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LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

KARMA Par Annie BESANT - 1895

LE FONCTIONNEMENT DE KARMA

LE FONCTIONNEMENT DE KARMA


Quand l'Âme a épuisé sa vie dévachanique et fini d'assimiler tout ce qu'elle a pu des matériaux recueillis pendant sa dernière existence terrestre, elle commence par être attirée de nouveau vers la terre par les liens du désir qui la rattachaient à la vie matérielle. La dernière étape de sa période de vie se présente à elle, étape que va fermer le Portail de la naissance et pendant laquelle elle prendra un nouveau vêtement, un nouveau corps, pour une autre expérience de vie terrestre.
L'Âme franchit le seuil du Dévachan pour [61] passer sur ce qui a été appelé le plan de la Réincarnation apportant avec elle les résultats, grands ou petits, de son travail dévachanique. Si c'est une Âme jeune, elle n'aura gagné que peu de chose, car, au début de l'évolution de l'Âme, les progrès sont plus lents que ne le pense la génération des étudiants, et, pendant son enfance, ses jours d'existence se succèdent avec monotonie, chacune de ses vies terrestres ne semant que peut et chaque Dévachan ne murissant qu'un petit nombre de fruits. Mais, à mesure que ses facultés se développent, sa croissance va de plus en plus vite ; si bien que l'Âme qui entre en Dévachan avec une abondance de matériaux en sort avec un grand accroissement de facultés, et cela d'après les lois générales dont il a été question.
L'Âme quitte le Dévachan revêtue seulement de l'enveloppe qui subsiste et se perfectionne pendant la durée du Manvantara, entourée de l'aura qui lui appartient en tant qu'individualité ; cette aura est plus ou moins resplendissante ou parée de couleurs diverses, plus ou moins lumineuse, précise ou étendue, selon le degré d'avancement que l'Âme a atteint dans l'évolution. C'est au feu [62] qu'elle a été forgée, et c'est comme Roi Soma 12 qu'elle fait son apparition.
En passant sur le plan astral, pendant son retour vers la terre, elle se revêt de nouveau d'un corps du désir ; – c'est le premier résultat de l'élaboration de son Karma passé. Les images mentales formées jadis avec "des matériaux émanant du désir, devenus latents dans la conscience – ou ce que H. P. Blavatsky avait coutume d'appeler des privations de la matières, – des choses capables d'exister, mais en dehors de toute manifestation matérielle", – sont alors projetées au dehors par l'Âme, soutirent immédiatement de la matière du plan astral les éléments kamiques de même nature qu'elles, et deviennent les appétits, les passions et les émotions inférieures du corps du désir de l'Égo dans ses nouvelles réincarnations 13. Ce travail accompli, – travail tantôt très court et tantôt très prolongé – l'Égo se présente dans le vêtement kâmique qu'il s'est [63] préparé, prêt à être "habillé", à recevoir des mains des agents des Hauts Seigneurs du Karma le double éthérique 14 construit pour lui en rapport avec les éléments qu'il a fournis lui-même et d'après lequel une forme sera donnée à son corps physique, – la maison qu'il aura à habiter durant sa nouvelle vie terrestre. Ainsi se trouvent construits immédiatement, d'eux-mêmes, pour ainsi dire, l'Égo individuel et l'Égo personnel ; ce qu'il a pensé il l'est devenu ; ses qualités, ses "dons naturels" s'attachent tous à lui comme les résultats directs de ses pensées. L'homme, en toute vérité, est créé par lui-même ; il est, dans le sens le plus complet du mot, responsable de tout ce qu'il est.

12 Nom mystique, plein de signification pour celui qui connait le rôle joué par Soma dans certains mystères antiques.

13 Voir plus haut, pages 48 et 49.
14 Appelé jusqu'ici le Linga Sharîra, dénomination qui a donné lieu à beaucoup de confusion.

Or cet homme va posséder un corps physique et un corps éthérique qui conditionneront largement l'exercice de ses facultés ; il va vivre dans un milieu particulier qui influencera ses manifestations extérieures ; il va suivre un sentier tracé par les causes qu'il a mises en mouvement et qui sont différentes de celles dont ses facultés [64] lui présentent les effets ; il va être mêlé à des évènements joyeux et tristes, résultat des forces qu'il a générées. Il semble qu'il ait besoin ici de quelque chose de plus que sa nature individuelle et personnelle. Comment le terrain sera-t-il préparé pour l'exercice de ses énergies ? Où trouver et comment adapter les uns aux autres les instruments opportuns et les circonstances réagissantes ?
Nous approchons d'une région dont on ne peut utilement parler que très peu, en ce sens qu'elle est celle de puissantes Intelligences Spirituelles, Dont la nature est bien au-delà de la portée de nos facultés limitées, Dont il est loisible, il est vrai, de connaitre l'existence et d'indiquer les oeuvres, mais vis-à-vis Desquelles nous tenons la place que le moins intelligent des animaux inférieurs occupe par rapport à nous ; cet animal peut savoir que nous existons, mais il n'a aucune idée de la nature et de l'étendue des opérations de notre conscience. Ces Grands Êtres sont dits les Lipikas et les quatre Mahârâjahs. On jugera, d'après les lignes suivantes, du peu que nous pouvons savoir sur les Lipikas : [65]

"Les Lipikas, dont la description est donnée au 6e Commentaire de la stance VI sont les Esprits de l'Univers.
(Ils) appartiennent à la partie la plus occulte de la cosmogénèse, qu'on ne peut révéler ici. L'auteur ne saurait dire si les Adeptes, même les plus élevés, connaissent cet ordre angélique dans l'intégralité de ses triples degrés, ou s'ils ne connaissent que son degré inférieur, celui qui a rapport aux annales de notre monde, – mais il aurait tendance à incliner vers cette dernière supposition. Au sujet des degrés les plus élevés de l'ordre on n'enseigne qu'une chose, c'est que les Lipikas sont en relation avec Karma, dont ils sont les archivistes immédiats." 15
"Ils sont les "Sept Seconds" et Ils tiennent les archives astrales, remplies des images akâshiques dont il a été question 16. Ils sont reliés à la destinée de chaque homme, à la naissance de chaque enfant." 17 [66]
"Ils donnent "le moule du Linga Sharîra" 18 type du corps physique approprié à l'expression des facultés mentales et passionnelles évoluées par l'Égo qui doit y habiter et ils le remettent aux "Quatre", aux Mahârâjahs qui sont les protecteurs de d'humanité et aussi les agents de Karma sur terre." 19
C'est d'eux que H. P. Blavatsky écrit encore, en citant la cinquième Stance du Livre de Dzyan :
"Quatre "Roues ailées à chaque coin […] pour les quatre saints et leurs armées". Ceux-ci sont les "Quatre Mahârâjahs" ou Grands Rois des Dyâns Chohans, les Devas, qui président à chacun des quatre points cardinaux […]

15 Doctrine secrète, Volume 1, page 113.
16 Voir – plus haut – page 37.
17 Doctrine Secrète, page 88.
18 Voir – plus haut – page 50.
19 Doctrine secrète, Volume 1, page 111.

Ces Êtres sont également en rapport avec Karma qui a besoin d'agents physiques et matériels pour exécuter ses décrets." 20 [67]
En recevant des Lipikas le moule – ou, encore une fois, la "privation de matière" – les Mahârâjahs choisissent, pour composer le double éthérique, les éléments appropriés aux qualités qu'il devra servir à exprimer, et ce double éthérique devient ainsi un instrument karmique convenable pour l'Égo, à qui il donne, à la fois, le moyen d'exprimer les facultés qu'il a évoluées, et les limitations qu'il s'est imposées à lui-même par ses fautes passées et sa négligence à saisir les occasions favorables. Les Mahârâjahs guident ce moule vers le pays, la race, la famille, le milieu social qui offrent le terrain le plus favorable à l'accomplissement du Karma qui va être le lot de la part de vie particulière en question, celui que l'Indou appelle Prârabdah ou Karma commençant, c'est-à-dire, celui qui doit être épuisé pendant la période de vie qui commence. Une seule existence ne suffit pas à épuiser tout le Karma accumulé dans le passé. On ne saurait fabriquer Un instrument ni trouver un milieu permettant d'exprimer toutes les facultés que l'Égo a lentement évoluées, avec toutes les circonstances nécessaires à la récolte de toutes les moissons semées dans le passé, la possibilité de remplir toutes les obligations contractées envers d'autres Égos avec [68] lesquels l'Âme appelée à la réincarnation s'est trouvée en contact au cours de sa longue évolution. Ce n'est donc que la portion du Karma total pouvant être combinée en vue d'une seule période d'existence, qui trouve un double éthérique approprié ; le moule de ce dernier est alors guidé vers le terrain propice. Il est placé là où l'Égo pourra entrer en relations avec quelques-uns de ces Égos qu'il a connus dans son passé et qui sont eux-mêmes incarnés ou vont l'être pendant sa propre période d'existence. Le pays choisi est tel, qu'il s'y trouve des conditions religieuses, politiques et sociales appropriées à certaines de ses capacités, et compatibles avec l'occurrence de certains des effets qu'il a générés. Il est fait choix d'une race qui, – tout en étant soumise aux lois plus générales de l'incarnation dans les races, lois dont il ne peut être question ici, – présente des caractéristiques analogues à certaines des facultés qui sont près d'éclore, et dont le type convient à l'Âme en voie de réincarnation. Puis, une famille est trouvée, dans laquelle l'hérédité physique a fait évoluer le genre de matériaux physiques qui, rassemblés dans le double éthérique, s'adapteront à sa constitution ; une famille dont l'organisation : matérielle, générale ou particulière [69] laissera le jeu libre aux natures passionnelle et mentale de l'Égo. Parmi les qualités multiples qui sont dans l'Âme, et les multiples types physiques qui existent dans le monde, il peut être fait choix de tels d'entre eux qui s'adaptent les uns aux autres ; une enveloppe peut être faite qui soit à la mesure de l'Égo en attente ; il peut lui être donné un instrument et un champ d'action lui permettant d'évoluer une partie de son Karma. Tout insondables que soient pour nos faibles moyens la connaissance, et le pouvoir nécessaires pour de pareilles adaptations, nous pouvons cependant entrevoir confusément qu'elles peuvent être réalisées, et que parfaite justice peut être faite.
Certes, la trame d'une destinée humaine peut être composée de fils qui nous paraissent innombrables, destinés à former un dessin d'une indescriptible complication ; un fil a-t-il disparu ? c'est qu'il a simplement passé en dessous pour revenir plus tard à l'endroit ; un fil se montre-t-il subitement ? c'est que, à la suite d'un long trajet en dessous, il s'est repris à émerger. Pour nous qui ne voyons qu'une partie du tissu, le destin peut échapper à notre faible vue. Cependant, ainsi que l'a décrit le sage Jamblique : [70]
"Ce qui nous semble être une définition exacte de la justice n'a pas le même aspect pour les Dieux. En effet, ne regardant que ce qui est le plus près de nous, nous ne portons guère notre attention que sur les choses du présent, sur cette vie d'un moment et la façon dont elle subsiste. Au contraire, les Puissances qui nous sont supérieures connaissent l'ensemble de la vie de l'Âme et toutes ses existences précédentes." 21

20 Doctrine Secrète, Volume 1, page 107.
21 Sur les mystères, IV, 4. Cf. la nouvelle édition de la traduction de Thomas Taylor, publiée par la Société Théosophique, pages 209-210.


L'assurance que "le monde est régi par la justice parfaite" s'affirme à mesure qu'augmente la connaissance de l'Âme en évolution. En effet, dès que l'Âme progresse, et commence à voir sur les plans élevés et à transmettre ce qu'elle sait à la conscience éveillée, nous apprenons avec une certitude toujours croissante, et, par suite, avec joie, que la bonne loi agit avec une exactitude invariable, que ses agents l'appliquent partout d'une façon infaillible, avec une force invincible, et que tout, dans ce monde où les Âmes luttent, est pour le mieux. Dans les ténèbres retentit ce cri : "Tout va bien", poussé par les Âmes qui veillent, qui [71] portent le flambeau de la sagesse divine à travers les chemins obscurs de notre cité humaine.

Examinons quelques-uns des principes suivant lesquels opère la loi ; leur connaissance nous aidera à découvrir les causes et à comprendre les effets.
Nous avons vu déjà que les pensées construisent le caractère ; rendons-nous compte, à présent, que les actions font l'entourage.
Ici nous avons affaire à un principe général, dont les effets sont très étendus ; aussi est-il bon de l'étudier un peu en détail. Par ses actions, l'homme affecte ses voisins sur le plan physique ; il répand autour de lui le bonheur ou cause la détresse ; il augmente ou diminue la somme du bienêtre humain. Cette augmentation ou diminution de bonheur peuvent être dues à des motifs très divers : bons, mauvais, ou tenant des deux. Un homme peut répandre au loin le bonheur par un acte de pure bonté, par désir de réjouir ses semblables ; il peut, par exemple, dans ce but offrir à une ville un parc pour le libre usage des [72] habitants. Un autre peut accomplir le même acte par ostentation, par désir d'attirer l'attention de ceux qui distribuent les honneurs sociaux : mettons que ce don lui ait servi comme moyen d'obtenir un titre quelconque. Un troisième peut faire hommage d'un parc pour des raisons diverses, les unes égoïstes, les autres désintéressées. Ces motifs agiront différemment sur le caractère des trois hommes dans leurs incarnations futures : les uns iront vers le progrès ; les autres vers la déchéance ; d'autres n'obtiendront que de petits résultats. Mais l'effet de l'acte qui cause du bonheur à un grand nombre de personnes ne dépend pas du mobile qu'a déterminé le donateur ; tous jouissent du parc, au même titre ; peu importe le motif qui a inspiré la donation, et cette jouissance établit, pour le donateur, un droit karmique que la Nature lui paiera scrupuleusement comme une dette. Il recevra un entourage physiquement confortable ou luxueux, parce qu'il a procuré un agrément physique étendu ; le sacrifice qu'il a fait de biens physiques lui apportera sa récompense légitime, le fruit karmique de son action. Tel est son droit. Mais l'usage qu'il fera de sa situation, le bonheur qu'il tirera de sa fortune et de son entourage dépendront principalement de son caractère, et [73] là encore, la juste récompense lui échoit, chaque semence portant sa moisson propre.
Le fait de rendre service dans toute la mesure des occasions qui se présentent, pendant une vie, aura pour effet, dans une autre vie, d'amener des occasions de servir plus nombreuses ; et ainsi, celui qui, dans une sphère très limitée, aura aidé tous ceux qu'il a trouvés sur sa route, renaitra dans une situation où les possibilités de rendre de sérieux services seront nombreuses et étendues.
De même, les occasions manquées réapparaissent, transformées en obstacles à l'action et en infortunes dans l'entourage. Par exemple, le cerveau du double éthérique sera construit d'une façon défectueuse et produira un cerveau physique défectueux ; l'Égo fera des projets, mais se sentira inférieur au point de vue de l'exécution ; ou bien il s'emparera d'une idée, mais sera incapable de l'imprimer nettement dans son cerveau. Les occasions manquées se transformeront en attentes déçues, en désirs qui ne se peuvent exprimer, en soif d'aider qui se tarit soit par incapacité même ou par absence de possibilités.
Ce même principe est souvent en oeuvre dans [74] la perte d'un enfant chéri ou d'un adolescent bienaimé. L'Égo qui a maltraité ou négligé celui qu'il devait aimer, soigner, protéger et assister de quelque manière, renaitra probablement dans un milieu qui l'unira étroitement à celui qu'il aura négligé ; il s'attachera peut-être tendrement à lui ; mais ce ne sera que pour se le voir arracher par une mort prématurée. Le parent pauvre qui aura été méprisé pourra réapparaitre comme l'héritier honoré, le fils unique ; et quand les parents désolés trouveront que leur maison est vide, ils s'étonneront "des voies inégales de la Providence", qui les prive de leur fils unique, en qui étaient toutes leurs espérances, laissant indemnes, au contraire, les nombreux enfants du voisin. Et pourtant les voies de Karma sont égales, quoique difficiles à découvrir, si ce n'est par ceux à qui on a ouvert les yeux.
Les vices de conformation proviennent des défectuosités du double éthérique ; ce sont des peines à vie, infligées à ceux qui se sont révoltés contre la loi ou qui ont fait souffrir leur prochain. Tous sont produits sous l'influence des Seigneurs du Karma, et représentent la manifestation physique des difformités amenées par les erreurs, les [75] excès, les défauts de l'Égo, dans le double éthérique formé par eux. De même, c'est de leur administration équitable de la loi que vient cette tendance complexe à la reproduction d'une maladie de famille, ainsi que la forme appropriée du double éthérique et la direction qui lui est donnée vers la famille où telle maladie est héréditaire et qui offre un "plasma continu" favorable au développement des germes requis.
Le développement des facultés artistiques, – pour considérer un autre genre de qualités, – sera assuré par les Seigneurs du Karma, au moyen d'un moule pour le double éthérique rendant possible la construction d'un système nerveux délicat, et souvent, par l'orientation de ce moule vers une famille dont les membres ont développé cette faculté spéciale de l'Égo, et cela, parfois, pendant des générations. Il est besoin, par exemple, pour exprimer la faculté musicale d'un corps physique spécial, d'une délicatesse physique d'ouïe et de toucher, au développement de laquelle seule une hérédité physique convenable peut coopérer.
Le fait de rendre un service collectif à l'humanité, soit par un livre aux nobles idées ou par d'utiles discours, de répandre des idées élevées [76] par la plume ou la parole, crée des titres qui sont scrupuleusement acquittés par les puissants agents de la loi. L'aide ainsi donnée revient au donateur sous forme de secours, d'assistance mentale et spirituelle, qui lui sont acquis en vertu d'un droit.
Nous pouvons embrasser ainsi les principes généraux de l'action karmique et les rôles respectifs des Seigneurs du Karma ou de l'Égo lui-même en raison de leur nature respective. Ce dernier construit le caractère et se développe lui-même graduellement ; les premiers construisent le moule limitatif, choisissent l'entourage, et, en général, adaptent et ajustent, afin que la bonne loi puisse trouver son expression infaillible en dépit des volontés contraires des hommes.

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