UNION

LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

COMMENTAIRES SUR LA BHAGAVAD GITA Par Annie BESANT - 1905

CHAPITRE IV — DISCERNEMENT ET SACRIFICE

CHAPITRE IV

DISCERNEMENT ET SACRIFICE


Frères,
Nous avons aujourd'hui à nous occuper, bien que d'une manière imparfaite par suite du manque de temps, des deux autres formes de Yoga préliminaire, appartenant aux deux aspects de la conscience que j'ai laissés de côté hier. Vous vous rappellerez que, après avoir esquissé les aspects des sentiers de l'aller et du retour, j'ai pris comme sujet un sentier préliminaire spécial approprié à l'aspect Ichchhâ de la conscience, et nous avons vu que, dans cet aspect qui se manifeste dans le monde inférieur comme désir, le désir pour les objets est changé en désir pour le Suprême, ou dévotion, et celui-ci conduit l'homme à la perfection du Yoga.
Aujourd'hui nous avons à considérer les deux formes restantes de Yoga préliminaire, le Yoga du Discernement, relié à l'aspect de la conscience Jñânam, et le Yoga du Sacrifice, relié à l'aspect Kriyâ. Je dois vous demander, en suivant mon tracé hâtif de ces deux Yogas, de le prendre simplement comme un aperçu schématique, dans lequel les détails devront être disposés par votre étude personnelle [94] et par votre propre vie, car la première partie de notre sujet, le Yoga du Discernement, est, peut-être, spécialement difficile pour ceux qui n'ont pas étudié sérieusement la constitution et la nature de l'homme. Et pourtant, pour ceux en qui l'aspect de Jñânam, la faculté cognitive, ou la connaissance, ou la sagesse, est prédominant, c'est la forme qui conduit à l'ultime Yoga, à l'union avec le Suprême.
Or, pour ce qui touche à cet aspect, l'aspect de la Sagesse, il y a un grand danger qui assaille le prétendu Sage, car pour lui, plus que pour tous les autres peut-être, les sens sont les avenues du danger, et pourtant ces mêmes sens ont été jusque-là ses avenues de connaissance, et il doit s'efforcer de les contrôler étroitement avant qu'aucune caractéristique même du Yoga préliminaire ne puisse venir à sa portée. Et ainsi nous voyons Shrî Krishna déclarer, en ce qui concerne ce sentier pour l'homme qui aspire à la sagesse : "Ô fils de Kunti, les sens excités entrainent impétueusement même la raison du sage, malgré ses efforts. Les ayant tous vaincus, il doit s'assoir harmonisé, pour méditer sur Moi, son but suprême ; car, chez celui dont les sens sont maitrisés, l'intelligence est bien équilibrée" (II, 60, 61). Et afin de montrer que non seulement les sens en général, mais même un seul sens est une source de danger : "Pour ceux dont le mental cède à l'affolement des sens, toute compréhension s'enfuit, de même que la tempête pourchasse un navire sur les flots. C'est pourquoi, ô puissamment armé, celui dont les sens sont tous complètement détournés des objets des sens, celui-là a la compréhension bien équilibrée" (II, 67, 68). Le désir, [95] est-il dit, "a son siège dans les sens, le mental et la Raison… C'est pourquoi, ô le meilleur des Bhâratas, commence par maitriser les sens, et tue le péché, ce destructeur de la sagesse et de la connaissance" (III, 40, 41).
Le début du grand enseignement du Yoga du Discernement est la première note qui retentit dans la Bhagavad Gîtâ. "Tu pleures sur ceux sur lesquels il ne faut pas pleurer, et pourtant tu profères des paroles qui semblent sages" (II, 11). Et puis il est dit dans l'introduction à la pratique de la Gîtâ, qui est appelée Gîtâ Karâdinyâsa, que ces mots : "Tu pleures sur ceux sur lesquels il ne faut pas pleurer" sont le Bîjam de la Gîtâ. Vous connaissez la force de ce mot Bîjam, la Semence. Un bîjam est un son, un mot ou une sentence qui doit être prononcé en commençant un mantra, dans le but de produire un effet désiré. Il varie avec les individus, et les sons particuliers qui sont indiqués comme mantra-bîjam donnent au mantra sa force particulière, spéciale, de sorte qu'un mantra général devient spécialisé en lui donnant un certain bîjam, ou une semence. Dans ce bîjam est l'essence même de l'ensemble du mantra. Le fruit du mantra pousse et croît, pour l'individu, de ces sons-semences qui précèdent la répétition du mantra. Ces mots : "Tu pleures sur ceux sur lesquels il ne faut pas pleurer", sont considérés comme étant le bîjam du mantra de la Gîtâ. Ils sont son essence, ils révèlent son objet, ils lui donnent sa signification spéciale. L'ensemble de la Gîtâ est contenu en eux, comme la plante dans la semence. Ils sont aussi le commencement de l'enseignement du Yoga du Discernement. "Tu profères des paroles qui semblent sages", dit l'Instructeur, [96] car le raisonnement d'Arjuna a été un argument éminemment raisonnable, comme je vous l'indiquais l'autre jour. Son objection au meurtre de ses proches était parfaitement naturel ; son sentiment que la royauté était achetée trop cher par le massacre était un sentiment vraiment louable ; son refus de répandre des torrents de sang était une chose qui aurait reçu l'approbation de tout homme réfléchi et compatissant. Cependant l'Instructeur dit : "Tu pleures sur ceux sur lesquels il ne faut pas pleurer." Mais pourquoi ? "Les sages ne pleurent ni sur les vivants ni sur les morts." Mais alors pourquoi les sages ne pleurent-ils ni sur les vivants ni sur les morts ? La réponse à cela se trouve dans l'enseignement de la sagesse, le sentier du véritable Jñânî, l'enseignement qui est épars d'un bout à l'autre du discours du Seigneur de Sagesse. Il commence, souvenez-vous, par ces merveilleux Shlokas qui rapidement décrivent la raison de ne pas s'affliger qui va être expliquée dans la suite de l'enseignement de la Sagesse. Les morts n'ont pas à être pleurés parce qu'il n'existe rien qui ressemble à la mort. Tout ce qui est réel ne peut jamais cesser d'être, et ce qui peut perdre l'existence ne l'a jamais possédée en réalité (II, 16). "Cet Habitant du corps qui est en chacun est toujours invulnérable" (II, 30). Aucune arme ne peut le percer, aucun mal ne peut l'atteindre (II, 23, 24). Il ne nait pas, il ne meurt pas, il est ancien, constant, permanent, éternel (II, 20) et, le connaissant tel, "tu ne dois pas t'affliger" (II, 30). Voilà la première suggestion du grand enseignement qu'il faut suivre, qui doit devenir claire, définie, précise, de façon qu'Arjuna puisse comprendre la nature du monde et la nature de [97] l'homme dans le monde ; car sachant cela, le comprenant, fondé, établi dans la sagesse, pour lui l'affliction deviendra impossible, tandis qu'elle est le lot de l'ignorant et de l'insensé. Il sera établi dans le Soi et toute possibilité de doute aura disparu.
Voyons maintenant ce qu'est ce Yoga du Discernement, ce profond enseignement de la Sagesse qui doit élever l'élève, lorsqu'il devient le Sage, au-dessus de toutes les peines de ce monde.
C'est avant tout l'enseignement de la nature du monde, de la nature du Seigneur du Monde et des parties diverses de Sa nature que nous distinguons ici en supérieure et inférieure, le Seigneur Suprême et le Monde. Et il est destiné spécialement à ceux qui sont cités par Arjuna dans sa question sur le meilleur genre de Yoga : "De ces dévots qui, toujours harmonisés, T'adorent et de ceux aussi qui adorent l'Indestructible, le Non-Manifesté, lesquels sont le plus versés dans le Yoga ?" (XII, 1). Et le Seigneur répondit : "Ceux dont la pensée est fixée sur Moi, toujours équilibrés et M'adorant dans une foi parfaite, ceux-là, selon Moi, sont les plus avancés dans le Yoga. Ceux qui adorent l'Indestructible, l'Ineffable, le Non-Manifesté, l'Omniprésent et l'Inconcevable, l'Invariable, l'Immuable, l'Éternel, maitrisant et domptant leurs sens, considérant tout du même oeil, se réjouissant du bien de tous les êtres, ceux-là aussi viennent à Moi. La voie de ceux dont la pensée est fixée sur le Non-Manifesté est plus difficile ; car le sentier du Non-Manifesté est dur à parcourir pour celui qui est incarné" (XII, 2-5). Et nous trouvons qu'autre part II mentionne ceux dont la nature les pousse à fouler ce sentier plus dur, plus difficile, comme une des divisions parmi [98] "les justes qui M'adorent" (VII, 16). "De tous ceux-ci", dit le Seigneur de Sagesse, "le sage, constamment harmonisé, adorant l'Unique, est le plus parfait ; Je suis suprêmement cher au sage et il M'est cher aussi. Nobles sont-ils tous, mais Je tiens le sage comme étant en vérité Moi-même" (VII, 17, 18). Maintenant, si vous reliez ces deux passages, dans l'un desquels il est dit que ceux qui adorent pleins de foi sont les plus avancés dans le Yoga, et dont l'autre déclare que le sage est le plus parfait, car "Je le tiens comme étant en vérité Moi-même" vous pouvez penser qu'il est un peu difficile de deviner quel est réellement le meilleur des deux. La réponse à cette question est simple : c'est qu'une voie est meilleure ou plus mauvaise pour un homme selon son tempérament ; c'est que pour un homme comme Arjuna, plein d'émotion et de passion, la meilleure voie était celle de la dévotion ; mais, pour celui qui par tempérament est incliné vers la sagesse, pour lui la voie de la Sagesse est la meilleure. Tout comme le dévot atteint l'union avec le Seigneur, de même le Sage qui est "en vérité Moi-même" viendra à Lui par la connaissance ; car le Seigneur est Sagesse et Émotion et Action, et chacune est la meilleure dans sa position, et chacune offre une route, une pour chacun des trois tempéraments qui partagent les hommes. Chacune est la meilleure pour celui qui lui appartient naturellement, "car, de quelque côté que les hommes entrent sur le sentier, c'est aussi Mon sentier" (IV, 11).
Écoutons le Seigneur enseignant la voie de la sagesse, et comprenons que la connaissance est la base de la conduite droite.
Tout d'abord, Il expose Sa propre constitution, [99] et Il nous dit qu'elle est triple – l'Esprit Suprême revêtu de l'Esprit et de la Matière, le Soi sous les apparences de la Nature qui est dualité. L'enseignement de cette triple constitution est dispersé dans de nombreux passages, et chacun ajoute quelque chose à notre connaissance, comme nous pouvons le constater quand nous les rapprochons les uns des autres. En résumant ces passages, je les prends dans des parties largement différentes de la Gîtâ, afin de les réunir dans un tout cohérent et intelligible. Sa nature inférieure, l'Aparâ Prakriti, est : "La terre, l'eau, le feu, l'air, l'éther, l'intellect et la raison aussi, et l'égotisme – telle est la division octuple de Ma nature. C'est Ma nature inférieure" (VII, 4, 5), l'Aparâ Prakriti. Gardez cette idée clairement à l'esprit, distincte de toute autre pour le moment ; la nature inférieure du Seigneur, la Prakriti inférieure, renferme l'ensemble de la nature manifestée visible, phénoménale ; elle fait entièrement partie de Lui ; toute la manifestation de l'univers physique, toute la manifestation de l'univers subtil, tous les phénomènes, toutes les apparences qui sur chaque plan de la nature forment les êtres du plan, forment les objets extérieurs du plan, tout cela est résumé dans une vaste généralisation : "C'est Sa nature inférieure". Rappelez-vous toujours que, bien que ce soit la nature inférieure, tous sont cependant une partie du Seigneur. Ils ne doivent pas être séparés de Lui, comme s'ils étaient indépendants, ou comme s'ils étaient contraires. Ils font partie de Sa nature, ils sont Sa nature inférieure, et la "connaissance de… Ma nature Périssable" (VIII, 4) est l'Adhibhûta, connaissance concernant les éléments, qui entrent dans la construction des formes. Une autre note [100] qui parait maintes fois dans la Gîtâ en rapport avec cette nature inférieure, est le mot "manifesté". Partout où l'on parle du manifesté nous avons affaire à la nature inférieure du Seigneur, l'Aparâ Prakriti. Avant d'aller plus loin dans son étude, voyons quelle est la seconde division de Sa nature, la Parâ Prakriti, appelée quelquefois Daivaprakriti, celle qu'Il décrit en continuant dans ce Shloka déjà lu en partie : "Connais Mon autre nature, la nature supérieure, l'élément-vie, ô puissamment armé, par quoi l'univers est soutenu" (VII, 5). Cette Parâ Prakriti, cette nature supérieure, cet élément-vie, le Jîvabhûta, le Purusha du Sâmkhya, est en contraste avec les autres éléments. Celui-ci est la nature supérieure du Seigneur. La connaissance de ceci, la science de l'énergie qui donne la vie, du côté vie de la nature, est l'Adhidaiva, la connaissance des Êtres Radieux, qui sont les canaux de vie, les canaux de Sa vie, appelés, dans la science moderne, les énergies de la nature. Ainsi nous avons deux grandes sciences à étudier sur le sentier de la connaissance, l'une qui s'occupe de Sa "nature périssable", et l'autre de Son "énergie donnant la vie". La première est le manifesté, la seconde est appelée le non-manifesté ; mais c'est le non-manifesté inférieur (voyez : VIII, 20 ; XV, 17) – point d'une immense importance, car, si on le perd de vue, tout l'enseignement devient confus. C'est véritablement la vie pénétrant toute chose, et elle soutient l'univers. "Tout ce monde est pénétré de Moi en Mon aspect non manifesté" (IX, 4) ; il est non-manifesté, caché derrière le voile de la matière, mais c'est encore la partie inférieure du non-manifesté, et ce n'est pas la division supérieure de Sa nature. [101]
Nous le trouvons encore déclarant qu' "il y a deux Énergies en ce monde, la force destructible et l'indestructible ; la destructible est tous les êtres, ce qui ne change pas est nommé l'indestructible" (XV, 16). Une fois de plus nous avons deux mots significatifs que nous devons garder présents à l'esprit : l'inférieur, le destructible, le manifesté, c'est ce que nous appelons le phénoménal ; et le supérieur, l'indestructible, le non-manifesté, c'est ce que nous appelons la vie qui pénètre toute la nature. Il parle encore d'eux comme "Matière et Esprit" (XIII, 20) ; la Matière est l'inférieur, l'Esprit le supérieur ; mais "sache que la Matière et l'Esprit sont tous deux sans commencement" (XIII, 20) ; car tous deux, étant de la nature du Seigneur, formant les divisions inférieure et supérieure de Sa nature, partagent le caractère spécifique d'être sans fin et sans commencement qui est celui du Seigneur ; tous deux doivent être considérés comme "sans commencement".
Ce sont eux qui, en toute vérité, forment ce que nous appelons "la Nature". Les deux réunis, les deux "énergies" (de XV, 16), ces deux, pris ensemble, sont la Nature. Et ils se révèlent comme parcourant constamment le cycle de la vie : le manifesté, l'inférieur, passe dans le non-manifesté, le supérieur, et le non-manifesté, le supérieur, répand de nouveau le manifesté, l'inférieur, au commencement d'un nouveau Kalpa, un nouvel âge du monde ; vous avez devant vous cette grande roue tournante de la vie, le manifesté, issu du non-manifesté, et retournant de nouveau dans le non-manifesté. Au commencement de la période mondiale le manifesté apparait. À la fin de la période mondiale le manifesté disparait dans le non-manifesté 2. [102] "Tous les êtres, ô Kaunteya, entrent dans ma nature inférieure à la fin d'un Kalpa ; au début d'un Kalpa, je les émane de nouveau. Caché dans la Nature, qui est Ma propre nature, J'émane encore et encore toute cette multitude d'êtres impuissants, par la force de la Nature" (IX, 7, 8). Je m'arrête à cela un moment, parce que les mots – si vous oubliez certains autres Shlokas de la Gîtâ qui les expliquent – peuvent vous troubler dans votre étude personnelle. Remarquez la phrase "entrent dans ma nature inférieure" ; et vous direz immédiatement que les mots "nature inférieure" doivent signifier Aparâ Prakriti. Mais quand le Seigneur Se met Lui-même en contraste avec la Nature, alors les deux divisions, jusqu'ici nommées inférieure et supérieure, l'une par rapport à l'autre, deviennent l'une et l'autre inférieures, relativement à Lui. Ceci est posé encore plus clairement dans un autre Shloka auquel je vais maintenant me référer, afin que tout malentendu, qui peut-être resterait caché, puisse être chassé. Il avait déjà expliqué cela, avant de prononcer cet exposé que je viens de lire, car Il avait dit dans le précédent entretien : "A la venue du [103] jour, tout ce qui est manifesté nait du non-manifesté ; à la tombée de la nuit, le manifesté se dissout en Cela même qui est appelé le non-manifesté. Cette multitude d'êtres, qui apparaissent régulièrement, disparaissent à la tombée de la nuit ; selon la loi, ô Pârtha, ils reparaissent au lever du jour. Il existe donc, en vérité, supérieur à ce non-manifesté, un autre non-manifesté, éternel, qui n'est pas détruit quand tous les êtres sont détruits. Ce non-manifesté est nommé "l'Indestructible". Il s'appelle le Sentier supérieur, la "Voie suprême". Ceux qui L'atteignent ne reviennent plus" (VIII, 18-21). De même encore, après les paroles : "En ce monde il est deux Énergies (Purushas), la destructible est tous les êtres ; ce qui ne change pas est nommé l'indestructible", nous lisons : "l'Énergie suprême est en vérité une autre Force, affirmée comme le Soi suprême, Celui qui, pénétrant tout, soutient les trois mondes, le Seigneur indestructible. Puisque Je dépasse le destructible, et que Je suis aussi plus parfait que l'indestructible, en ce monde et dans le Veda Je suis proclamé l'Esprit Suprême" (XV, 16-18). De nouveau Il dit : "Sous Ma direction, la Nature produit ce qui se meut et ce qui ne se meut pas ; c'est à cause de cela, ô Kaunteya, que l'univers parcourt les cycles" (IX, 10).

2 Les plus récentes recherches de la Science sur la nature de l'atome projettent une vive lumière sur ce tableau des univers apparaissant et disparaissant. L'atome, nous dit-on, est probablement un "noeud" ou une "tension" clans l'éther, et les atomes peuvent apparaitre quand l'éther est soumis à une tension, et disparaitre quand la tension est relâchée. Supposez que l'éther, l'éther véritable, est "l'élément-vie" ; supposez que les atomes sont la "nature inférieure" ; alors, par la tension, causée par la volonté du Seigneur, de la vie-élément sortirait la nature inférieure, de l'éther sortiraient les atomes, et quand la volonté se relâcherait, la nature inférieure retournerait dans l'élément-vie, et les atomes dans l'éther.

Et encore : "Directeur et ordonnateur, soutien et possesseur, Seigneur souverain, et aussi le Soi Suprême ; tels sont les titres donnés dans ce corps à l'Esprit suprême" (XIII, 23). Une autre explication est donnée dans le treizième chapitre, qui traite du Champ et du Connaisseur du Champ. Le Champ est la Nature, et lorsqu'est donnée la description du Champ, nous trouvons que la Matière [104] et l'Esprit y entrent tous deux, car tous deux constituent le Champ ; le Connaisseur du Champ est le Seigneur. Le Champ est décrit comme : "Les grands Éléments, l'Individualité, la Raison et aussi le non-manifesté" – c'est-à-dire le non-manifesté dans lequel s'en va tout le manifesté à la fin d'une période mondiale, et d'où il vient au commencement – "les dix sens et l'un, et les cinq pâturages des sens ; désir, aversion, plaisir, douleur, combinaison [le corps], intelligence, fermeté, voilà le bref résumé de ce qui constitue le Champ et ses modifications" (XIII, 6, 7). Le Champ est la Nature, et la supérieure et l'inférieure sont le corps du Seigneur. Et Lui, le Grand Seigneur, le Soi Suprême, dans ce corps de l'Univers, reçoit le titre d'Esprit Suprême (XIII, 23). Il est le Connaisseur, non le Connu, Lui et Lui seul est l'Objet de la Sagesse. Puis il est écrit de ce Suprême qu'Il est à jamais non-manifesté : "ceux qui sont dénués de Raison pensent à Moi, le non-manifesté, comme étant une manifestation, car ils ne connaissent pas Ma nature suprême, impérissable, parfaite" (VII, 24).
Quand, poursuivant cette pensée, nous nous y arrêtons, en gardant tous ces passages présents à l'esprit, l'idée apparait claire et définitive, et nous voyons la grande Triplicité : Celui qui est appelé "l'autre non-manifesté", "véritablement autre" ; Celui qui est appelé "surveillant, directeur" ; Celui qui est appelé "le Soi suprême", "l'Esprit suprême", Purushottama, qui gouverne tout, revêtu d'une double nature composée de Matière et d'Esprit, Prakriti et Purusha ; ceux-ci, pris ensemble constituent la Nature ; et le Seigneur de la Nature est plus grand que la Nature. La Matière et l'Esprit [105] forment la roue de la vie, mais le Seigneur siège au-dessus de la roue, invariable ; le jeu de la Matière et de l'Esprit, Aparâ et Parâ Prakritis, continue ; les changements reviennent continuellement de l'apparition de l'un après l'autre, et de sa disparition, de nouveau, dans cet autre ; derrière eux se tient le Seigneur invariable, et l'ensemble de ces deux est Sa mâyâ, que ceux qui sont dans l'illusion sont incapables de transpercer, par laquelle les ignorants sont aveuglés, de sorte qu'ils ne peuvent voir, à travers ces deux, le Seigneur qui se trouve au-delà (VII, 25, 27). Donc, pensez à cette première paire d'opposés, Matière et Esprit, comme au voile du Seigneur Lui-même. Pensez à Lui, l'invariable, comme à jamais derrière ce couple, comme le Surveillant, le Seigneur de la Nature, le Seigneur de Mâyâ, cet univers n'étant que le voile de Sa gloire ineffable, alors que Lui, qui se tient derrière, est l'Indestructible, l'Ineffable, l'Invariable, l'Éternel, le Suprême. Voilà ce qui nous est exposé dans l'enseignement de la Bhagavad Gîtâ, pour ce qui concerne la relation du Seigneur avec Son monde. "Ayant, avec un fragment de Moi-même, fondé tout cet univers, Je demeure" (X, 42).
Avant de faire le pas suivant, arrêtons-nous un moment, pour rechercher comment tout cet enseignement peut nous aider dans notre réalisation de l'unité. Car nous nous trouvons en face d'une triplicité et non d'une unité ; nous voyons le Seigneur Suprême et Sa nature, non manifestée et manifestée. Comment ceci peut-il nous apprendre à ne nous affliger ni pour les vivants, ni pour les morts ? Comment ceci peut-il nous encourager pour ce qui touche à notre propre nature, dans laquelle nous [106] voyons à la fois la Matière et l'Esprit, si l'on nous dit que tous deux paraissent et disparaissent ? Étant Purushottama, le Suprême, Il est en vérité un Autre, le plus haut, l'éternel, et Il est le Soi le plus intime de l'homme. Pensiez-vous que vous étiez seulement des parties de la Nature ? Pensiez-vous qu'il n'y avait en vous que cette double Prakriti, la supérieure et l'inférieure ? Vous imaginiez-vous qu'il n'y avait en vous que la manifestation de la Nature, et non l'essence même du Seigneur ? Que non ! Le Seigneur Lui-même demeure dans vos corps comme dans le corps de l'univers, l'Indestructible, le Suprême ; Purushottama Lui-même est enrobé dans les corps des hommes. Vous n'êtes pas simplement la Nature dont Il parle. Vous n'êtes pas simplement la Parâ et l'Aparâ Prakritis. Elles sont vos corps comme elles sont Son corps, et vous faites partie du Suprême Lui-même, de Lui-même en vérité, "une parcelle de Mon propre Soi" (XV, 7) comme Il le déclare. "Une parcelle de Mon propre Soi, transformée dans le monde de la vie en un Esprit immortel" tels êtes-vous. Il n'est donc pas si loin. Il n'est éloigné d'aucun de nous. Non-manifesté, Il peut l'être en ce qui concerne les Parâ et Aparâ Prakritis, mais Il ne peut être non-manifesté à Lui-même. En réalité, Il n'est pas caché hors de nous, parce qu'il ne peut se cacher de Lui-même, et le fait de penser qu'Il peut nous être caché, à nous qui sommes Lui-même, est la plus subtile mâyâ de toutes les mâyâs, est illusion pure. Il est notre plus intime Soi, et le coeur même de notre être. S'il est une chose que l'homme puisse connaitre, c'est surement son propre Soi intime, ce qui demeure caché par l'Esprit aussi bien que par la [107] Matière, ce qui est lui-même – ceci, un homme peut surement le connaitre.
C'est pourquoi la sagesse consiste à réaliser que le Soi Suprême "réside également dans tous les êtres" et que "celui, qui voit ainsi, celui-là voit" (XIII, 28) ; le Seigneur est dans le coeur de chaque homme, et le Seigneur est au plus intime de la nature de chacun.
Soudainement, par une grande illumination, nous nous trouvons soulevés au-dessus de la Nature, et dans le Suprême, qui est le Seigneur de la Nature. Nous partageons Son intime nature, Il est notre Soi intime. Quelle raison y aurait-il alors d'avoir peur, de s'affliger, d'être déçu, pour ceux qui ont connu l'Unité ? C'est là la Sagesse. Connaitre le Connaisseur, et savoir que le Connaisseur est nous-mêmes. Voilà la grande leçon de la
Sagesse de la Gîtâ. Il dit, et répète à maintes reprises, que nous ne pouvons pas sentir que l'Un est loin de nous. "La semence éternelle de tous les êtres" (VII, 10), "la vie dans tous les êtres" (VII, 9), c'est ainsi qu'il S'appelle Lui-même. Il n'y a pas d'hésitation, pas de doute, pas de découpage ni de recul possibles devant cette vérité dernière. Lui et Lui seul est la vie en toute chose ; par Lui toute chose vit. Si les hommes se haïssent les uns les autres, "ils Me haïssent dans les corps des autres et dans leurs propres corps" (XVI, 18) ; si les hommes tourmentent les corps, ils Me tourmentent "Moi aussi, qui réside dans le corps intérieur" (XVII, 6). Rien ne peut échapper à la plénitude de cette glorieuse vérité.
Pourtant il reste toujours caché à tous les yeux qui ne peuvent percer complètement la Nature. Il déclare : "Enveloppé de l'illusion que Je produis [108] par Mon pouvoir, Je ne suis pas découvert par tous" (VII, 25), c'est ma Yoga-mâyâ. Comment se fait-il que l'Unique peut être vu dans toutes les variétés des formes ? D'où naissent-elles, ces combinaisons et ces permutations sans fin, masquant l'unité du Soi ? Elles sont toutes guna-mayi, faites des gunas, consistant dans les gunas, les trois qualités de la matière, de la nature inférieure, qui, se combinant continuellement dans des variétés infinies, trompent l'observation extérieure ; ainsi déclare-t-il d'elles : "Tout ce monde, trompé par ces natures différentes formées par les trois qualités, ne Me connait pas, au-dessus d'elles, impérissable. Cette divine illusion qui est Mienne, causée par les qualités, est difficile à pénétrer ; ceux qui viennent à Moi la surmontent" (VII, 13, 14). Nul n'est exempt de l'influence des qualités : "Il n'est pas une entité, soit sur terre, soit encore au ciel parmi les Êtres Radieux, qui soit libérée de ces trois qualités nées de la Matière" (XVIII, 40). Cependant le sage doit les transpercer pour atteindre le Seigneur. Et toutes les natures viennent de Lui : "Les natures, qui sont harmonieuses, actives, ou paresseuses, sache qu'elles viennent toutes de Moi" (VII, 12). Comme je l'ai déjà dit, elles sont toutes dans le corps du Seigneur, elles font partie de Lui-même. Pénétrer le Connu pour connaitre le Connaisseur, cela, seul, est la Sagesse.
Analysons cette illusion. Il y a d'abord la paire primitive d'opposés, attraction et répulsion, l'attraction, de la nature de l'Esprit, et la répulsion, de la nature de la Matière. L'attraction est l'effet de la vie une, indivisible et non-manifestée, cachée dans les formes innombrables, et elle tend à unifier. La matière, dont l'essence est multiplicité, cherche [109] toujours fortement à se diviser, à devenir de plus en plus variée, d'une façon continue. Et le multiple va continuellement en se divisant et se subdivisant de plus en plus, de telle sorte que les subdivisions deviennent de plus en plus menues, et qu'on arrive ainsi à l'infinie variété d'un univers. Dans cette variété infinie est réfléchi le Seigneur indivisible. À cause des subdivisions et des limitations mutuelles des formes matérielles, vous devez nécessairement trouver une variété infinie. Autrement, comment l'infini pourrait-il être réfléchi, dans une acception quelconque exactement véridique ? Aucun fragment de cette matière constamment divisée ne peut réfléchir le tout complet. La Beauté infinie doit se réfléchir dans une infinité de beaux objets. La mer, le ciel, la campagne, la montagne, le désert, la plaine, et la ville populeuse, tout cela, et tous les éléments variés qui le composent, réfléchissent les rayons de l'unique soleil, la Beauté ; et dans leur multitude, leur totalité, se trouve leur perfection, car c'est de cette manière seule qu'ils peuvent réfléchir l'Unique dont ils proviennent. Il en est de même pour tout le reste dans le monde ; c'est dans la totalité de ce qui est subdivisé que vous pouvez voir réfléchi l'Indivisible, l'Unique. Puisque la Matière va ainsi en se divisant continuellement, il est facile de voir pourquoi elle est arrivée à prendre le caractère de ce qui s'oppose à la libération de l'Esprit, qui est unité. Nous comprenons pourquoi, dans la première paire d'opposés, la Matière et l'Esprit, la Matière devient en apparence l'ennemi, l'adversaire, à certains stades de l'évolution humaine. Tant que l'Esprit chemine au-dehors avec la Matière et que la Matière se divise elle-même indéfiniment, [110] se prêtant ainsi au pouvoir constructeur de l'Esprit, la Matière est et reste très bonne et est une amie. L'élément répulsif, qui est de l'essence même de la Matière, et qui accomplit les subdivisions nécessaires, est la qualité indispensable au développement de l'Esprit et, par suite, est bon. Mais quand l'Unité doit devenir le but afin d'être réalisée, quand l'univers a parcouru la moitié de sa course et qu'il s'engage dans la seconde moitié qui doit conduire à la réintégration dans l'Unité, au lieu de la différenciation menant à l'hétérogénéité, alors le principe de division apparait comme l'ennemi, alors les forces de répulsion deviennent des adversaires, alors c'est ce qui était bon qui devient mauvais. Tout ce qui porte en soi le principe de séparation devient mauvais, parce que le temps de la séparation est révolu et que le temps de travailler vers l'unité est venu. Et c'est ainsi que, par rapport à cette paire d'opposés préliminaires, Matière et Esprit, répulsion et attraction, qui, étant du Seigneur, sont tous deux infiniment bons, c'est ainsi que dans le courant de l'évolution se produit un changement, et la répulsion devient mauvaise, une source de tourment, parce qu'elle est dirigée contre le nouveau courant modifié de la Volonté divine. De cette première paire d'opposés naissent deux lignes d'émotion, celle de l'amour, tendant à unifier, et celle de la haine, tendant à séparer ; ce sont "les paires d'opposés nées du désir et de la répulsion" (VII, 27), la double racine d'où naissent toutes les autres paires. Ceci nous donne une science de la morale, et en regardant ainsi le monde nous comprenons ce que sont le Bien et le Mal, et quand et pourquoi le Bien est le Bien et le Mal est le [111] Mal. Cela nous est donné par le Seigneur de Sagesse dans le seizième chapitre de la Gîtâ, où, au moyen de cette première paire d'opposés, d'où sont développées, comme il vient d'être dit, toutes les autres paires, nous trouvons que deux sortes de qualités morales sont données, l'une appelée divine parce qu'elle appartient à la Daivaprakriti, et l'autre appelée démoniaque parce qu'elle appartient au côté Matière de la Nature, les Bhûta ou éléments. Celles-ci deviennent opposées, au cours de l'évolution dans le monde des hommes, comme divine et démoniaque, et il ne peut y avoir là aucun conflit réel puisqu'elles sont l'une et l'autre le corps de l'Unique ; mais elles se trouvent opposées dès le moment où l'humanité doit s'élever jusqu'à l'unité de conscience. Tout ce qui tend à diviser, tout ce qui vient de la haine, tout ce qui veut séparer prend l'aspect du mal pour l'homme qui se développe. Il doit triompher de cela, il doit résister à cela, car il doit s'élever au-dessus, et par suite il doit s'identifier lui-même avec le divin, et lutter contre l'instinct de séparativité qui est né du passé, Tel est le grand Yoga de la Sagesse, fruit d'une réelle compréhension de la nature du Champ, de la nature du Connaisseur du Champ et de leur relation réciproque (XIII, 2). Et c'est pour cela qu'il est dit que les sages adorent "l'Unique et le Multiple Omniprésent" (IX, 15), car ils savent que le multiple n'est que l'Unique déguisé, que le multiple n'est que l'Unique en manifestation. Là où cette sagesse a été acquise, là la libération est proche : "Je veux encore une fois proclamer cette suprême Sagesse, la meilleure de toutes les sagesses, que tous les Sages ont connue, et par laquelle ils se sont élevés à la suprême Perfection" [112] (XIV, 1) ; à ce sujet il est écrit : "Meilleur que le sacrifice de tous les objets est le sacrifice de la sagesse, ô Parantapa. Toutes les actions dans leur intégralité, ô Pârthâ, culminent dans la sagesse" (IV, 33). Cette sagesse consume toutes les actions "de même que le feu dévorant réduit le combustible en cendres" (IV, 37) ; c'est le suprême purificateur : "en vérité, en ce monde, rien ne purifie comme la Sagesse" (IV, 38). Maintenant vous pouvez voir pourquoi le Jñânî ne s'afflige pas. Pourquoi s'affligerait-il dans tous ces jeux de mâyâ ? Dans toute cette nature changeante pourquoi s'affligerait-il, lui qui réalise son unité avec le Soi invariable ? C'est pourquoi il est écrit, comme semence de tout le commentaire : "Le sage ne pleure ni sur les vivants ni sur les morts." Il est facile aussi de voir pourquoi il est écrit que les Sages regardent impartialement, d'un oeil égal, toutes choses : "Les Sages regardent avec la même sérénité un Brâhmane paré de savoir et d'humilité, une vache, un éléphant, et même un chien et un hors-caste" (V, 18). Les sages regardent tout impartialement, ils ne voient pas de différence, parce qu'ils voient le Soi résidant également en tous, autant dans le hors-caste que dans le Brâhmane, autant dans le chien que dans la vache ; ils voient le Soi en tous ; et ceux qui voient ainsi, et ceux-là seuls, sont sages. Tous les autres sont trompés par les apparences extérieures ; tous les autres sont sous la domination de mâyâ. Ceux qui ont surpassé mâyâ ne voient aucune différence, car tous sont les corps du Seigneur. Un tel homme a atteint "l'état de sagesse suprême" (XVIII, 50), et "en devenant Brahman, serein dans le Soi, il ne s'afflige pas et il ne désire pas : le même envers tous les êtres, [113] il obtient la dévotion suprême pour Moi. Par la dévotion il Me connait dans Mon essence, il sait qui Je suis et ce que Je suis ; ayant ainsi appris à Me connaitre en vérité il entre aussitôt dans le Suprême" (XVIII, 54, 55). "En eux la sagesse, brillante comme le soleil, révèle le Suprême… ils vont là d'où l'on ne revient pas, leurs péchés ont été chassés par la sagesse" (V, 16, 17).
Il y a une troisième forme de Yoga préliminaire, qui s'ajoute à celui de la dévotion et à celui du discernement. C'est Karma Yoga, le Yoga de l'Action. Mais quelle action ? L'action qui est sacrifice ; et ainsi il peut être justement appelé le Yoga du Sacrifice. Et puis ce Yoga préliminaire de l'action, ou du sacrifice, est quelquefois appelé simplement "Yoga par l'action, des Yogîs" (III, 3), sans aucun préfixe et cela pour les raisons que je vous ai données dans la précédente conférence, en parlant de l'activité et du parfait Yogî ; car ce Yoga reproduit dans le monde un grand nombre des caractéristiques qui appartiennent à l'activité finale du parfait Yogî ; par suite, le Yoga par la connaissance et le Yoga par l'action sont dits former le double sentier. Or, sur ce sentier du Yoga par l'action il y a de nombreuses et très sérieuses difficultés ; et la principale d'entre elles est la compréhension de l'action même. "Qu'est l'action ? Qu'est l'inaction ? Même les sages en sont troublés. C'est pourquoi je vais te déclarer ce qu'est l'action ; en le sachant, tu seras libéré du mal. Il est nécessaire de distinguer ce qu'est l'action, de distinguer l'action injuste ainsi que l'inaction ; mystérieux est le sentier de l'action. Celui qui peut voir
l'inaction dans l'action et l'action dans l'inaction, celui-là est sage parmi les hommes, il est équilibré [114] alors même qu'il accomplit toute action" (IV, 16-18). Voici les difficultés initiales qui vont entourer le Kartâ ; il lui faut découvrir ce qui doit être fait et ce qui doit être évité, discerner l'action droite de l'action erronée, l'activité juste de l'activité fausse ; et la première chose dont il doit se souvenir est : "C'est l'action seule qui te concerne, jamais ses fruits" (II, 47). Les fruits appartiennent au Seigneur qui dirige ; le résultat revient au Seigneur, lorsque l'action est faite comme sacrifice, car l'homme n'a rien à faire avec un sacrifice, en dehors de son accomplissement, et ce qui est le fruit du sacrifice est recueilli par les puissances supérieures et employé aux fins nécessaires. Et ainsi "c'est l'action seule qui te concerne". Réalisant cela, un homme doit "accomplir l'action juste" (III, 8) ; "constamment accomplir l'action qui est le devoir" (III, 19). Qu'est le devoir ? Qu'est l'action juste ? Telles sont les questions auxquelles il nous faut répondre, si nous voulons fouler surement le sentier de l'action, et ne pas être continuellement liés par nos activités, en recherchant inconsciemment le fruit. Le Seigneur nous dit très exactement ce qu'est l'action droite. C'est "agir en harmonie avec Moi" (III, 26). Vous devez discerner la Volonté divine dans l'évolution avant de pouvoir accomplir l'action droite ; mais, tout en cherchant continuellement une vision plus nette, vous pouvez suivre quelques règles préliminaires. Accomplissez les devoirs qui se présentent à vous et vous sont imposés par le karma, individuel, familial, social, national, car ils sont placés devant vous par le Seigneur. Celui qui agit correctement ne s'élance pas de tous côtés à la recherche des activités ; il choisit l'activité qui se présente [115] naturellement sur son chemin, et s'efforce de l'accomplir parfaitement, en se rappelant qu'en toute fonction qu'il remplit il est le Seigneur en action et n'est pas vraiment l'auteur de l'action (III, 27). Dans cet effort de compréhension, la sagesse se développe, car dans la tentative de discernement entre l'action droite et l'action erronée – qui est, souvent, le devoir ou l'action de quelqu'un d'autre, dont l'accomplissement est toujours un danger pour nous (III, 35) – l'effort développe la faculté. L'effort, par lui-même, élèvera celui qui agit dans les régions de la vision sure, affermira sa pensée et le guidera vers la Sagesse.
Une autre règle simple est celle des activités qui se présentent sur votre route, et sont utiles, parce que c'est un devoir qui est à votre portée ; celui qui agit correctement mesure sa propre force, et ne fait rien qui la dépasse ni rien qui ne l'emploie pas pleinement. Mais supposez que beaucoup de choses utiles se présentent à vous et soient dans vos capacités, mais que par leur nombre elles dépassent vos possibilités d'accomplissement ; elles peuvent paraitre réclamer votre intervention, se présenter comme des devoirs, mais vous n'avez ni la force ni le temps de les faire toutes ? Alors, la reconnaissance du fait que vous êtes limités par le temps aussi bien que par votre capacité vous désigne la sphère de votre devoir. C'est le nombre de toutes celles que vous pouvez faire selon votre capacité et selon le temps dont vous disposez, qui détermine votre devoir. Mais si, essayant de faire plus que vous ne pouvez faire parfaitement, vous cherchez à faire un nombre de choses que vous n'avez pas le temps de terminer, vous allez au-delà de l'action droite ; vous trouvez que votre temps [116] est limité et les "devoirs" vous semblent illimités ; et vous devez alors réaliser que ce que vous n'avez pas le temps de faire n'est pas votre devoir, mais le devoir d'un autre, et, encore une fois, que "le dharma d'un autre est plein de danger". Celui qui agit glisse dans le danger s'il essaye de faire plus que le temps et sa capacité ne lui permettent de faire. Vous pouvez dire : "Il y a tant à faire, tant de choses qui réclament mon intervention et mon temps, tant d'actions qui doivent être accomplies, et tant de choses à faire." C'est parfaitement vrai. Mais vous n'êtes pas la seule personne qui puisse faire tout cela. Vous n'êtes pas l'individualité solitaire, douée de tous les pouvoirs, de toutes les capacités, et maitre du temps, telle que le monde entier dépende de votre activité, et que rien ne puisse se faire sans que vous y mettiez votre propre petite main. C'est une erreur que beaucoup d'entre nous commettent et qui doit être évitée quand on foule le sentier de l'action. Ce que nous n'avons pas le temps de faire n'est pas notre devoir, et si nous le faisons, nous empêchons un autre de faire son devoir et le forçons au désoeuvrement. Le résultat de ce défaut de compréhension de ce qu'est le devoir, c'est qu'un homme est toujours effroyablement pressé et laisse la moitié de ses travaux inachevés parce qu'il n'a pas le temps de les terminer, et qu'un autre homme se repose, oisif, les mains vides, sans rien faire, parce que l'autre a tout pris avidement pour lui. Cela n'est pas "l'action qui est le devoir", car le Seigneur est le Temps, autant que tout le reste, et les limitations du temps sont les limitations placées en chacun de nous par le Seigneur. Si vous n'avez pas le temps de faire une chose dont la nécessité [117] s'impose, soyez surs que le Seigneur trouvera, pour Lui-même, d'autres exécuteurs et d'autres mains, car Il a des mains partout (XIII, 14) et non pas seulement reliées à un corps unique. Telle est la grande leçon pour les gens actifs, parce que les actifs sont souvent la cause de l'inaction des autres, de l'oisiveté, de la paresse, et
de toutes les dispositions qui entravent l'homme dans sa progression. Une activité outrée n'est pas le sentier de l'action, c'est le sentier du monde. Leçon difficile, je le sais, pour un homme actif, parce qu'une partie de son activité est un sentiment de capacité ; il est capable de faire les choses et il oublie souvent de mesurer le temps aussi bien que ses forces. Mais temps et force sont tous deux du Seigneur, et tous deux doivent être pris en considération. Et je sais que cela est vrai d'après ma propre expérience, car bien des choses se pressent autour de moi, me criant : "Faites-moi, occupez-vous de moi" ; et il y en a beaucoup plus que je ne pourrais en faire, mais j'avais l'habitude d'essayer de les faire toutes, et j'échouais, et je n'avais jamais le sentiment d'avoir accompli une seule chose parfaitement bien. Alors j'ai compris que le Seigneur pouvait très bien se passer de moi, et ne dépendait pas d'un corps particulier dans lequel, après tout, il était l'Acteur et non pas moi, et qu'Il avait de nombreux corps dans lesquels Il pouvait agir. Ensuite j'ai réalisé que faire ce que je pouvais faire bien, et laisser le reste de côté, était le sentier de la sagesse dans l'action. Et j'ai toujours constaté que, lorsque ce qui, par suite du manque de temps, n'est pas de notre devoir est laissé de côté sans y toucher, d'autres se présentent aussitôt, qui s'en chargent, et ainsi l'ensemble [118] du travail est mieux fait, quand une seule personne n'essaie pas de l'accaparer.
Comment un homme actif apprendra-t-il cette leçon ? Il l'apprend au moyen de cette grande vérité : "Je ne suis pas celui qui agit." "Le soi, trompé par l'égoïsme, pense : "C'est moi qui agis" (III, 27). Il n'en est pas ainsi. L'homme sage dit : "Je ne fais rien", doit penser celui qui est harmonisé, qui connait l'essence des choses ; en voyant, en entendant, en touchant, en sentant, en mangeant, en se mouvant, en dormant, en respirant, en parlant, en donnant, en saisissant, en ouvrant et en fermant les yeux, il affirme : "Les sens se meuvent au milieu des objets des sens"" (V, 8, 9). "Je ne fais rien." Voilà ce que veut dire l'inaction dans l'action (IV, 18). Comme son Seigneur il se tient au-dessus des qualités et laisse agir les qualités. Il surveille le travail, et lorsqu'il réalise : "Je n'agis en rien", alors toute l'activité opère correctement à travers lui, et toutes choses avancent sans heurt sur la route qui leur est fixée. La grande leçon pour celui qui exécute l'action est : "Je ne suis pas celui qui agit." Et cela, l'homme doit le répéter pendant qu'il accomplit les actions. Il n'y a qu'un seul Auteur, le Seigneur Suprême, et l'être humain qui agit n'est qu'une de Ses mains, une main mise dans le monde des hommes pour accomplir un certain travail séparé ; ce n'est pas l'affaire de la main de se demander comment tout le travail qui attend partout sera fait, elle n'a à s'occuper que du meilleur moyen de mener à bien la tâche particulière qu'elle a à accomplir. Et si vous pouvez vous figurer que vous n'êtes vous-mêmes qu'une main – une main capable de penser, de manière à trouver le meilleur [119] moyen – alors vous perdrez dans chaque cas la tentation d'entreprendre de multiples et impossibles tâches. Si un homme veut peindre, il n'a pas besoin de tenir dans sa main, en même temps, un pinceau, une plume, un crayon, et aussi peut-être un rabot, un marteau, même une hache ; mais il lui faut un pinceau quand il veut peindre, et quand il veut raboter il doit saisir un rabot ; quand il veut écrire il doit prendre une plume, et quand il veut dessiner il doit prendre un crayon. Un seul outil à la fois, telle est la méthode de la sagesse en action. Faites parfaitement tout ce que vous faites, car il faut vous rappeler que vous devez reproduire dans votre travail la perfection de votre Seigneur, et il est mieux de faire une chose de façon parfaite que d'en faire cent d'une façon imparfaite. Afin de pouvoir agir ainsi, l'homme doit non seulement perdre l'attachement au fruit de l'action (III, 19), mais il doit accomplir toute action au nom du sacrifice (III, 9). Cette grande Loi du Sacrifice qui soutient l'Univers doit trouver sa personnification dans l'homme d'action. Toute la nature est soutenue par le sacrifice. Dans le quatrième chapitre le Seigneur donne une longue description des diverses espèces de sacrifice que les hommes accomplissent. Tous ces hommes, dit-Il, connaissent le sacrifice (IV, 30) et toute action doit être faite pour l'amour du sacrifice.
Quelle est la Loi ? C'est que tous les êtres doivent vivre par le sacrifice des vies d'autres êtres et, par conséquent, que chaque être, quand il devient soi-conscient, doit être prêt à payer sa dette en se sacrifiant lui-même. Ce n'est pas seulement chez les hommes que la Loi est appliquée. Elle se découvre parmi les minéraux, les végétaux et [120] les animaux. La pierre est broyée pour nourrir le végétal ; le végétal est arraché pour nourrir l'animal ; les animaux cherchent leur proie parmi les animaux et le plus fort dévore le plus faible ; les hommes cherchent une proie parmi les hommes, s'entredévorant d'abord physiquement, pour se nourrir, et plus tard par des moyens différents. La Loi du Sacrifice est partout présente dans la Nature, parce que le Seigneur est le Seigneur du Sacrifice, et le premier sacrifice est Son propre sacrifice de Lui-même. Il est le Purusha dont le corps est cédé dans toutes ses parties pour constituer l'Univers entier. La Loi du Sacrifice doit être graduellement apprise dans l'homme par la Soi-conscience. L'homme, à mesure qu'il évolue, voit qu'il vit par le sacrifice d'autres vies, et il se dit à lui-même : "Les pierres meurent pour moi, afin d'entretenir le règne végétal ; les végétaux meurent pour moi, afin que mon corps puisse être entretenu ; les animaux me cèdent leurs vies, toujours attelés à mon service et dressés pour servir mes travaux ; mon corps est le résultat d'actes de sacrifice innombrables et il continue de vivre uniquement par le sacrifice continuel d'autres vies ; des vies innombrables sont édifiées dans le corps dont je suis revêtu, de sorte que mon corps est l'autel sur lequel des myriades de vies sont sacrifiées. Alors, en commune justice, je dois payer tous ces sacrifices par le sacrifice de moi-même, et ainsi faire tourner la roue de la vie. Je dois m'abandonner aux autres. Je dois vivre pour les autres hommes. Je dois vivre pour le règne animal, pour le règne végétal et le règne minéral, qui tous peuvent être évolués plus rapidement avec mon aide ; puisque je suis le [121] résultat du sacrifice, je dois être un sacrifice."
Ensuite, un homme apprend à distinguer entre les vies qui lui sont sacrifiées et il cherche à entretenir sa propre vie en exigeant des autres le minimum de sacrifices qu'il lui sera possible de demander. Et ainsi, parmi les myriades de vies qui s'offrent à lui, il choisit celles dans lesquelles la conscience est la moins développée pour bâtir sa propre charpente ; quant aux vies plus conscientes, il cherche à les dresser et à les discipliner, pour les aider elles-mêmes aussi bien que pour son service, et il cherche à évoluer personnellement tout en les faisant évoluer, et ainsi la Loi du Sacrifice devient la loi de sa vie. Il s'associe lui-même à cette loi dans chaque action de sa vie. Sur le sentier Nivritti (du retour) il paye les dettes qu'il a contractées sur le sentier Pravritti (de l'allée). Par suite, ce qui est son devoir, ce qui est dû par lui, il s'efforce toujours de le faire, payant ainsi ses dettes. Il sacrifie ainsi le résultat de toutes ses actions, qui ne sont pas les siennes mais celles du Seigneur, et ainsi il devient parfait dans l'action ; car seul l'homme qui ne se soucie pas du fruit est capable d'accomplir l'action de façon parfaite. Cela nous parait-il étrange, quand nous voyons que tous les hommes sont poussés à l'activité par le désir du fruit de l'action ? Quand nous voyons les hommes qui perdent le désir des fruits de l'action devenir nonchalants, inactifs, paresseux ? Mais un nouveau motif pour agir est né chez celui qui agit véritablement, qui, pensant uniquement à Son Seigneur et se considérant lui-même comme le canal qu'utilise le Seigneur, ne se soucie nullement de ce qu'on appelle succès ou insuccès, puisque le seul succès qu'il connaisse [122] est l'accomplissement de Sa Volonté, et le seul insuccès qu'il puisse imaginer
est d'aller contre cette Volonté qui est la loi de sa vie. Ce que le monde nomme succès ou insuccès, en quoi cela peut-il l'intéresser ? Ces choses se rencontrent toutes deux sur le sentier du devoir. Pourquoi s'inquièterait-il de savoir si la construction qu'il édifie est destinée à abriter l'homme directement de l'orage extérieur, ou si elle doit seulement fournir une base solide sur laquelle quelque édifice plus important s'élèvera dans l'avenir ? Les fondations des édifices sont faites des matériaux démolis provenant d'autres édifices. Même lorsque physiquement vous voulez bâtir quelque chose de neuf, vous devez employer une certaine quantité de briques cassées et de pierres, et les mettre en place pour commencer à établir la fondation ; et beaucoup de choses qui sont les temples de l'avenir trouvent leurs fondations préparées dès aujourd'hui dans les échecs apparents de ceux qui travaillent pour le Seigneur. Pourquoi donc seraient-ils préoccupés ? Où est l'insuccès s'ils Lui apportent ce dont Il a besoin pour Son édifice de l'avenir ? Et vu que celui qui agit justement sait que lui-même, entouré de mâyâ, est souvent trompé et aveuglé, que ce qu'il pense être bon et faire partie du plan peut en réalité n'être pas du tout dans le plan, et qu'il peut souvent se tromper dans ses projets et dans la façon de mener son travail, il travaille de bon coeur et sans attachement, et quand il construit quelque chose qui lui semble être très beau et très utile, et que tout cela s'écroule autour de lui, il n'est pas ému, il n'est pas troublé, il ne s'inquiète pas ; il consent à ce que tout soit brisé, si ce n'est pas ce que le Seigneur demande [123] pour Son édifice. Cela le regarde-t-il, lui qui est la main du Seigneur, si les ruines de son bel édifice doivent servir de fondation pour le vrai Temple ? Si le métal qu'il prépare ne peut servir, il jette le tout joyeusement dans le creuset, sûr que seules les scories seront brulées et que l'or restera. Les scories elles-mêmes ont leur propre emploi, et elles contribueront avec les pierres et les briques cassées à établir une fondation, sinon l'édifice achevé. Et c'est ainsi qu'il vit, qu'il travaille, et en travaillant ainsi, sans désir, il peut travailler d'une façon parfaite. Il peut saisir la vision de chacun des signes de son Seigneur, quand le désir ne l'aveugle pas. Il peut saisir le plus léger murmure, quand il est sourd aux bruits du monde extérieur.
En suivant ce sentier de l'action, par le Yoga du Sacrifice, il devient également libre. "Quoi que tu fasses, quoi que tu manges, quoi que tu offres, quoi que tu donnes, quelque effort d'austérité que tu fasses, ô Kaunteya, fais-le comme une offrande que tu Me fais. C'est ainsi que tu te libèreras des liens de l'action, qui produit des fruits bons et mauvais" (IX, 27, 82). L'action aussi conduit ainsi à la libération, et au parfait Yoga, l'union avec le Suprême.
Mais un seul Seigneur est l'Objet de toute dévotion ; mais un seul Seigneur est le Sujet de toute Sagesse ; mais un seul Seigneur est la Source de toute activité. Un seul Seigneur et, par conséquent, une seule humanité ; un seul Seigneur et, par conséquent, l'Unité dans tout l'ensemble du corps du Seigneur ; un seul Seigneur, une seule Vie, une seule Fraternité, voilà ce qui ressort de notre étude. Les sages apporteront l'aide de leur sagesse, [124] les affairés celle de leur activité, les dévots celle de leur amour, et ils fondront ensemble le tout pour en faire un corps parfait. Lorsque l'univers aura fait son oeuvre, et que le jour du repos aura lui, alors la gloire du corps du Seigneur resplendira dans tous les tempéraments divers, dans toutes les activités, dans toutes les pensées, dans tous les désirs ; ce sont les cellules et les tissus qui construisent ce Corps glorieux. Nous verrons alors, naissant d'un univers, se lever dans ce Corps de Lumière le Seigneur d'un autre univers, et nous, qui faisons partie de Son Corps, nous travaillerons avec Lui, dans ce nouvel univers, plus parfaitement que nous ne l'avons fait ici. Tel est l'enchainement d'âge en âge, d'univers en univers ; et où, je le répète, où est la douleur, où est l'illusion, quand ainsi nous avons vu l'Unité ?


FIN DU LIVRE

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