PROTESTATION DE MADAME BLAVATSKY


"La Société des recherches psychiques vient de publier le rapport fait à l'un de ses comités par M. Hodgson, l'agent envoyé dans l'Inde pour approfondir la nature de certains phénomènes représentés comme ayant eu lieu au [124] quartier général de la Société théosophique aux Indes et ailleurs, et à la production desquels j'ai été directement ou indirectement mêlée. Ce rapport m'attribue une conspiration avec les Coulomb et plusieurs Indous pour en imposer à la crédulité de diverses personnes de mon entourage, par des moyens frauduleux, et déclare authentiques une série de lettres soi-disant écrites par moi à Mme Coulomb, au sujet de cette prétendue conspiration ; ces lettres, je les ai déclarées moi-même en grande partie fausses. Fait étrange, depuis le moment où l'enquête a commencé, voilà quatorze mois, jusqu'à ce jour, où je suis déclarée coupable par ceux qui se sont constitués mes juges, il ne m'a jamais été permis de voir ces lettres accablantes. J'attire l'attention de tout Anglais impartial et honorable sur ce fait.
Sans entrer à présent dans un examen minutieux des erreurs, des inconséquences et du mauvais raisonnement de ce rapport, je désire donner le plus de publicité possible à ma protestation indignée et emphatique contre les grossières éclaboussures dont j'ai été ainsi couverte par le comité de la Société des recherches psychiques, à l'instigation de [125] l'enquêteur unique, incompétent et déloyal, dont ils ont accepté les conclusions. Dans tout le présent rapport il n'y a pas, une accusation contre moi qui pût soutenir l'épreuve d'une enquête impartiale sur place, où mes propres explications pourraient être contrôlées par l'examen de témoins. Elles ont été développées uniquement dans l'esprit de M. Hodgson, et ont été cachées à mes amis et collègues tout le temps qu'il est resté à Madras, abusant de l'hospitalité et de l'aide qui lui fut donnée sans réserves pour ses recherches au quartier général de la société à Adyar, où il prit l'attitude d'un ami, bien qu'à présent il représente comme des trompeurs et des menteurs les gens avec qui il a été ainsi en rapport. Les accusations présentées sont soutenues d'un côté seulement par les preuves réunies par lui, et quand le temps est passé où lui-même pourrait être confronté avec des preuves contraires et avec des arguments que ne pouvait lui fournir sa connaissance très limitée du sujet auquel il a essayé de s'attaquer. M. Hodgson, s'étant ainsi tout d'abord constitué accusateur et ministère public, et s'étant dispensé de la défense dans les transactions compliquées qu'il examinait, me trouve [126] coupable de tous les méfaits qu'il m'a imputés en sa capacité de juge, et déclare que mon archi-imposture est un fait établi.
Le comité de la SRP n'a pas hésité à accepter en substance le jugement général ainsi prononcé par M. Hodgson, et m'a insultée publiquement en donnant son opinion favorable aux conclusions de son agent, opinion qui repose uniquement et simplement sur le rapport de ce seul député.
Partout où peuvent être compris les principes de la loyauté et un généreux souci de la réputation des personnes diffamées, je crois que la conduite du comité sera regardée avec des sentiments voisins de la profonde indignation que je ressens. Je n'ai pas de doute qu'à un moment donné d'autres écrivains dévoileront l'enquête élaborée mais mal dirigée de M. Hodgson, sa précision affectée, qui dépense une patience infinie sur des riens et reste aveugle aux faits importants, ses raisonnements contradictoires et son incapacité manifeste à s'occuper de problèmes comme ceux qu'il a essayé de résoudre. Beaucoup d'amis qui me connaissent mieux que le comité de la SRP resteront indifférents aux opinions de cette compagnie, et je dois [127] abandonner entre leurs mains ma réputation si maltraitée. Mais il est un passage de ce monstrueux rapport auquel je dois tout au moins répondre en mon propre nom.
Comprenant vivement l'évidente absurdité de ses conclusions à mon sujet, tant qu'elles ne seront étayées d'aucun motif qui puisse expliquer théoriquement le dévouement de toute ma vie à mon oeuvre théosophique au prix de la situation que m'assurait la nature dans la société de mon pays, M. Hodgson a eu la vilénie de distiller la supposition que je suis un agent politique de la Russie, que j'ai inventé un faux mouvement religieux pour saper le gouvernement britannique dans l'Inde ! Se prévalant pour colorer cette hypothèse d'un vieux fragment de mon écriture apparemment fourni par Mme Coulomb, et qu'il n'a pas su reconnaitre pour ce qu'il est, c'est-à-dire pour un passage d'une traduction que je fis jadis pour le Pioneer d'après certains voyages russes dans l'Asie centrale, M. Hodgson a lancé contre moi cette théorie dans son rapport, que les messieurs de la SRP n'ont pas rougi de publier. Voilà près de huit ans que je me suis fait naturaliser citoyenne des États-Unis, ce qui m'a fait perdre [128] tout droit à ma pension annuelle de 5.000 roubles comme veuve d'un haut fonctionnaire russe ; j'ai constamment élevé la voix dans l'Inde pour répondre à tous mes amis indigènes que, si mauvais que me semble le gouvernement anglais sous certains rapports, à cause de son manque de sympathie, le gouvernement russe serait mille fois pire ; j'ai écrit dans ce sens à des amis indiens avant de quitter l'Amérique pour l'Inde, en 1879 ; quiconque est au courant de mon but, de mes habitudes, de la vie si peu déguisée que j'ai menée dans l'Inde, sait que je n'ai ni gout ni penchant pour aucune espèce de politique, mais que toutes me sont antipathiques à l'excès ; le gouvernement de l'Inde, qui lors de mon arrivée dans ce pays soupçonnait en moi une espionne parce que j'étais Russe, n'a pas tardé à abandonner son inutile espionnage, et n'a jamais eu depuis, que je sache, la moindre tendance à me soupçonner ; en présence de pareils faits, la théorie de l'espionnage russe que M. Hodgson a ainsi ressuscitée du tombeau où elle était enfouie depuis des années sous le ridicule, ne servira qu'à rendre ses conclusions sur moi plus extravagantes et plus stupides encore qu'elles ne l'auraient été sans [129] cela, dans l'estime de mes amis et de tous ceux qui me connaissent réellement. Mais regardant ce caractère d'espion avec le dégout que peut seul ressentir un Russe qui n'en est pas un, je sens l'impulsion irrésistible de répudier la vaine et infâme calomnie de M. Hodgson avec un mépris encore plus concentré que celui que me semble mériter sa manière générale de procéder, et que mérite également le Comité de la société qu'il sert. En adoptant ses absurdités en bloc, ce groupe fait voir qu'il est composé de personnes encore moins aptes à explorer les mystères des phénomènes psychiques que je n'aurais cru qu'on en pût trouver parmi les hommes éduqués d'Angleterre, à l'époque actuelle, et après tout ce qui a été écrit et publié sur le sujet en ces dernières années.
M. Hodgson sait bien, et sans doute le comité partage cette conviction, qu'il est à l'abri de mes poursuites en diffamation, parce que je n'ai pas d'argent pour engager une procédure couteuse (ayant donné tout ce que j'avais à la cause que je sers) ; et aussi parce que ma réclamation entrainerait un examen des mystères psychiques dont ne peut s'occuper loyalement une cour de justice ; et [130] encore parce qu'il y a des questions auxquelles j'ai pris l'engagement solennel de ne jamais répondre ; qu'une enquête légale sur ces calomnies amènerait inévitablement ces questions à la surface, et que mon silence et mon refus d'y répondre seraient interprétés comme mépris pour la cour. Cet état de choses explique l'attaque éhontée faite contre une femme sans défense, et l'inaction à laquelle je suis si cruellement réduite en face de cette attaque.
H. P. BLAVATSKY. 14 janvier 1886."
Il y a une politique qu'elle ne voulut jamais tolérer, en ce qui concerne les Maitres, les phénomènes accomplis par son intermédiaire, et les communications venues d'eux : c'est celle qui consiste à essayer de séparer l'occulte de la philosophie, à esquiver la critique et l'hostilité d'un monde ignorant en exaltant la philosophie aux dépens de l'occulte. Agir ainsi, a-t-elle déclaré à plusieurs reprises, c'était pousser à la destruction de la Société. Elle avait amèrement conscience de la déloyauté avec laquelle elle avait été traitée, et de la manière dont beaucoup de théosophes consentaient [131] à la sacrifier à la foule, tout en profitant de ses enseignements, et en déclarant que la Société théosophique avait ses propres fondements et pouvait continuer d'exister, même si elle était considérée comme un imposteur. C'est pour protester contre cela qu'elle écrivit de Suisse à Adyar, déclarant que toute prête qu'elle était à sacrifier sa vie et son honneur pour l'amour de la Société, c'était la mort pour celle-ci si l'on devait abandonner comme des impostures les manifestations des Maitres et leurs communications ; elle citait en les approuvant :
"ceux qui soutiennent que la ST., moins les Maitres, est une absurdité ; et qu'étant l'unique moyen pour communiquer avec les Maitres et répandre leur philosophie, si je ne continue à travailler pour la Société comme par le passé, la Société mourra".
Elle a constamment affirmé que la Société n'était digne de vivre, que si celle-ci se portait garant et restait un canal pour l'enseignement des Maitres ; et elle n'en prenait soin que pour en faire un instrument apte à accomplir leur oeuvre dans le monde.
Ce qu'était H. P. Blavatsky, le monde peut-être le saura un jour, Elle était de stature héroïque, et les âmes plus petites ressentaient [132] instinctivement sa force, sa nature titanesque. Sans souci des conventions ni des apparences, franche jusqu'à manquer de sagesse – de ce que le monde estime comme sagesse, – trop honnête pour compter sur la malhonnêteté d'autrui, elle s'exposait continuellement à la critique et au malentendu. Remplie de force intellectuelle et de connaissances extraordinaires, elle était humble comme un petit enfant. Brave jusqu'à l'insouciance, elle était pleine de pitié et de tendresse. Passionnément indignée quand on l'accusait de fautes qu'elle méprisait, elle était généreuse et prête au pardon envers un ennemi repentant. Elle avait cent vertus splendides, et quelques légers défauts. Puisse le Maitre qu'elle a servi avec un courage inébranlable, avec un dévouement sans défaillance, nous envoyer de nouveau "le Frère que vous connaissez sous le nom de HPB, et nous – sous un autre nom".
FIN DU LIVRE