UNION

LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893

I — LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS B — LE FEU

I

LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS

 

B

LE FEU


Nous avons vu, en traitant de la construction du Cosmos, comment le grand Souffle était l'agent moteur et donnait à l'Akâsha cette propriété du Son qui est sa caractéristique primordiale. Que nous observions au point de vue de la conscience orientale ou au point de vue des investigations modernes de l'Occident, nous voyons que les divergences qui existent entre ce que nous appelons les données des sens sont des différences dans la manière dont la conscience traduit les impulsions extérieures, car ces impulsions sont fondamentalement les mêmes. L'effet du grand Souffle mettant l'Akâsha en action peut être représenté de diverses manières quand il atteint notre conscience, selon la façon dont nous le sentons.
On peut donc dire, tout aussi bien au point de vue oriental qu'occidental, que les sensations diffèrent selon l'organe qui les reçoit ; les différences sont occasionnées par le corps à travers lequel les sensations sont reçues ; et la conscience traduit en des tons différents ce qui, au fond, est identique. Ainsi en étudiant la science occidentale, nous apprenons que tous les sens corporels ne sont que les développements d'un sens primitif, [48] celui que nous appelons le sens du toucher.
De nombreuses recherches ont été faites dernièrement sur la nature et l'action de l'éther, forme infime de ce que nous nommons Akâsha. Car l'Akâsha est la substance primordiale dont l'éther est une des manifestations inférieures en ce qui concerne notre système solaire. Cette substance, comme nous l'avons vu, possède le mouvement ; quant à l'Air, c'est le grand Souffle dans l'Akâsha et c'est ce qui donne naissance au sens du toucher.
Nous avons vu comment le Son avait évolué le sens de l'ouïe qui est en corrélation avec lui. Vient ensuite le toucher qui est en corrélation avec Vayou en tant que grand Souffle. Toutes ces vibrations de l'éther, d'après la science moderne, ne sont que des modes de mouvement ; de la réception d'un mode de mouvement par l'individu dépend le nom qui lui sera donné. La science enseigne que le son est un mode de mouvement auquel participe l'air et que la lumière est un autre mode de mouvement dû purement à l'éther. On a reconnu récemment que l'électricité était un autre mode de mouvement. La chaleur en est également un autre, et ainsi de suite. Ainsi la science occidentale s'est éveillée peu à peu à ce sentiment de l'unité, qui a toujours caractérisé la sagesse orientale. Ce qui dans le monde phénoménal a une apparence de diversité est, pour la conscience, une unité fondamentale. En nous occupant donc de la lumière nous avons affaire simplement à un autre aspect, pour la conscience, [49] du mouvement primitif et si l'un de ces aspects est le son, l'autre est la lumière. Il convient d'admettre, comme nous nous en convaincrons du reste, que les mêmes conceptions fondamentales expriment tantôt le son, tantôt la lumière, et que dans tout le Cosmos le son et la lumière peuvent s'intervertir. Je vous ferai voir que les dernières expériences faites en Occident ont prouvé leur équivalence dans la production des phénomènes.
Nous allons étudier maintenant les vibrations connues sous le nom de Lumière. Dans tous les écrits anciens, la Lumière est synonyme de ce qui est au-delà de notre conception, de Ce que nous avons indiqué comme ne pouvant être exprimé – pour employer un terme encore incorrect – que par la phrase descriptive Para Brahman, c'est-à-dire l'au-delà de Brahman. Pour nous communiquer cette pensée essentielle, les Écritures emploient le mot "Ténèbres" – Ténèbres infinies et complètes qui n'expriment rien, car elles sont au-delà de toute possibilité d'expression ; qui ne nous donnent aucune idée, parce que l'idée est limitée et implique la séparation de ce qui est pensé et de ce qui ne l'est pas ; et là il ne peut y avoir de séparation, là il n'y a pas de pensée, parce que la pensée suppose la distinction. C'est pourquoi les ténèbres, dans lesquelles il n'existe rien de visible ni d'invisible, constituent le meilleur des symboles : Ténèbres absolues, éternelles, incompréhensibles, qui se dressent en arrière de toute manifestation de la Lumière, comme de tout ce [50] que nous pourrions exprimer par le langage humain. Et des Ténèbres vint d'abord la Lumière, mais la Lumière sans forme ; visible, il est vrai, puisqu'elle entre en manifestation, mais sans forme parce que la forme implique quelque chose de plus, l'espace, qui n'a pas de forme. Aussi Brahman est-il dépeint comme "lumineux sans forme" ; c'est l'idée pure de la lumière ; idée qui exige naturellement un effort de cette imagination, dont nous avons parlé, car nous ne concevons la lumière que par l'intermédiaire de la source même de cette lumière, tandis qu'ici nous ne devons concevoir ni corps, ni forme, mais nous imaginer seulement la Lumière séparée de tout ce qui la limiterait. Elle est "lumineuse sans forme", et ce terme désigne Brahman dans la Mundakopanishad 9. Voilà donc la première idée : les Ténèbres et de là, la Lumière.

9 Mundaka, II, I, 2.

Et il est assez étrange que dans cette conception la science moderne ait aussi son mot à dire ; car si nous prenons le concept du mouvement, auquel nous avons rattaché le grand Souffle, les ténèbres sont, au point de vue de la conscience humaine, compatibles avec le mouvement. La lumière est en effet une forme du mouvement, mais quand les vibrations sont trop rapides ou trop lentes pour produire de la lumière, elles nous donnent l'impression de ténèbres. Voilà un fait bien significatif et qui mérite que l'esprit s'y arrête : lorsque vous imaginez des vibrations tellement [51] rapides qu'elles ne peuvent être ressenties par les sens, la conscience, en réponse à ces vibrations si extraordinairement rapides, conçoit les ténèbres. En réalité, au-delà de la conscience humaine telle qu'elle existe actuellement, il y a la possibilité – et nous ne pouvons pas dire qu'il n'y a pas des possibilités sans nombre – d'une existence qui dépasse ce que peuvent éprouver nos sens.
La science nous dit que les vibrations trop rapides pour que nos yeux puissent les enregistrer sont transmises à la conscience sous forme de ténèbres ; ce n'est que par leur ralentissement que les vibrations peuvent devenir lumineuses. Si nous traduisons cette pensée scientifique en langage métaphysique nous aurons les prémices de la manifestation de l'univers car, si ce qui dépasse la pensée se ralentit pour entrer en manifestation, le résultat en est la lumière. C'est pourquoi, même dans l'univers visible, vous trouverez souvent que ce qui est vraiment lumineux dans son essence ne donne pas de lumière, parce que les ondes en sont trop rapides ; et si nous désirons que ce pouvoir lumineux apparaisse, nous devons ralentir ces vibrations en les soumettant à une opération particulière. Ainsi quand l'univers se prépare à entrer en manifestation, c'est-à-dire quand la substance évolue, il y a ralentissement du mouvement dans les Ténèbres infinies, et par le ralentissement de ses vibrations la Lumière sans forme apparait. Il semble que l'Occident ait eu l'intuition de l'ancienne et profonde pensée orientale, car par sa [52] méthode expérimentale la pensée occidentale avance en tâtonnant vers l'idée même que les livres orientaux nous donnent dès le commencement des choses.
De cette radiance sans forme, de cette luminosité qui est Lumière en son essence se manifestant elle-même – et qui est appelée quelquefois "Flamme froide" pour exclure l'idée de chaleur de cette pure Lumière – se forme la seconde manifestation, le second Logos dont nous avons parlé ; alors la Lumière devient Feu. Elle n'est plus absolument sans forme et sans chaleur ; avec le ralentissement plus prononcé de la Lumière, et à mesure que procède la manifestation, la chaleur sera engendrée et vous aurez le Feu, dont l'essence est la chaleur ; la Flamme froide et sans forme deviendra le Feu, l'agent actif dans la construction du Cosmos.
Mais le Feu ne peut apparaitre seul ; sa nature même implique quelque chose de plus que la Lumière dont il nait ; elle implique que par frottement la chaleur doit prendre naissance ; elle implique encore cette conception de dualité dont nous avons parlé en traitant de la double manifestation à propos du Son. Il en est de même pour le Feu ; nous ne pouvons y penser sans songer à son action, et la première action du Feu est toujours le développement de l'humidité. De sorte que dans ce Second Logos, dans cette manifestation en dualité de forme, le Feu et l'Eau sont les deux choses qui se présentent à notre pensée : le Feu qui est Esprit en son essence, l'Eau qui [53] sert toujours de symbole à l'essence de la Matière. De même que nous avons reconnu l'Esprit-Matière pour le Second Logos et que nous y avons découvert l'origine véritable de la potentialité du Son, ainsi en le considérant au point de vue de la Lumière, nous avons la conception du Feu et de l'Eau, de la Lumière du Logos et de ce en quoi elle agit. Le Lotus a toujours été le symbole de cette vérité ; il sort du nombril de Vishnou, caché dans les eaux d'où jaillira la vie ; sous cet aspect, Vishnou, qui ne flotte pas mais est caché sous les eaux, représente le Premier Logos, et le Lotus qui nait de son nombril est le Second Logos, le symbole du Feu et de l'Eau ; car les feuilles du Lotus, terminées en pointes, figurent les flammes flottant sur l'eau et s'élançant vers le ciel.
Le Lotus a toujours été regardé comme le symbole du Feu créateur, dont le sein engendrera la chaleur, la force créatrice active. C'est pourquoi dans la fleur du Lotus, ou dans son bouton primitif, existe le Troisième Logos, Brahmâ ou l'agent actif créateur, qui est le synonyme de Mahat ou de l'intelligence créatrice dans le sein du Feu ; lorsque le Feu s'épanouit la seconde flamme apparait ; celle-ci est créatrice, ce n'est plus la Flamme froide du Premier Logos, mais la Flamme brulante du Troisième, qui de l'océan de Feu va construire le Cosmos et rendre l'Univers possible.
Et quand nous envisageons la lumière projetée sur cette conception antique et relativement facile pour ceux qui ont étudié avec soin, quand nous [54] nous reportons aux ouvrages de Mme Blavatsky, nous y trouvons ce point exposé très clairement ; en les prenant pour guides, nous pouvons démêler le symbolisme auquel nous faisions allusion tout à l'heure. Sous le nom de Feu elle désigne sous sa forme la plus pure, la substance de l'éther avant même qu'on puisse en parler comme d'Akâsha. Il y a là deux Feux, et les enseignements occultes font une distinction entre eux ; le premier Feu est pur, sans forme, invisible, caché dans le Soleil central spirituel, et, métaphysiquement parlant, il est considéré comme triple. Ici encore nous voyons la triple nature du Logos dans lequel ces Feux prennent forme, puis le Feu se manifestant comme Cosmos et qui sera septénaire dans l'univers aussi bien que dans notre système solaire ; tout comme nous l'avons expliqué précédemment quand nous avons vu le triple se développer en septuple. Ici nous avons la Flamme sans forme – la Flamme froide ou Lumière – puis le Feu et enfin la chaleur ou Flamme créatrice, le même symbole présenté sous un autre aspect, la même idée essentielle exprimée sous une autre forme. Aussi avons-nous toujours appris que la Lumière du Logos, Daiviprakriti ou le côté brillant de la Substance, a été l'agent générateur et créateur et vous devez avoir entendu dire que le Lotus symbolique auquel je faisais allusion était hermaphrodite ; ceci ramène notre esprit à cette même idée de dualité que nous avons découverte plus haut comme caractéristique du second Logos ou de la seconde énergie manifestée [55] qui va construire l'Univers 10. De celle-ci découle cette force représentée sous ses formes les plus inférieures par l'électricité, le magnétisme, la chaleur, et qui n'est encore qu'un autre mode du mouvement, une autre activité du grand Souffle ; c'est elle dont la littérature théosophique parle si souvent sous le nom de Fohat, et que Subba Rao a justement nommée la Lumière du Logos ; car elle est l'énergie vivifiante qui, en jaillissant, doit construire le Cosmos ; c'est le Serpent ardent, l'agent créateur. Reportez-vous à ce que j'ai dit précédemment, à ce sujet, à l'allusion que j'en fis comme symbole de l'électricité, en parlant des dernières découvertes de W. Crookes, et au mode de formation de la spirale sous l'influence d'une chute de température. La voici devenue le Serpent ardent, le Dragon flamboyant qui, soufflant du Feu à travers l'océan lacté, construit toutes les formes de la manifestation. Partout où vous rencontrerez le Serpent de Feu, partout où vous le verrez former un cercle en se mordant la queue, c'est que vous avez passé de la spirale génératrice à la sphère qui est le résultat de la génération, car le Serpent enroulé qui se mord la queue est le symbole du Cosmos évolué ; il est devenu le globe, qui toujours représente le Cosmos sous [56] sa forme manifestée. Ainsi le Serpent devient l'OEuf d'où émergent les formes postérieures du Cosmos ; c'est quelquefois dans cet oeuf que vous trouverez Brahmâ, le pouvoir créateur, au lieu de le trouver dans le Lotus. Il réside dans l'oeuf d'or, autre symbole 10 L'édition française de l'OEuvre de Mme H. P. Blavatsky : la Doctrine Secrète à laquelle se réfère si souvent l'auteur, est complète en six volumes. Les tomes I et II traitent de la Cosmogénèse, le tome III de l'Anthropogénèse, le tome IV du Symbolisme archaïque des Religions, les tomes V et VI se composent d'éléments divers réunis après la mort de HPB et publiés sous le titre général de "Miscellanées". (NDE).
du Lotus ; il vit pendant un certain temps dans cet oeuf, puis en sort et crée les mondes. De là encore le symbolisme du Serpent enroulé autour de la montagne, pendant ce barattage de l'Océan de substance d'où furent engendrées, selon les Pourânas, la vie, l'immortalité et les autres choses. Comme je vous l'ai dit souvent, si parmi vous un lettré prenait les Pourânas, les étudiait et voulait comparer avec eux quelques-uns des exposés de notre science moderne, il pourrait prédire la direction que suivront les découvertes scientifiques ; il justifierait aux yeux de l'Occident, et d'une façon inimitable, la nature profonde de la pensée orientale, il lui montrerait la route que ses études doivent suivre et la voie dans laquelle ses recherches futures pourront être les plus fructueuses.
Laissons ce sujet pour aborder une autre conception très intéressante du Feu – un aspect du Feu par rapport à l'homme – le rapport qui existe entre le feu générateur dans le Cosmos et ce qui est la racine de la Vie dans le coeur de l'individu. Ouvrons la Mundakopanishad ; au commencement, je crois, de la seconde division, vous trouverez cette déclaration :
"Comme un feu flambant projette de mille façons diverses des étincelles semblables, ainsi sont produites, ô bienaimé, [57] les âmes vivantes d'espèces différentes, mais formées toutes de l'Unité indestructible 11."

11 Mundaka, II, I, 2.

Quelle est la signification réelle de cette strophe ? Nous ayons déjà envisagé le Feu comme force centrale dans le Cosmos ; des étincelles sont lancées dans toutes les directions quand le Feu flambe et atteint l'état de flamme : le mot "flambant" indique l'état où le Feu a commencé à flamber, où vous avez la Flamme, cette caractéristique du troisième Logos. Mais le troisième Logos est Mahat, c'est-à-dire l'Intelligence dans son essence même et nous apprenons ainsi que c'est de Brahman, en tant qu'intelligence, que jaillissent ces étincelles que nous trouvons dans chaque atome du Cosmos, de sorte que le Cosmos une fois construit il ne se trouve rien en lui qui ne soit animé de l'essence de la Vie divine. L'étincelle projetée, c'est l'Atmâ de l'atome (vous devez vous rappeler qu'il n'est pas confiné dans l'homme seul), le Soi non pas seulement de l'homme, mais de toutes choses, l'essence la plus intime de l'atome, tout aussi bien que du plus sublime des Dieux manifestés ; car, encore une fois, l'Univers est un, et l'étincelle lancée par le Feu flamboyant est à l'origine de tout ce qui parait en manifestation ; si bien que le grain de sable, que dis-je, les atomes mêmes qui composent le grain de sable, ont pour essence Atmâ, et pour forme l'Akâsha, qui, retenant pour ainsi dire le rayon émané d'Atmâ, opère la différenciation par la limitation et introduit [58] le principe de division dans l'Unité. À mesure que ces étincelles s'élancent au loin, il se forme ce qu'on a appelé dans la Doctrine Secrète "un tourbillon de Feu", dénomination bien expressive, car ce tourbillon se répandant dans l'espace emporte toujours avec lui l'essence du Feu unique et de la Vie unique. Quand ce tourbillon se brise, s'il y a des différences dans la nature des étincelles évoluées, elles ne résident pas dans leur nature essentielle, mais dans ce qu'elles apportent en elles dans leur Manifestation.
Ici se cache un des plus grands et des plus profonds mystères de l'enseignement occulte, sinon le plus profond de tous, et je dois vous y amener pas à pas, autrement il serait difficile, du moins pour quelques-uns d'entre vous, d'en suivre la pensée, surtout si vous ne savez pas encore lire entre les lignes des Livres Sacrés, et chercher, par la comparaison des divers passages, le sens caché qui les relie. Si vous voulez bien me suivre pas à pas, je vous ferai pénétrer au coeur du mystère, mais je ne veux pas vous l'exposer dès le début de peur que sa présentation soudaine ne jette de la confusion dans votre pensée, confusion qu'il serait difficile de débrouiller ensuite. Imaginez l'étincelle projetée par le tourbillon de feu ; rappelez-vous que cette étincelle est Atmâ, et que le rayon de cet Atmâ est, pour ainsi dire, coupé par l'Akâsha, en est séparé, de sorte que, quoique fondamentalement un, il soit cependant séparé dans la manifestation. Car Atmâ est un, et c'est en cette unité que réside l'espérance de [59] notre libération. Cette séparation ne se fait pas à son propre point de vue, qui est celui dans lequel tous les rayons divergents apparaissent comme un rayon unique, mais de l'autre point de vue de la manifestation, quand il est envisagé non comme Lumière immédiate mais comme l'Akâsha qui voile la Lumière, qui, en limitant chaque rayon, opère la séparation, là où, en réalité, il n'y a point de séparation. Ainsi, observé de l'intérieur, l'Univers est un : observé de l'extérieur il est multiple, car il n'est point observé au point de vue d'Atmâ.
Si vous vous trouviez placé dans le Soleil Central et que vous suiviez de l'oeil tous les rayons à la fois, toutes les parties du paysage éclairé qui frapperaient l'oeil placé au centre, au moyen de ces différents rayons, vous feraient l'effet d'une seule lumière. Tandis que si vous êtes à l'extérieur, au milieu de ce paysage, regardant d'en bas, de l'extrémité d'un rayon, vous vous trouvez environné de nombreux rayons, et cependant vous ne pouvez voir le soleil par un autre rayon que celui qui vous éclaire. Pourtant vous voyez le même soleil, puisque tous les rayons émanent de lui : il y a donc unité dans le centre, bien qu'il vous soit impossible de reconnaitre cette unité tant que vous êtes à la circonférence de ce cercle immense, tant que vous ne pouvez voir autrement qu'en suivant, pour ainsi dire, un des rayons qui remontent au centre universel. Conservons un instant cette pensée dans notre esprit, et faisons un nouveau pas. [60]
Chaque atome possède donc Atmâ, mais on le nomme maintenant Jîva ; ce nom indique qu'il est séparé au point de vue de la manifestation individuelle et non au point de vue du tout manifesté. C'est l'illusion, c'est la Mâyâ que nous ne pouvons surmonter et qui rend dans un sens très réel l'univers illusoire ; car, voyant d'une vision trompeuse, voyant ces rayons séparés dans la manifestation, nous n'observons plus l'unité d'où ils émanent. Voilà donc une expression que nous entendons fréquemment employer et que nous devrions désormais interpréter comme il faut : C'est que chaque atome a son Atmâ ; elle n'implique pas de séparation fondamentale, mais simplement une séparation dans la manifestation.
Parvenus à ce point, nous pouvons concevoir dans ce tourbillon d'étincelles en manifestation des différences de nature qui nous auraient paru incompréhensibles au premier abord. Quelques-unes de ces étincelles sont comme des Flammes vivantes, conscientes et intelligentes qui, dans la construction de cet univers manifesté se présentent en qualité de Dévas. Ce sont des Intelligences qui ont atteint un haut degré de développement spirituel ; elles sont bien moins limitées que les hommes, qui arriveront à l'existence beaucoup plus tard.
Dans cette première phase de la manifestation, il y a pour ainsi dire un tourbillon de ces étincelles manifestant une haute intelligence, capables d'opérer comme agents vivants de l'énergie créatrice [61] et de construire l'Univers sous le contrôle de cette force coordinatrice. Ainsi parmi les premières manifestations se rencontre celle des Dévas dont il est parlé sous différents noms : Indra, Vayou, etc. Ce sont eux que nos orientalistes dans leur ignorance interprètent comme "les pouvoirs de la Nature personnifiés" par une civilisation enfantine ; d'après eux, la pensée puérile de l'homme s'emparant de phénomènes naturels, tels que l'air, le ciel et la lumière, les appelle Vayou, Indra, Agni et les adore comme des Dieux ! En réalité, ce que l'esprit de l'humanité en bas âge a personnifié, ce ne sont pas les phénomènes de la nature, mais ces étincelles de Feu, ces Intelligences vivantes, qui ont émané du Suprême bien avant l'enfance et la naissance même de l'humanité, puisqu'elles sont venues construire pour cette future humanité le Cosmos qui devait naitre. L'Occident ne voit, dans cette soi-disant personnification des forces naturelles, que l'enfantillage de penseurs naïfs, d'une humanité enfantine, tandis que ces Dévas sont en réalité les instruments qui se cachent derrière chaque apparence phénoménale, que ces Intelligences sont celles qui dirigent ce que nous appelons les lois de la Nature. Les Dévas sont des entités ; ils ont des existences réelles, séparées de l'unique, Atmâ au sens que j'ai donné au mot séparation, de manière à pouvoir construire un univers et le rendre intelligent du centre à la circonférence. Que sont les phénomènes de la nature, sinon les apparences extérieures des Dévas et le Déva est au coeur des phénomènes. À [62] mesure que la manifestation s'accentue, ceux qui appartiennent à des degrés inférieurs évoluent graduellement, jusqu'à ce qu'ils forment une hiérarchie. L'apparence la plus inférieure qui existe sur terre n'est qu'un voile illusoire jeté sur Atmâ ; il en résulte qu'une âme bien entrainée et bien développée, n'étant qu'une avec la force créatrice, peut manipuler à son gré ce que nous appelons la matière, parce qu'elle sait commander à ces Intelligences dont la matière n'est que le vêtement extérieur ; et elle se dressera comme un Dieu manifesté quand elle aura réussi à surmonter les illusions de la matière qui l'environne.
La description de cette grande hiérarchie provoque une question et c'est ici que la difficulté commence pour nous. Pourquoi y a-t-il une différence entre les étincelles manifestées ? Pourquoi, quand elles s'élancent du feu éblouissant, y en a-t-il qui apparaissent comme de sublimes Dévas, et d'autres comme des Dévas d'un rang inférieur ? Pourquoi certaines sont-elles comme le centre autour duquel l'homme sera construit, d'autres encore comme le centre du grain de sable, ou le centre des atomes dont le grain de sable est composé ? Comment peut surgir, de cette unité dont vous nous avez parlé, une possibilité de différenciation dans la manifestation ?
La première chose à comprendre est que cette différenciation existe en fait. Elle est visible entre les Dévas, les hommes, les animaux, les végétaux, les minéraux et les forces élémentales qui nous entourent. Nous lisons que les Fils de la Lumière [63] sont les Dévas les plus élevés ; ils sont, comme je l'ai dit, les constructeurs de l'Univers. Mais les livres sacrés nous parlent de certains d'entre eux appelés les Fils du Feu. Quels sont ces Fils du Feu ? Ce sont les Instructeurs de l'humanité en bas-âge, Ceux dont je parlais hier comme ayant instruit la race en son enfance ; Ils lui ont donné les Védas et toutes les Écritures saintes ; Ils l'ont guidée dans ses premiers efforts vers la civilisation ; Ils sont, au sens bien réel du mot, les Instructeurs des hommes.
Qui sont-Ils ? Ce sont des Flammes qui ont emporté avec elles à cette étape de la manifestation, cette intelligence hautement développée qui les qualifiait pour devenir les instructeurs de ces étincelles et qui se sont incarnées dans les hommes ordinaires. Mais c'est entre les hommes incarnés, entre les Koûmâras et les êtres humains qu'on nous laisse soupçonner une étrange différence. Pourrons-nous découvrir ce que cela signifie ? Des cycles de manifestations viennent du grand Souffle et y retournent, la Lumière devient Ténèbres et des Ténèbres émerge de nouveau la Lumière ; des âmes sont différenciées dans la matière, puis des hommes remontent vers leur source, et ils sont libérés. Ils s'en vont, "pour ne jamais revenir" est-il dit. S'ils ne reviennent jamais, pourquoi ces différences dans des Manvantaras, comme le nôtre ? C'est là un point de l'enseignement secret qui a été certes perdu de vue, parce que la lettre seule des ouvrages publiés voile la vérité au lieu de l'exprimer. Que dit l'Oupanishad au sujet de Brahman ? [64]
"Il est caché dans les Oupanishads qui sont cachés dans les Védas 12."
Si vous voulez trouver Brahman, il ne faut pas s'en tenir à la lettre des Oupanishads, mais découvrir l'intention secrète qu'ils contiennent. Voilà le point où un Gourou devient nécessaire. C'est pourquoi il a été dit 13 que si un homme désirait trouver Brahman, il devait chercher à découvrir les grands (Maitres), et les servir 12, car les mots seuls de l'Oupanishad ne lui révèleront pas le Dieu qui y est caché ; la Flamme déjà développée est nécessaire pour que l'étincelle puisse bruler haut et devenir elle-même une Flamme. Cherchons maintenant le sens caché dans ces mots "pour ne jamais revenir".

12 Shvetâshvataropanishad, V, 6.
13 Kathopanishad, t. III, 41.

L'étincelle se développe dans l'homme (en employant le mot homme j'ai en vue toute l'humanité moyenne) : cette étincelle se développe par Tapas, par la combustion. Par quelle combustion ? Par l'ardeur de la connaissance. Telle est la signification réelle de Tapas, et dans cette "austérité" comme on le traduit constamment, il y a l'action de la connaissance qui brule et qui purifie ; et ce qu'elle brule, ce sont les enveloppes extérieures de l'homme où réside l'épaisse ignorance et à mesure qu'elles se trouvent ainsi brulées l'une après l'autre par le feu de la connaissance, la Flamme se manifeste davantage et commence à connaitre sa propre nature. Cette étincelle qui était étouffée dans la matière entière devient la [65] Flamme qui s'est elle-même libérée de la matière, et quand cette libération est complète, elle devient une avec sa source. Si vous prenez plusieurs flammes et les mettez en contact, elles se réunissent pour n'en former qu'une, car leur substance est une et la division qui existait entre elles a disparu. Continuons cet exemple et poursuivons cette pensée, qui nous permettront de concevoir la vérité, très obscurément sans doute, car pour la concevoir clairement il faut que vous soyez devenus elle-même, vous ne pouvez rien comprendre tant que vous n'êtes pas un avec ce que vous cherchez à saisir. La connaissance humaine est séparativité, mais la Sagesse Divine est unité, et c'est seulement quand disparait la forme extérieure de la Flamme qu'elle peut s'immerger dans l'Unité. Elle n'est pas perdue : elle a gagné immensément, grâce aux nombreuses flammes qui sont redevenues une seule Flamme, et c'est là la libération : anéantissement des limites qui nous séparent et élargissement dans la connaissance intégrale infinie et sans limites, voilà l'essence de la connaissance elle-même. Mais est-ce "pour toujours" dans toute l'acception du terme ? Ne "revient-on jamais" du Nirvâna ?
Ceux d'entre vous qui ont étudié sérieusement, à la lumière projetée sur ces vérités par ceux qui savent, ont appris qu'un cycle succède à un autre, que chaque cycle est pris successivement comme limite, et que chaque période de non-manifestation est en corrélation avec la manifestation qui précède et celle qui suit. De même que le jour [66] et la nuit sont pris comme Symboles de manifestation et d'obscuration, ainsi vous avez la manifestation et l'absorption planétaires ; puis la résurrection planétaire précédant une nouvelle absorption ; et ainsi de suite jusqu'au moment où le système solaire passe en un Pralaya proportionnel à sa durée ; mais il se réveille à nouveau après cette suspension de manifestation et rapporte, dans cette nouvelle période d'activité, tout ce qui a été recueilli dans là précédente.
Lorsque nous avons étudié une leçon pendant le jour, nous en sommes inconscients durant la nuit, mais la connaissance subsiste, et quand nous nous éveillons le lendemain, nous retrouvons en nous cette connaissance acquise la veille ; lorsque la planète a traversé sa période de Pralaya, elle ramène dans la manifestation suivante tout ce qu'elle avait acquis au cours de la précédente ; lorsque le système solaire, après une longue vie, a franchi l'interminable période de son obscuration, il émerge à nouveau sur un plan supérieur et devient un système solaire d'un type plus élevé. Il n'en saurait être autrement quand nous nous occupons de l'ensemble du Cosmos, du Manvantara au sens le plus absolu du mot, et du Pralaya qui lui succède :
lorsque toutes les Flammes n'en font plus qu'une et que toute différenciation s'est évanouie, il existe encore comme un fil de feu attaché à chaque Flamme ; et quand recommence la différenciation, c'est sur ces fils de feu qu'elle agit : ils s'avancent lentement vers l'extérieur, attirant avec eux les Flammes [67] hors du sein de l'Unité ; elles en sortent avec ce fil d'individualité que ne saurait détruire aucun Pralaya, aucun Nirvâna, quelle qu'en soit la durée.
Le Un et le Tout sont redescendus dans la manifestation, et les différences qui existent entre ces étincelles qui émergent sont des différences, développées graduellement dans les Manvantaras précédents et conservées même pendant la destruction apparente. Le "jamais" s'applique à la durée du cycle et ne suppose pas la fin absolue. Je n'ai pas de terme pour vous faire comprendre même faiblement le sens que je cherche à exprimer. Est-il seulement possible de trouver un mot pour rendre un état qui n'est pas du tout un état, et que je ne puis que symboliser par cette image de l'union de beaucoup de Flammes en une seule, union qui implique cependant la faculté pour chaque Flamme de se retirer en emportant avec elle son Karma individuel ! Elle est immergée dans le Feu central ; mais ce qu'on a appelé le fil d'or persiste et réserve à l'être en Nirvâna la possibilité d'une croissance future.
La vie de Brahman n'est pas semblable à la vie de l'homme. Sa Vie renferme, pour ainsi dire, les vies infinies qu'Il a engendrées, et chacune d'elles n'est qu'un clin d'oeil pour cette vie qui est éternelle. Il respire et son aspiration aspire les Flammes et son expiration les expire ; mais pour Lui tout cela ne dure pas plus qu'un mouvement de paupière, et ce qui pour nous représente des millions d'années, n'est pour Lui que l'instant le [68] plus court que nous puissions imaginer. De ce point de vue que peut être le Nirvâna, que peut être la séparation de conscience, que peuvent signifier nos dénominations de Manvantaras et de Pralayas ?…
C'est le Feu infini lançant ses Flammes dans l'Espace et les recueillant de nouveau dans son sein, pour les renvoyer encore en ondulations sans fin, d'où la possibilité, dans chaque, nouveau cycle, de manifestations divergentes : car chacune rapporte dans le Manvantara suivant tout ce qu'elle avait amassé dans l'interminable Manvantara précédent. Nous commençons donc à comprendre que, comme la conscience peut passer dans l'état Turîya et revenir ensuite dans la limitation, de même cette conscience infinie du Cosmos peut rentrer en elle-même, puis se manifester de nouveau. De même que nous ne perdons pas l'expérience acquise, mais que nous la rapportons dans une nouvelle manifestation, ainsi ce qui est vrai au sens minuscule doit être également vrai au sens transcendant, doit être également vrai de l'Unité indestructible : Sa vie éternelle s'enrichit en quelque sorte par les innombrables expériences d'incalculables Manvantaras. Cette évolution toujours grandissante nous parait être une croissance : ce qu'elle Lui parait être à Lui-même, personne que Lui ne peut le savoir.
Voyons maintenant dans nos propres Écritures les allusions faites à ce mystère, et ce qu'on nous dit de celui qui sera Indra dans le prochain Manvantara, de l'être qui fut adombré par Vishnou, [69] qui après la fin de cette adombration entra dans une autre phase de conscience, et qui doit reparaitre dans un autre Manvantara pour en être la force directrice. Vous devez commencer à saisir le sens de ce passage de l'Écriture où il est dit que des êtres de grande dévotion disparurent au sein des eaux, demeurèrent dix mille ans au fond de l'océan, plongés dans la méditation, puis revinrent peupler la terre 14. Que sont toutes ces paroles, sinon les efforts des Maitres pour vous faire comprendre – si vous voulez développer votre intuition en écoutant – la signification intime de ces symboles, de ces nuits et de ces jours, de ces périodes alternatives d'activité et de méditation ? Car Pralaya est la méditation du tout : puis, celui-ci, sortant des eaux, revient peupler le Cosmos.
Les mondes sont ainsi peuplés par l'ordre que Brahmâ donne à quelques-uns de ses fils d'aller donner à la terre sa population ; car toujours en Brahmâ, le troisième Logos, il y a le Mot irrésistible qui projette au-dehors ses enfants évolués.
Ces fils de Brahmâ, ces Rishis qui ont à accomplir l'oeuvre de la création doivent venir de quelque part, car vous ne pouvez avoir de création, à moins qu'elle n'ait été lentement préparée auparavant. Ceux dont nous parlons aujourd'hui comme Instructeurs du présent Manvantara, iront dans [70] le prochain Manvantara, vers des systèmes bien plus élevés que les systèmes planétaires que nous connaissons ; tandis que les vainqueurs de l'humanité actuelle, ceux qui maintenant font évoluer l'étincelle en Flamme, ceux qui par Tapas, par le feu de la connaissance, brulent l'ignorance et sont en train de devenir des Flammes vivantes, reparaitront dans le prochain Manvantara comme Fils du feu ; non plus comme de simples étincelles projetées, mais comme des Flammes suffisamment développées pour construire et instruire les races futures.

14 Les dix Prachetasas, fils de Prâchînabarhis ; voir le Vishnou Pourâna, liv. I, ch. XIV, XV. Voir aussi les Brahmâ Soûtras, Adhyâya III, Pada III, Soûtra 32, avec le commentaire de Shrî Shankarâchârya.

En quittant ces hautes régions je me hasarderai à suggérer à ceux d'entre vous qui viennent ici non seulement pour y chercher un amusement, mais avec le désir d'apprendre, qu'ils feront bien de méditer cette pensée pendant des jours, des semaines et des mois, jusqu'à ce qu'elle devienne une réalité pour eux ; il n'y a pas d'autres moyens de pénétrer au coeur des choses. Vous ne pouvez recevoir de moi que la forme extérieure ; j'ai beau faire des efforts pour que mon esprit parle au vôtre, tout comme ma parole à vos oreilles, c'est dans votre coeur seulement que vous trouverez la véritable force de l'instruction et de la pensée, et, en la méditant, vous développerez ce qui est caché en elle.
Passons à une question plus simple que je vais maintenant traiter pour le monde en général et non pour les intimes, question qui est plutôt un argument qu'un sujet de méditation, qui vous sera utile dans le monde où vous vivez et auquel [71] nous devons essayer de donner quelque lumière sur la pensée intérieure. Je vous ai dit, dès le début, que la science reconnait l'identité de la lumière et du son, et qu'il peut être utile, pour justifier aux yeux du monde les Écritures, d'indiquer les nombreuses expériences faites dans le monde scientifique, au cours desquelles du son a été produit avec de la lumière et de la lumière avec du son.
Ainsi voici une expérience faite par quelques-uns de nos savants les plus consciencieux 15 ; ils ont découvert qu'en prenant une certaine quantité de matière colorée, et en projetant sur elle différents rayons de lumière, un certain rayon en tombant sur cette substance colorée lui fera produire un son. On peut donc dans l'univers physique engendrer littéralement du son par la couleur, qui est de la lumière ; en mettant une couleur dans un ballon en verre et en y projetant un rayon de lumière, vous entendrez se produire un son très bas. Vous aurez ainsi transformé un rayon lumineux en une onde sonore. Cette expérience du monde matériel est assez instructive pour que l'esprit s'y arrête. Si quelqu'un dans son ignorance vous parle des Écritures en s'en moquant, prouvez-lui que la science occidentale en revient à cette notion de l'identité.

15 Expérience de Bell. Voir les Grands Initiés, p. 22. (NDT)

Quand vous lisez dans un de vos livres que pour communiquer avec un Déva inférieur il faut lui parler en couleurs et non en langage articulé, [72] qu'est-ce que cela signifie ?… Cela signifie, pour quiconque a étudié la corrélation du son et de la couleur, que si vous parlez au cerveau humain par des mots articulés qui mettent en mouvement l'air le plus grossier, vous parlez au Déva plus éthéré par la couleur qui met en vibration la matière astrale dont son corps est formé. De sorte que ce qui est une parole sur le plan physique est couleur et lumière sur le plan astral.
Sachant que chaque son a sa couleur, si vous avez à communiquer avec un Déva qui n'a pas de Sthûla Sharîra, pas de corps visible qui réponde aux lourdes vibrations de l'air, vous devez engendrer des couleurs au lieu de produire des sons, car le langage des Dieux inférieurs est le langage des couleurs ; elles contiennent pour eux ce que nous appelons une idée articulée, une idée sur le plan mental. Ce que la parole est dans le monde physique, la couleur l'est dans le monde astral. Quand vous lirez qu'il faut parler au Déva dans le langage des couleurs, on vous dira : "C'est un non-sens enfantin, une folle superstition ; il n'y a ni Dévas, ni langage des couleurs, vous êtes tout à fait fou et vous parlez comme on le faisait dans l'enfance de la race ; c'est du fétichisme, et vous n'employez tous ces mots que pour cacher votre ignorance de la réalité". Si les personnes qui parlent ainsi en savaient un peu plus, elles qui ne font que commencer à apprendre, elles découvriraient que le langage des couleurs est une réalité : et la première notion de ce fait a été donnée par cette expérience, faite à Paris, [73] où, en projetant de la lumière sur des objets colorés, on a produit du son.
Les personnes qui possèdent la clairvoyance ou vision intensifiée, n'ont pas plus tôt entendu une note qu'elles voient une couleur : l'expérience est à la portée de tous ceux qui ont développé le sens astral de la vision ; et beaucoup de gens le développent actuellement en Occident. Il y a une chose étrange dont je n'ai pas entendu parler dans les Indes, mais qui est connue en Égypte ; c'est que quelques-uns des anciens livres égyptiens, vous l'ignorez peut-être, étaient écrits en couleurs et non en caractères uniformes comme l'est pour nous le Sanscrit, ce véritable langage des Dieux. Les anciens Égyptiens avaient appris la manière de les interpréter avec l'aide de leurs prêtres Initiés qui étaient réellement de grands Adeptes comme les Adeptes de l'Inde : et, remarque très importante, lorsqu'on ordonnait de transcrire un Livre Sacré, si les couleurs étaient altérées le moins du monde, on punissait de mort le copiste. À une époque plus récente, les Égyptiens se souvenaient seulement que cet usage des couleurs leur avait été transmis par les grands Prêtres. On n'avait plus conservé que la coutume ; quant au sens qu'elle cachait il avait complètement disparu. L'intention réelle était celle-ci : tandis que le premier venu lisait les formes écrites, l'Adepte lisait les couleurs ; ce qui formait un sens, par la combinaison seule des lettres, en donnait un autre à l'initié, par la couleur que possédait chaque lettre. On pouvait ainsi publier un livre [74] qui fournissait aux profanes une connaissance simplement écrite ou parlée, et qui, réservait le sens occulte à l'adepte qui, en le lisant, faisait plus attention aux couleurs qu'aux formes et pour qui chaque lettre successive, avec sa propre couleur, prenait une signification mystérieuse. De cette façon les secrets de l'antiquité étaient conservés pour l'Initié, qui était capable, une fois l'Initiation subie, de recourir à cette ancienne connaissance et de la faire sienne ; et cela existe encore aujourd'hui, mais naturellement sous le sceau du secret. Le langage des couleurs est un des stades de l'entrainement. Quand le disciple lit en couleurs et reçoit ses enseignements par la sensation des diverses couleurs, il apprend à les utiliser pour le contrôle des forces que notre littérature connait sous le nom de Dévas.
Vous trouverez de même des allusions aux sept langues de Feu – aux sept langues de Flamme – que l'homme doit comprendre. La Prashnopanishad contient une description de la vie se divisant elle-même en airs vitaux 16. Il est dit de l'un de ces derniers qu'il contient sept Flammes. – Dans la Mundakopanishad 17, vous trouvez "sept langues de feu vacillantes" ; chacune d'elles a un nom particulier, et plusieurs de ces noms sont ceux de couleurs. Cela vous donne la clé de ce passage, si vous le méditez, au lieu de chercher à le comprendre par une argumentation intellectuelle. La clé de ce passage est dans la couleur [75] des flammes, et le fait que la vie les distribue dans tout le corps est un symbole qui fait connaitre à notre pensée cette signification cachée : que la vie, Prâna, est la force active d'Atmâ, qui possède sept pouvoirs et devient une septuple force dans l'homme. Chaque langue de Feu devient un des "principes" de l'homme, et lorsqu'ils sont réunis dans son coeur, la flamme unique d'Atmâ est obtenue.
Je pourrais ainsi vous expliquer le sens de bien des symbolismes, comme celui du feu familial et d'autres feux qui doivent être connus par tous ceux d'entre vous qui réfléchissent.

16 Prasna, III, 3-5.
17 Mundaka, I, II, 4.

Pourquoi les "deux fois nés" doivent-ils étudier les Védas ? Ce n'est certainement pas pour se rendre capables de répéter une shloka après l'autre ; si l'étude journalière des Védas est un devoir pour le "deux fois né", c'est que par l'étude on arrive à la connaissance. Si les cinq feux dont parle l'Écriture sont représentés dans sa maison même par le feu familial, c'est qu'il doit savoir quelque chose de ce qu'ils signifient et se rappeler quelques-uns des faits cachés. Pourquoi un feu est-il toujours allumé dons la maison et sert-il à allumer les autres ? Pourquoi ne doit-il être allumé que par les nouveaux mariés et ne jamais s'éteindre tant qu'ils restent tous deux dans cette vie terrestre ? Ce feu symbolise l'ancien idéal du mariage indou. Il rappelle que dans le monde spirituel, lorsque les deux redeviennent un, lorsque les deux aspects de la nature représentés par l'homme et la femme vont se réunir, ils formeront un seul [76] esprit ; et c'est seulement lorsqu'ils sont unis qu'ils deviennent un Feu ; aussi le feu extérieur allumé par eux deux est-il le symbole de l'union en Esprit qui les rend un, non afin qu'ils puissent trouver des satisfactions sensuelles, mais de manière à ce qu'ils puissent devenir ce Prajâpati, le créateur du monde futur. Tel est l'idéal indou du mariage, le mariage le plus idéal que le monde ait jamais connu. Il a pu se dégrader, il a pu déchoir : mais voilà l'idée qui explique cette coutume des mariages, accomplis dans la jeunesse, avant que les passions ne soient éveillées, afin que les corps ne puissent prendre aucune part à cette union des âmes et des Esprits. Telle est la grande vérité sur laquelle se fondait la coutume ; et la coutume a survécu à la connaissance, disparue depuis longtemps. Car les esprits des hommes qui se réincarnent viennent ici-bas pour croitre spirituellement et non pour éprouver de simples jouissances physiques ; aussi les Esprits qui devaient s'unir ne devaient pas se rencontrer sous l'impulsion des passions de la jeunesse ; passions qui parlent par les sens et non par l'Esprit, qui attirent les corps l'un vers l'autre sans égard à la faible affinité des âmes qu'ils renferment.
C'est pour cela qu'on étudiait l'horoscope, qui jette quelque clarté sur la nature de la vie réservée à l'Esprit incarnateur. C'est pour cela qu'avaient été instituées les bases de l'union maritale dont un acte symbolique existe encore dans votre mariage actuel. Quand arrive le moment où les deux époux doivent se voir, un rideau est [77] disposé entre eux de façon à ce que leurs yeux seulement puissent se rencontrer. Car c'est dans l'oeil qu'habite l'Esprit et c'est celui-ci qui doit parler de l'un à l'autre, à l'exclusion de tout autre magnétisme. Tel était l'idéal que représentait le mariage antique, et c'est pourquoi les mariés allumaient ensemble le feu, symbole de leur union spirituelle ; voilà pourquoi, tant que les Esprits restaient unis extérieurement et intérieurement, ce feu ne devait jamais s'éteindre. Si la femme mourait la première, l'époux lui donnait le feu afin qu'elle pût l'emporter dans le monde de l'au-delà et qu'elle pût, comme un Esprit, venir plus tard au-devant de lui, portant le feu dans sa main ; il devait alors reconnaitre cet Esprit comme le sien, afin que là-haut encore les deux âmes n'en forment qu'une.
Tel est le symbolisme que renfermait le plus saint de tous les mariages ; aujourd'hui l'Occident s'en moque, et quelques jeunes gens parmi vous, aveuglés par l'ignorance, voudraient le ravaler au niveau inférieur de l'idée occidentale, au lieu de le relever vers la pureté de l'ancien idéal et de rendre à l'Inde ce qu'elle possédait jadis, c'est-à-dire des hommes et des femmes dont vous ne pouvez trouver l'équivalent à notre époque : dans notre ancienne littérature se rencontrent, en effet, les types les plus nobles, les plus purs et les plus glorieux du genre féminin, des modèles comme vous ne pouvez en trouver dans les annales d'autres nations, ni même dans ces peintures d'imagination inspirées par le poète ou par le rêve de l'enthousiaste. [78]
Vous connaissez maintenant la signification des feux qui vous sont si familiers ; ils vous enseignent la méthode de la réincarnation et vous avez pu vous rendre compte que chaque symbole a un sens pour l'Âme qui sait voir.
Ainsi, Frères, je confie à votre pensée ce que j'ai si imparfaitement exprimé dans cette conférence, et je termine en priant pour vous et pour moi ces Êtres Suprêmes qui sont les Feux du Cosmos, dont nous sommes issus et vers lesquels nous retournerons ; afin que nous, simples étincelles qui voudraient devenir des Flammes, nous puissions par nos aspirations monter vers Eux afin que la Flamme, en s'allumant dans nos propres coeurs, puisse allumer à son tour le feu dans d'autres Ames. Alors les grands Dieux de notre terre indoue, regardant d'en haut, verront encore une fois les Feux monter vers le ciel, non pas ces feux du foyer qui nous restent comme symboles, mais ce Feu de l'Esprit dont l'aspiration nous élèvera à leurs pieds ; alors l'Inde redeviendra ce qu'elle doit être, la véritable Lumière du monde et la fille des Dieux. Peuple antique, futurs enfants des Dieux ! Oui, quand l'amour brulera comme un Feu dans chacun de vos coeurs, cette flamme immense atteindra leur trône !

Vous êtes ici : Accueil LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893 I — LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS B — LE FEU