve plus fréquemment, et plus développé, au début de l'évolution plutôt que chez l'homme d'un certain niveau intellectuel et moral. Mais, pour le cas présent, la question de grandeur importe peu ; ce qui importe, c'est la complexité de son organisation interne, et cet organe n'est pas ce que la science appelle : "un vestige du passé" ce qui est vrai dans un certain sens ; bien que rudimentaire actuellement, ce n'en est pas moins un organe de la plus haute importance pour l'avenir.
L'expérience nous a d'ailleurs prouvé qu'en soumettant cet organe à des courants vitaux et électriques, les sens supérieurs s'éveillent à la conscience physique, et nous établissons ainsi un pont reliant le monde de la matière physique à celui de la matière astrale. [318]
Ces expériences sont maintenant si familières à la plupart d'entre nous, qu'il nous est impossible de croire que cet organe ne sera d'aucune utilité dans l'avenir, alors que nous savons pouvoir le stimuler et contribuer à son organisation pour obtenir cette vision que quelques-uns d'entre nous développent aujourd'hui, et que beaucoup possèderont demain ! Et encore ! Ceux-ci n'auront-ils fait qu'un pas en avant ; d'autres, qui piétinent sur place, peuvent arriver à dépasser bientôt ce degré d'évolution, mais de nombreuses difficultés entrent ici en ligne de compte, surtout pour les nations occidentales, vouées, pour de soi-disant raisons climatériques ou autres, à un régime carné auquel se joint, dans une large mesure, l'absorption de l'alcool.
Ni la viande ni l'alcool ne sont des matériaux susceptibles de faire évoluer notre corps, qui, dans la vie ordinaire, doit devenir suffisamment responsif aux vibrations de cette matière Pus subtile dont nous parlions tout à l'heure. Des médecins viennent précisément de découvrir ce que Mme H.-P. Blavatsky écrivait il y a plusieurs années. Ils nous apprennent, en effet, que l'alcool réagit immédiatement sur le corps pituitaire, l'intoxique et y produit une [319] inflammation. Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi l'alcoolisme exagéré conduit à ce que l'on appelle : le délirium trémens, état dans lequel les ivrognes perçoivent des choses que ne voient pas ceux qui les entourent ? La raison en est simple : ils ont intoxiqué l'organe même qui reçoit les vibrations d'autres mondes. Bien que ce qu'ils voient paraisse absolument anormal et irrationnel, ce n'en est pas moins le résultat de l'alcool agissant sur les organes, qui, alors, vibrent sous l'influence du poison au lieu de vibrer sous l'influence de la pensée.
Ce que les médecins recommandent maintenant et publient en guise d'avertissement, a toujours été connu dans la science occulte, et a été l'une des conditions nécessaires à l'application de ses méthodes d'entrainement ; il fut toujours interdit de faire usage de l'alcool et cela pour la raison la plus simple. Tant que vous n'employez pas ces méthodes, il importe peu que votre corps soit intoxiqué ou non. On peut vivre longtemps avec un corps intoxiqué, mais dès l'instant où vous voulez contrôler ce corps, le rendre actif, l'imprégner de nouveaux courants de vie et d'énergie, cette vie et cette énergie provoquent alors une [320] inflammation d'une nature incurable, entrainant de cruelles souffrances et des troubles cérébraux. C'est pourquoi ces méthodes n'ont pas été données au public, mais seulement à ceux qui évitent l'alcool. Il est probable que beaucoup d'entre vous s'élèveront contre ces règles et ne seront guère tentés de les suivre. Nous ne vous disons pas : adoptez-les ; nous disons seulement que ces règles sont les conditions essentielles pour obtenir un organisme plus parfait. Les lois naturelles ne changent pas suivant les désirs et les caprices des hommes. Si l'on veut obtenir d'une machine des étincelles électriques, il faut se mettre dans les conditions requises, c'est-à-dire s'entourer d'air sec et non d'air humide. Vous aurez beau dire que l'air sec n'est pas aussi agréable à respirer que l'air humide, si vous ne vous soumettez pas aux lois de la nature, le résultat de vos expériences sera nul. Il en est de même pour toute expérience régie par des lois, et l'on reconnaitra que cela est vrai quand on voudra se livrer à des investigations dans le domaine des phénomènes psychiques, ce dont l'on n'est pas encore convaincu malheureusement.
On croit pouvoir établir des lois et obtenir [321] des résultats sans même se conformer à certaines lois. C'est ainsi que, lisant l'autre jour un rapport assez curieux sur des investigations dans la photographie spirite, et voyant que le résultat avait été nul, je ne pus m'empêcher de me demander ce qu'il eût été pour maintes photographies si l'on avait posé comme règle de ne pas mettre un voile noir sur l'appareil et, par-dessus tout de ne pas faire fonctionner cet appareil dans une chambre noire, sous prétexte d'écarter toute chance de supercherie et de fraude.
Nous devons admettre que la nature subtile a ses lois tout aussi bien que la nature grossière et que nous ne pouvons, dans ce domaine, obtenir de résultats sans se conformer aux lois qui le régissent, pas plus que vous ne pourrez obtenir une photographie si vos plaques sont exposées à la lumière. Cela étant bien compris, les progrès seront plus rapides.
Il s'ensuit donc que, là où ces règles sont posées pour l'organisation des corps subtils, une autre question intervient : il est inutile de développer les corps subtils si la conscience des mondes supérieurs ne se développe pas en même temps ; on n'y arrive que par la méditation intense et régulière. [322]


LA YOGA ORIENTALE


La Théosophie apporte au monde occidental :
La Yoga orientale,
méthode par laquelle l'homme qui la pratique, peut arriver à diriger et affiner son cerveau sans se rendre malade. C'est là que git la difficulté pour les Occidentaux. Lorsqu'un grand influx, venant des mondes supérieurs, pénètre dans le corps d'un grand saint ou d'un grand génie, il s'ensuit parfois un trouble dans le cerveau ; c'est alors l'hystérie causée par le surmenage de l'instrument. Mais si vous voulez vous rendre propres à recevoir ces grands courants des mondes supérieurs, il faut accorder votre instrument de façon à le rendre responsif aux vibrations plus rapides venant de ces mondes. Vous pouvez faire cela sans aucun danger si vous n'exagérez rien. En consacrant journellement dix minutes ou un quart d'heure à une profonde et attentive concentration de la pensée, vous réussirez graduellement à rendre votre cerveau plus complexe et plus délicat, plus parfait qu'il ne l'est actuellement, car la pensée est vraiment la créatrice du cerveau. De même que par l'exercice, les muscles croissent [323] et se développent, de même le cerveau se perfectionne sous l'influence des hautes pensées. C'est une loi ; la pensée est la force qui rend l'organisme du cerveau plus complet. Le Yogi indou suit cette méthode, et, par une pratique continue, d'année en année, il parvient, en développant le cerveau de la race actuelle, à construire le cerveau de la race future. Il le rend plus sensible, plus subtil, plus vibrant, et cela sans compromettre la santé physique ; c'est une chose que tous, vous pouvez faire si vous agissez avec modération, si vous ne poussez pas la concentration jusqu'au point de sentir la fatigue et une certaine pesanteur dans le cerveau, car ce sont là des avertissements qui vous indiquent que votre travail est trop hâtif, et par conséquent nuisible à votre santé. Au contraire, la méditation et la concentration pratiquées avec modération ne peuvent qu'être bienfaisantes, ne peuvent que rendre le cerveau plus sensitif, tout en le gardant sain et équilibré ; vous ne verrez pas alors se produire ces symptômes hystériques qui ont tant diminué la valeur des enseignements donnés par le voyant et le saint.
C'est ainsi que la Théosophie travaille avec la science pour indiquer la voie propre au [324] développement de cette science dans la civilisation future.


LE RÔLE DE LA THÉOSOPHIE DANS L'ART


Quel sera dans cette civilisation
Le rôle de la Théosophie dans l'art ?
Regardez l'influence de votre civilisation actuelle sur la beauté du pays. Allez à Sheffield, ville construite dans ce qui fut l'une des plus charmantes vallées du Midlanshire. En l'approchant, remarquez la beauté de la campagne, les collines si joliment boisées, l'exquise beauté du ruisseau, de la forêt, de la prairie ; tout à coup, sorti de ce délicieux spectacle, vous plongez dans l'horrible laideur de la ville, saturée d'une atmosphère, noire d'épaisse fumée. Pas un arbre ne croit dans ses faubourgs, aucune fleur même n'égaye le seuil des maisons du pauvre. L'atmosphère enraye la végétation, et cela importe peu aux habitants de cette cité ! Et Sheffield n'est pas la seule ville de ce genre Allez à Glasgow, la seconde métropole de l'Écosse, et vous aurez le même spectacle, de même à Birmingham, à Manchester, ces grandes villes qui font la richesse de l'Angleterre. Il me semble, à moi, que la beauté importe plus que vos richesses, et que l'Angleterre [325] jouissait de plus de bonheur et d'une meilleure santé quand elle possédait Moins de millionnaires
et aussi moins de rachitiques et de gens difformes dans les bouges de ses grandes villes.
Regardez les visages de ces hommes, femmes ou enfants, appartenant aux villes que je viens de citer ; regardez, à Glasgow, les visages des ouvriers rentrant de leur travail. Ils n'ont rien de civilisé, rien d'humain, ils reflètent pour la plupart la bestialité.
Oh ! vous qui faites un luxe de la Beauté, voyez l'humanité engendrée par vos villes dont la caractéristique est une repoussante laideur, alors qu'elle devrait être la Beauté que vous avez dédaignée et méprisée.
Une fois pour toutes, comprenez enfin la valeur de la Beauté ! Comme la laideur elle façonne les corps à son image ; voilà pourquoi l'on ne rencontre, dans vos cités, qu'une hideuse humanité.
La restauration de l'art est une question de vie ou de mort, et non une question de luxe et de jouissance. Des beautés artistiques sont plus nécessaires dans vos villes que des tableaux [326] sur les murs de vos musées. Un petit nombre visite les musées, et des quantités d'hommes, de femmes et d'enfants, vivent dans les villes. Tant que vos cités ne seront pas belles, ainsi qu'elles l'étaient notamment en Grèce, la véritable caractéristique de l'homme civilisé fera défaut dans la civilisation future. La Théosophie recommande d'aimer le Beau, qu'il s'agisse de beauté naturelle ou de celle des doigts habiles et du cerveau imaginatif de l'homme ; la Théosophie veut que le corps humain soit davantage sauvegardé. Aucune nation n'a le droit d'engendrer les corps que nous voyons dans vos Asiles. Ce n'est pas assez de voir, dans les classes riches et élevées, des types d'hommes et de femmes sains, vigoureux et beaux, tous devraient participer aux conditions qui créent la Beauté. L'art ne remplira son devoir qu'autant qu'il fera connaitre à tous le pouvoir de la Beauté et son influence créatrice sur la civilisation ; l'art devrait toujours nous présenter l'idéal dans sa beauté, car c'est l'idéal qui crée le ciel. L'artiste devrait inspirer l'artisan ; tant que celui-ci n'aimera pas son travail, l'art a peu de chance de prospérer parmi vous. L'art n'est plus de l'art lorsqu'il ne représente que des choses laides et [327] vulgaires. Il arrive souvent de voir, sur les murs de vos musées, des tableaux représentant un fromage et un homard, une rangée d'ognons et quelques corps d'oiseaux jetés çà et là pour la beauté de leur plumage. Ce n'est pas là de l'art. L'art doit être beau ; c'est le dégrader que de peindre des objets tels que ceux-là, quelque parfaite qu'en soit la reproduction. "Oh ai-je entendu dire, comme ce fromage est bien fait : on pourrait le couper !" On peut couper du fromage partout, et il n'est pas nécessaire d'aller dans un musée, un soi-disant musée d'art, pour cela. Comparez ces tableaux à ceux des maitres anciens, et vous verrez ce qu'est l'art véritable comparativement à cette parodie actuelle de l'art.
Le devoir de la Théosophie est d'infuser dans l'artiste, l'idée de la splendeur de sa mission, la divinité de son pouvoir. Il peut voir ce que nous ne voyons pas, entendre ce que nous n'entendons pas ; qu'il nous fasse entrevoir ce que nous ne pouvons atteindre par nous-mêmes, qu'il soit pour les hommes le Prêtre du Beau. Dès lors la civilisation grandira en beauté, beauté humaine ou beauté des objets ; la Beauté prendra, dans notre civilisation, la place qu'elle occupait dans la Grèce antique. [328]


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Que fera la Théosophie pour la société dans la civilisation future, cette société qui, de nos jours, est un champ de bataille et non un ordre social, une anarchie et non un organisme ? On croit le plus souvent que des modifications seront apportées par des menaces de famine et la peur d'une révolution ; ce n'est pas ainsi que la Théosophie considère l'homme dans lequel elle voit la croissance d'une nature divine et spirituelle. Vous me traiterez de rêveuse peut-être, et cependant ce que je dis est vrai : vous n'édifierez pas la société future par la simple protection du pauvre, mais par l'exemple des classes élevées qui devront sacrifier de leur bienêtre. Je sais que ce n'est pas là l'idée du jour. Je sais que, même parmi ceux qui souffrent, un tel sentiment sera ridiculisé et méprisé, mais ce ne sont pas ceux-là qui pourront établir un système social sage et solide. Pour cela, il faut les meilleurs cerveaux, les meilleurs coeurs ; il faut des loisirs pour penser et élaborer des plans, comme il faut aussi de l'amour pour rendre ce travail effectif.
Vous pouvez soulever des émeutes, faire des [329] révolutions, affamer le peuple désespéré, mais rien n'est stable après une révolution. Vous ne devez rien prendre, vous devez donner. L'Esprit vit par le don et connait la joie du sacrifice. Croyez-vous que le sacrifice soit pénible, que le sacrifice implique tristesse ou mélancolie ? Je vous l'affirme ! Aucune joie sur terre n'est comparable à celle du sacrifice de la nature inférieure à la nature supérieure qui ne demande rien pour elle-même. Voilà comment s'effectuera la rédemption sociale si ceux-là mêmes qui sont disposés à le faire donnent et se sacrifient. Le don imposé par la loi ou la force n'est jamais accepté qu'avec ressentiment et violence. La contrainte extérieure n'est accueillie qu'avec répulsion, mais la contrainte intérieure, qui est celle de l'amour, celle que l'on accepte sans violence, se répand comme un fleuve de joie !
C'est sur cette base que s'édifiera l'avenir, la civilisation future, ce que je vous ai déjà dit sommairement au début de cette conférence.
Dans la classe riche, parmi ceux qui sont favorisés de tous les biens, de la terre, je découvre déjà un sentiment l'inquiétude non pour eux-mêmes, mais pour les autres, pour les pauvres. J'entends ces paroles : "Que pouvons-nous faire pour remédier à la misère ?" Ceux-là [330] souffrent par sympathie et non par contrainte et ce sont eux qui, par leurs efforts, amèneront la rédemption sociale.
Cela peut vous paraitre un rêve, rêve bien éloigné, mais l'homme progresse beaucoup plus vite qu'on ne serait tenté de le croire. Rien de trop noble, de trop beau, rien de trop divin que l'homme ne puisse exécuter, car l'homme est un dieu en évolution, quelque lente que soit cette évolution, et le germe de la divinité commence dès maintenant à fleurir dans le coeur de quelques-uns d'entre nous.
Là où des êtres comblés par le bonheur souffrent du malheur des autres, abandonnent les distractions du monde pour travailler au bienêtre de la nation ; là où des hommes ne peuvent être véritablement heureux qu'en étant compatissants avec les déshérités, là résident les promesses de l'avenir.
Il y a un siècle, de tels cerveaux, de tels coeurs, se rencontraient çà et là, isolés ; un peu plus tard, ils se firent moins rares ; aujourd'hui ils sont des plus nombreux, et on les trouve dans un milieu où l'on n'aurait jamais cru voir ceux qui aspirent à rénover et à modifier l'état social.
Seuls croissent en spiritualité ceux que le [331] malheur des autres attriste, ceux pour lesquels un bon repas reste amer tant qu'il y a des affamés, ceux pour qui le luxe est un fardeau tant qu'il existe des hommes qui ne possèdent rien. Oui ! ceux-là édifieront la nouvelle civilisation parce qu'ils sont prêts à sacrifier le bonheur dont ils jouissent pour répandre, autour d'eux, la joie de vivre et la sécurité.


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Tel est l'avenir que nous attendons, tel est l'avenir pour lequel nous travaillons proclamant en tous lieux ces paroles :
La joie réside dans le fait de donner et non de prendre,
proclamant en tous lieux ce verset de l'Évangile :
Il est plus doux de donner que de recevoir,
proclamant une fois de plus cette antique vérité :
Là où la loi du Sacrifice est observée, Religion et Civilisation demeurent !… indestructibles…
FIN DU LIVRE