LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893 http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893 Fri, 03 May 2024 23:00:55 +0000 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr bon.christo@free.fr (UNION) LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS - YOGA - SYMBOLISME Par Annie BESANT - 1893 http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1131-la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893 http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1131-la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893 LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS - YOGA - SYMBOLISME

 

Par Annie BESANT - 1893


Traduit de l'anglais
Original : Éditions Adyar — 1948

Droits : domaine public

Édition numérique finalisée par GIROLLE (www.girolle.org) — 2014
Remerciements à tous ceux qui ont contribué aux différentes étapes de ce travail


NOTE DE L'ÉDITEUR NUMÉRIQUE


L'éditeur numérique a fait les choix suivants quant aux livres publiés :
- Seul le contenu du livre à proprement parler a été conservé, supprimant toutes les informations en début ou en fin de livre spécifiques à l'édition de l'époque et aux ouvrages du même auteur.
- Le sommaire de l'édition papier originale a été supprimé sauf dans certains ouvrages où le sommaire, sous forme de liens hypertextes renvoyant au chapitre concerné, est thématique  sommaire rappelé en tête de chapitre.
- Certaines notes de bas de page ont été supprimées ou adaptées, car renvoyant à des informations désuètes ou inutiles.
- L'orthographe traditionnelle ou de l'époque a été remplacée par l'orthographe rectifiée de 1990 validée par l'académie française.

]]>
bon.christo@free.fr (Super User) LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893 Tue, 25 Jun 2019 05:52:43 +0000
LIVRE PRÉFACE http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1132-livre-preface http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1132-livre-preface LIVRE


PRÉFACE


Les quatre conférences contenues dans ce volume ont été faites en présence des délégués et des membres de la Société Théosophique, lors de la Convention annuelle à Adyar-Madras, les 27, 28, 29 et 30 décembre 1893, dans le but de montrer à quel point les enseignements de H. P. Blavatsky éclaircissent le sens profond des livres sacrés indous, et de justifier en même temps l'utilité des doctrines théosophiques et indoues. Elles avaient encore pour but de faire ressortir l'identité de ces doctrines ; de prouver que celui qui croit aux enseignements théosophiques doit accepter ceux des Védas et des Pourânas sur les questions fondamentales ; que la Théosophie est un fragment de la Brahma-Vidyâ ou Sagesse divine des temps pré-védiques ; que les Shroutis sont les meilleurs exposés exotériques de cette Brahma-Vidyâ ; que les Pourânas avaient pour but de donner, à ceux qui ne pouvaient pas étudier les Védas, les vérités spirituelles contenues dans ceux-ci, et cela sous une forme concrète et facile à comprendre. Telles sont les idées que ces conférences se proposaient d'exprimer.
Mon acquiescement aux enseignements théosophiques [8] impliqua pour moi, dès le début, mon acquiescement aux Écritures indoues, comme étant la mine d'où devait être extrait l'or de la Connaissance spirituelle. En tant que philosophie, la Théosophie peut, au point de vue intellectuel, être considérée comme distincte de l'Indouisme et de toute autre religion, bien qu'elle soit sur beaucoup de points la reproduction de la Védânta-Advaita ; mais si l'on veut extraire de la Théosophie un aliment de spiritualité, si on l'enseigne à la fois comme religion et comme philosophie, alors c'est dans l'Indouisme que le besoin d'adoration trouvera sa satisfaction la plus profonde, l'Indouisme étant l'exposé exotérique de Théosophie le plus ancien et le plus complet. Je ne veux pas dire que la dévotion ne puisse pas s'accommoder des différents cultes religieux, et que le fidèle d'une religion, en devenant théosophe, ne cherchera pas et ne trouvera pas dans sa religion la nourriture spirituelle qu'il désire. Mais si, comme moi, il devient théosophe après avoir été matérialiste, il adoptera très probablement pour sa dévotion les anciennes formes sanscrites conservées dans l'Indouisme, formes que ses études intellectuelles et philosophiques lui auront rendu familières. La Théosophie m'a donné satisfaction non seulement au point de vue intellectuel, mais aussi au point de vue dévotionnel, et c'est dans l'Indouisme que la Théosophie dévotionnelle trouve son expression la plus ancienne et la plus naturelle. L'étudiant de la Brahma-Vidyâ peut ainsi, en tant que Bhakta, devenir également [9] Indou, en reconnaissant que Gnyânam et Bhakti sont toutes deux nécessaires à l'évolution de la vie spirituelle.
Ce qui précède m'a paru nécessaire pour expliquer ma propre attitude de Théosophe et d'Indoue, qui s'affirmera au cours de ces conférences, et pour repousser l'absurde légende suivant laquelle je me serais convertie à l'Indouisme depuis mon arrivée dans l'Inde. Je suis devenue Indoue tout en acceptant pleinement et entièrement la Théosophie telle qu'elle est enseignée par les Occultistes, et il n'y a eu là aucun changement, sauf que j'ai gagné une vision toujours plus claire, une connaissance toujours plus étendue et une satisfaction de plus en plus profonde depuis que j'ai embrassé ces enseignements en 1889.


Annie BESANT.


Ludhiana, février 1894.

]]>
bon.christo@free.fr (Super User) LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893 Tue, 25 Jun 2019 05:54:44 +0000
I — LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS A — LE SON http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1133-i-la-construction-de-l-univers-a-le-son http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1133-i-la-construction-de-l-univers-a-le-son I

LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS


A

LE SON


La première impression que les grandes Écritures de la nation indoue produisirent sur la pensée européenne fut quelque peu étrange et saisissante. Un conflit d'opinions s'éleva entre les penseurs européens sur l'origine et la valeur de cette ancienne littérature ; d'une part on y reconnaissait une profonde philosophie ; d'autre part la découverte d'une pareille philosophie, chez des peuples regardés comme moins civilisés que leurs critiques, donna lieu à de nombreuses controverses au sujet de l'origine de ces livres et des influences qui avaient présidé à leur conception. Même aujourd'hui que la profondeur de leur philosophie est admise, que la grandeur et la sublimité de leur pensée ne sont plus mises en doute, on rencontre des hommes comme le professeur Max Müller, qui ont consacré leur vie à l'étude de ces livres, et qui cependant parlent des Védas comme du bégaiement d'un peuple enfant, niant la possibilité d'y découvrir aucune espèce de doctrine secrète, dissimulée sous le voile du symbolisme ou de l'allégorie. Les penseurs occidentaux me paraissent [12] incapables de comprendre qu'une race, tout en étant dans l'enfance, peut avoir des Instructeurs divins ; qu'une civilisation, tout en étant à l'âge de sa croissance, peut grandir sous la direction de Ceux qui sont spécialement illuminés par l'Esprit divin. C'est pourquoi les penseurs occidentaux ne pouvaient reconnaitre la valeur des Écritures ; ils n'ont vu cet ancien peuple qu'en masse, sans comprendre la noblesse des Instructeurs, des Guides qui se tenaient au-dessus. En s'efforçant de découvrir aux Écritures une origine purement humaine, ils ont pitoyablement échoué dans leur analyse ; car dès lors qu'on rejette le divin, la croissance d'une nation devient incompréhensible ; lorsqu'on méconnait la divinité dans l'homme, on ne peut acquérir aucune notion exacte de philosophie, de religion ni de civilisation.
Dans ces conférences je veux essayer de justifier les Écritures indoues, quelque imparfait que soit cet effort, et de prouver qu'elles renferment la philosophie la plus profonde et la science la plus large en même temps que la religion la plus encourageante ; que la science occidentale commence à peine à fouler le sentier si clairement tracé par elles ; que les connaissances qui commencent à poindre en Occident, grâce à l'observation du monde extérieur, peuvent être acquises plus rapidement en étudiant les écrits de ceux qui observaient l'univers du dedans et non du dehors. Aussi lisons-nous que dans la chambre du Lotus, située dans le coeur, et dans son espace rempli [13] d'éther, on peut découvrir tout ce qui se rencontre dans le monde extérieur.
"En lui existent à la fois le ciel et la terre, Agni et Vayou, le soleil et la lune… ; et tout ce qui existe dans cet univers 1…" est là, de sorte que l'homme, en découvrant son Esprit, découvre par là même tout ce qui existe dans le Cosmos. Et ceci n'est pas seulement très poétique, c'est scientifiquement exact ; car en développant réellement les yeux de l'Esprit, les yeux qui voient à travers tous les voiles de la nature extérieure, nous pouvons acquérir des connaissances à la fois plus exactes et plus profondes que par les seules observations des yeux de la chair.
Dans cette direction, nous avons été puissamment aidés par cette dame russe, cette grande Instructrice que nous connaissons sous le nom d'Héléna Pétrovna Blavatsky. Ce qui peut déterminer sa valeur pour le monde, ce n'est pas de savoir si elle était ou non capable d'accomplir certaines actions miraculeuses, si elle était une magicienne extraordinaire ou une simple prestidigitatrice. Ce n'est pas sur ces points que la postérité basera son jugement. À mon avis, ces soi-disant merveilles sont choses assez insignifiantes, et bien qu'intéressantes à certains points de vue, je considère leur importance comme relativement minime.
Sa réelle valeur consiste en ce qu'elle nous a révélé le secret de la Connaissance antique, en ce [14] qu'elle a mis entre nos mains les clefs grâce auxquelles nous pouvons nous-mêmes ouvrir les portails du sanctuaire intérieur, en ce qu'elle est venue, instruite dans les choses de l'Esprit et prête à nous expliquer comment nous diriger personnellement dans la voie tracée par elle, de façon que ceux qui auront appris cette philosophie ésotérique, appelée aujourd'hui Théosophie, puissent trouver dans les Védas et les Pourânas des instructions qui restent cachées aux lecteurs ordinaires.
C'est ainsi qu'elle a agi en grande Instructrice ; car elle a joué le rôle que remplissait autrefois le Maitre envers son disciple ; elle nous montre le sens profond des Écritures, nous ouvre la voie du progrès spirituel et nous rend ainsi capables de nous élever jusqu'à l'antique sagesse des temples.
Pour justifier ce point de vue, je prendrai certaines doctrines des anciennes écritures indoues, et j'essayerai de vous montrer à quel point elles se trouvent éclaircies et facilitées par la lumière qu'y projette la lecture des volumes de la Doctrine secrète. Je me servirai également des résultats les plus avancés de la Science moderne, pour vous faire voir comment la Doctrine secrète, qui est en réalité l'enseignement le plus ancien de l'Inde, s'appuie d'un côté sur ce qu'en Occident nous appelons la Science, et de l'autre côté sur les Écritures de l'Orient ; celles-ci à leur tour deviennent plus intelligibles, plus cohérentes, et leurs apparentes contradictions s'effacent, lorsqu'on les examine à la lumière de ces doctrines [15] secrètes dont une partie seulement a été donnée au monde.

1 Chhândogyopanishad, VIII, I, 3.

Je ne puis, dès le début, traiter cette question de la construction de l'Univers, au point de vue de la science telle qu'elle est comprise en Europe ; car la science européenne ne s'occupe pas du commencement des choses. Elle prend la manifestation déjà parvenue à un point donné, et par conséquent ne nous dit rien du premier bourgeonnement de l'univers dans l'existence ; elle ne s'occupe aucunement de ce qui précède le moment où la Matière revêt une forme appréciable par les sens physiques, ou du moins capable de fournir un point d'appui aux échafaudages de l'imagination, qui se conforme au plan de sens physiques. Tyndall a parlé du rôle de l'imagination dans la science, de sorte que nous pouvons rester dans les limites scientifiques tout en avançant au-delà des limites actuelles des sens. On a renoncé à prétendre, comme on le faisait il y a une trentaine d'années, qu'il n'y ait de vrai que ce qui peut être perçu par les sens. Les progrès de la science ont renversé cette affirmation. Mais elle soutient encore que rien ne peut être compris dans son domaine en dehors des concepts fournis par l'intelligence d'après les faits recueillis par les sens ; de sorte qu'en traitant de l'existence du Cosmos manifesté, votre pensée ne devrait pas dépasser des conceptions matérielles ou déjà appuyées sur des phénomènes matériels bien observés. Autrement dit, vous pouvez aller plus loin que l'agrégat de matière visible et poser, en principe, [16] l'existence de l'atome, qui est invisible, et ne peut être perçu que par un effort d'imagination scientifique ; mais il ne vous est pas permis d'aller au-delà de ce que cette imagination peut construire avec les matériaux fournis par les sens. Il est vrai que Crookes s'est occupé de la construction de l'atome : mais encore n'est-il pas allé plus loin que le protyle ou matière originelle. La science ne veut pas aller au-delà : elle refuse de pénétrer davantage l'origine des choses et de se demander si l'on pourrait concevoir un développement et une évolution antérieure à ce protyle. Pour explorer ces origines, nous ne pouvons nous appuyer que sur la Doctrine secrète et sur les écritures ; il faut attendre d'être un peu plus avancés dans notre raisonnement pour appeler à notre aide la critique scientifique.
Du moins, pour que ce raisonnement soit complet à notre propre point de vue, je veux rapidement comparer l'origine des choses d'après les Shâstras et d'après le livre intitulé la Doctrine secrète ; nous pourrons ainsi constater, je l'espère, que l'exposé méthodique présenté dans ce livre est d'un secours inappréciable au sein de la profusion quelque peu confuse avec laquelle les Shâstras nous présentent les aspects divers de l'évolution. Car il faut vous souvenir que des voiles ont été jetés à dessein sur ces Écritures mises entre nos mains. En les lisant successivement, nous ne pouvons pas toujours nous faire une idée suivie de l'ensemble ainsi présenté par fragments ; aussi gagnerons-nous beaucoup de temps en jetant [17] un coup d'oeil rapide sur cet ensemble ; ensuite, dès que nous trouverons un fragment, nous pourrons le mettre à sa véritable place dans l'édifice que nous nous efforçons de construire ; le plan architectural que nous a positivement fourni Mme Blavatsky nous évitera l'inconvénient de conserver nos connaissances à l'état fragmentaire.
Voyons d'abord comment les Shâstras nous décrivent l'origine des choses : il y a ici une différence entre les Pourânas et les Oupanishads. Les premiers donnent plus de détails, grâce à leurs descriptions successives, tandis que les seconds fournissent un point de vue plutôt philosophique que cosmologique, surtout lorsque, prenant pour point de départ l'Esprit de l'homme, ils indiquent la manière de le relier à sa véritable source. Il en résulte une différence dans la façon dont ces deux grandes divisions des Shâstras représentent l'univers, et je veux vous indiquer une divergence particulièrement embarrassante pour le lecteur, qui se demande parfois s'il est possible de concilier les deux systèmes.
Tout d'abord, – si je puis employer un paradoxe apparent, qui est cependant une vérité, – je dois dire que dès "l'origine des choses" la pensée se trouve repoussée encore plus loin ; car "origine des choses" signifie manifestation, différenciation, et le mot "choses" lui-même implique l'existence manifestée. Or avant le manifesté, il doit y avoir l'Unique ; la science européenne le reconnait elle-même et déclare avec raison que cette unité est inscrutable et que le phénomène [18] seul peut être soumis à l'analyse ; cependant l'existence de ce qui est au-delà du phénomène est rarement contestée, sauf peut-être dans quelques petites écoles qui voient dans l'Univers un chaos de phénomènes changeants, sans comprendre l'unité fondamentale à laquelle ils se rattachent tous. En général, lorsque la science devient philosophique, l'Unité est posée en principe comme inconnaissable et insaisissable par la pensée humaine. Mais la philosophie indoue possède une conception plus profonde encore de l'univers, car ce que la pensée humaine ne peut atteindre se trouve encore, pour ainsi dire, à la limite extérieure de la manifestation ; et en arrière de cette limite, au-delà même de Brahman, – qui est représenté comme invisible, intangible, insaisissable même par la pensée, qui ne peut être prouvé et dont la seule preuve réside dans la croyance de l'âme, – plus loin que tout cela, la pensée indoue pose encore en principe ce qui n'a pas de nom, ce qui ne peut être désigné que par une épithète, "l'au-delà de Brahman" le Para-Brahman de la philosophie, "inchangeable Vishnou" du Vishnou-Pourâna.
Or, sur CELA sur cet inchangeable Vishnou, on ne peut rien dire, on ne peut rien penser. La pensée et la parole n'ont plus rien à voir dans cette région, car nous ne pouvons commencer à penser et à parler que lorsque la manifestation se produit et que de ces ténèbres insondables s'élance le premier tressaillement, qui est la Lumière, la possibilité de l'existence manifestée.
Et maintenant nous arrivons dans les écritures [19] à la première de toutes les manifestations, à ce qui est désigné, remarquez-le bien, tantôt comme manifesté et tantôt comme non-manifesté ; non-manifesté en soi-même, mais manifesté en tant que générateur. Car notre pensée plonge, pour ainsi dire, vers Brahman, bien que Brahman lui-même soit insaisissable pour la pensée humaine. Et nous trouvons Brahman, ou son équivalent, désigné dans ces deux grandes sources d'étude, les Oupanishads et les Pourânas, comme triple en lui-même, quoiqu'il ne se manifeste pas directement comme triple ; c'est l'Unité, mais avec une triplicité intérieure, latente et repliée sur elle-même, qui apparaitra graduellement et successivement dans ses manifestations et rendra possible l'univers des choses. Brahman lui-même est essentiellement triple : et, soit que vous le considériez, avec la Taittirîyopanishad, comme "Vérité, Connaissance et Infinité", soit que vous le désigniez par cette série qui nous est plus familière "Existence, Béatitude et Pensée", en réalité, sous des mots différents c'est la même conception, "Sat-Chit-Ananda", selon la formule bien connue du Suprême, et qui est simplement un synonyme de l'expression employée dans l'Oupanishad en question. Qu'est-ce après tout que Satyam, Gnyânam, Anantam 2, sinon des termes divers par lesquels l'homme s'efforce en vain de représenter des réalités ; et qu'importe qu'il emploie l'une ou l'autre de ces formules ? Ce qu'il faut bien saisir, c'est [20] que ces réalités se trouvent en puissance dans la première Émanation, c'est que le commencement du Cosmos n'est que le développement en manifestation de cette triple force latente, ou le passage de la potentialité à l'activité.

2 Taittirîyopanishad, Brahmânanda Vallî, 1er anuvâka.

Or nous trouvons dans le Vishnou Pourâna un passage exprimant la même pensée de la trinité latente ; la première manifestation de Vishnou est Kâla, le Temps, qui n'est ni Matière ni Esprit, mais subsiste après que tous deux ont disparu en lui. Vous vous rappelez qu'il est dit dans le second chapitre du Vishnou Pourâna que Pradhâna est l'essence de la Matière, Pourousha, l'essence de l'Esprit, et que lorsqu'ils disparaissent, la forme de Vishnou, qui est le Temps, persiste ; voilà le concept du Temps sans commencement ni fin, qui se tient pour ainsi dire en arrière des manifestations subséquentes, les relie et les rend possibles.
Puis nous arrivons à la seconde étape, qui dans ce Pourâna est désigné sous le nom de Pradhâna-Pourousha, essence de la Matière et essence de l'Esprit ; c'est le Deux sorti de l'Un, et cela représente la manifestation, et c'est pour cela que Brahman est représenté comme étant à la fois manifesté et non manifesté. En lui-même il est non manifesté ; mais il est manifesté lorsque les Deux sortent de l'Un, et cette dualité rend le Cosmos possible.
Nous pouvons trouver dans bien d'autres livres de nombreuses expressions qui rendent cette même pensée de dualité, sur laquelle Subba Rao a tant insisté. Tous les penseurs regretteront la mort de [21] ce philosophe, dont l'oeuvre aurait si puissamment contribué à cette unification de la pensée occulte et de la pensée publiée. Moûlaprakriti et Daiviprakriti ne sont que des termes différents pour désigner ce que la pensée grecque a nommé le Logos. On nous donne aussi le mot "Vyaya", extensible, qui représente l'unique caractéristique de Pradhâna ; on ne peut pas encore commencer à décrire, parce qu'il n'y a pas encore d'attributs évolués, mais il y a l'unique caractéristique de l'extensibilité, qui implique toujours une possibilité de forme, ce qui va prendre des apparences multiples ; et il y a aussi ce qui doit apparaitre dans la forme, Pourousha, ce modeleur qui travaille Pradhâna, et rend ainsi possible le déploiement de l'univers manifesté. Il y a enfin, toujours d'après le Vishnou-Pourâna, la troisième étape, Mahat, qui sera la force de contrôle et de direction, qu'on pourra appeler le Législateur, qui, en toute circonstance, guidera l'évolution de l'univers suivant une ligne harmonieuse, raisonnable, et jusqu'au bout. Je ne puis m'empêcher ici de vous faire remarquer que je viens de me servir d'une pensée récemment émise par le professeur Huxley. Dans Evolution and Ethics (p. 35) 3, il parle d'une intelligence qui "pénètre l'univers" et dont il a fini par reconnaitre l'existence, après avoir pendant tant d'années professé l'agnosticisme. Cette Intelligence dont il est obligé d'admettre la qualité pénétrante est essentiellement la [22] même chose que Mahat, la conception fondamentale d'une intelligence sans autres limites que celles qui lui sont imposées par le fait même de la manifestation.
Ces trois phases, exposées d'une façon si claire et si précise dans le Vishnou-Pourâna, sont assez difficiles à suivre dans les Oupanishads ; mais je tiens à dire, avant de quitter leur exposé dans le Pourâna, que ces Trois ne sont que le développement de l'Un, du Sat-chit-ânanda qui se trouve latent dans le premier. Vous les différenciez dès que vous les considérez comme Trois. Le premier est alors Sat, la pure existence. Que peut être le second, qui est double, sinon Ananda ? car la félicité implique la dualité. Et qu'est-ce que Mahat, sinon Chit en manifestation ? C'est donc bien par un procédé de déploiement, comme je vous le disais, que tout ce qui est latent dans l'Un devient manifesté dans le Trois. Ce développement est un peu voilé dans les Oupanishads ; elles ont une tendance à passer directement du Brahman, en qui tout est latent, à l'Esprit dans l'homme, qui est Brahman dans le coeur, le Logos de l'âme individuelle ; on trouve néanmoins çà et là des passages indiquant que les Oupanishads contiennent des traces de la même pensée que celle qui a été plus complètement développée dans les écrits pourâniques.
Dans la Mundakopanishad, il est dit que de Brahman procède la Vie, – qui est Ananda, – et l'Esprit, qui est Chit ; puis viennent les cinq [23] éléments, l'éther, l'air, la lumière, etc. 4. C'est en somme la même succession, mais l'auteur s'y arrête moins, son objet principal n'étant pas d'exposer le développement du Cosmos. On trouve également dans la Brihadâranyakopanishad la trinité "Vie, Nom et Forme" ; la Vie d'abord, d'où procèdent les Deux et qui est cachée par le Nom et la Forme, ce qui revient à dire que le Premier est voilé par sa double manifestation. La Kathopanishad présente encore la même idée dans la série de recherches tracées pour ceux qui veulent s'élever vers l'Esprit ; après le passage de Manas à Buddhi et de Buddhi à l'Atmâ, on trouve au-delà d'Atmâ le Non-manifesté, puis encore au-dessus la grande âme appelée Pourousha. On arrive ainsi à cette constatation très suggestive qu'entre l'Esprit qui est en l'homme et ce au-delà de quoi il n'y a rien, on ne trouve qu'un degré, le "Non-manifesté". Quel dessein se cache sous cette exposition non plus triple, mais unique ? C'est de montrer à ceux dont les yeux sont ouverts l'Unique interposé entre l'Esprit dans l'homme et Ce qui est inconnaissable ; car le Logos de l'âme est unique, et unique est le Rayon dont le reflet dans le coeur est l'Esprit ; ainsi l'Oupanishad, se proposant de nous faire découvrir l'unité de l'Esprit avec son Seigneur, laisse de côté tout ce qui n'est pas le Logos unique auquel appartient l'Esprit ; le Cosmos disparait lui-même avec sa multiplicité quand l'Esprit recherche sa propre source. [24]

3 Évolution et Éthique.
4 Mundaka, II, I, 3.

Si maintenant l'on abandonne les Écritures proprement dites pour continuer cette esquisse d'après la Doctrine Secrète – c'est-à-dire d'après l'ouvrage qui porte ce nom, – la simplicité et la clarté avec laquelle y sont présentés ces renseignements compliqués fait l'effet d'un fil conducteur au milieu des difficultés des textes indous. Basé sur les mêmes fondations que les Shâstras, cet enseignement pose d'abord en principe l'existence de Parabrahm, dont on ne peut rien dire, puis nous présente les trois Logoi : le mot Logos est employé parce qu'il est mieux connu en Occident, et parce qu'il a une signification particulière par rapport à la construction de l'Univers, ainsi que je le montrerai en parlant du Son. Le mot Logos lui-même implique le Constructeur, puisque le son proféré est le grand Constructeur de toutes les formes manifestées. Puis on nous trace la succession de ces trois Logoi, identiques, sous un autre nom, à l'ancienne Trimoûrti que nous avons étudiée dans les Écritures : d'abord le premier Logos, qui n'apparait que pour disparaitre, et que l'on appelle le Non-manifesté, car il n'est pas manifesté par rapport au Cosmos : il ne peut se manifester qu'à l'Esprit dans l'homme, qui est un avec lui-même ; puis vient l'Un différencié, le Deux, ou pour employer l'expression occidentale, la dualité représentée comme "Esprit-Matière" : non pas Esprit et Matière : il n'y a là que les deux aspects de l'Unique, qui, séparés même par la pensée, donneraient pour point de départ une conception erronée. L'univers ne provient pas de [25] l'Esprit et de la Matière, conçus comme séparés, mais évolue de l'Esprit-Matière, ou de l'Unique, sous un double aspect. C'est pourquoi ce second Logos comprend, comme je l'ai dit, l'aspect d'Ananda, et H. P. Blavatsky insiste fortement sur cette unité fondamentale qui devient duelle en manifestation : Esprit-Matière, Pourousha-Pradhâna, les deux premiers aspects de l'Un sans second. Puis, s'efforçant de donner au chercheur attentif, sur ce sujet profondément symbolique, une allusion qui lui permette de découvrir le mystère fondamental du Cosmos, la voilà qui traite du symbolisme lunaire et place tout à coup cette phrase :
"Le magnétisme lunaire engendre la vie, la préserve et la détruit : et Soma renferme le triple pouvoir de la Trimoûrti, bien qu'il passe inaperçu pour les profanes 5."
Un peu plus loin elle parle de :
"L'Essence divine unique non manifestée engendrant continuellement un second Soi manifesté, second Soi qui, étant androgyne dans sa nature, donne naissance d'une façon immaculée à toutes les choses macrocosmiques et microcosmiques dans cet univers 6."

5 Doctrine Secrète, 2e vol., (1re éd.), p. 119.
6 Op. cit., p. 120.

Cette phrase, où l'auteur fait intervenir la lune d'une façon curieuse, renferme la clef de la plupart des allégories qui expliquent les commencements si obscurs de la construction de l'Univers. D'un côté le soleil et de l'autre la lune, la lumière [26] et l'eau ; le feu et l'eau sont partout et c'est grâce à eux que l'univers peut être construit ; le feu et l'eau sont simplement les synonymes d'Esprit et de Matière, et ils expriment la dualité du second Logos. Dans cette seconde manifestation le feu représente Daiviprakriti ou la Lumière du Logos : l'eau est la manifestation de Moûlaprakriti ou la racine de la Matière. Tous deux procèdent selon cette double ligne, et la lune, – tous les étudiants le savent, – est toujours représentée comme androgyne, tantôt mâle et tantôt femelle, un jour comme un Dieu, le roi Soma, un autre jour comme une déesse, de façon que ce point s'impose toujours à notre attention. En pensant à la lune nous lui trouvons toujours deux côtés, le positif et le négatif, ce que nous appelons ici-bas les sexes ; c'est l'éternelle antithèse, sans laquelle aucune création n'est possible, le passif qui nourrit l'univers et l'actif qui le féconde sont également nécessaires ; sans eux il ne pourrait y avoir aucune reproduction ni même aucune existence pour l'univers manifesté.

Vient ensuite le troisième Logos, Mahat, dont le nom embrasse le pouvoir d'idéation, la pensée et l'intellect, et qui constituera la racine même de l'existence. De sorte qu'ici encore la vie et la pensée doivent servir de base ; partout où l'on rencontre un atome d'existence manifestée, on trouve en lui la dualité qu'il tient de sa source ; car de la dualité doit procéder la dualité, et il est aussi impossible de trouver de la matière inerte que de l'énergie insensible ; cela ne peut exister dans un [27] univers engendré par la Vie et par la Pensée.
La trinité est septuple dans son acception la plus profonde, car les sept sont enveloppés dans les trois ; de même que dans la Trimoûrti, en y pensant bien, on découvre encore les sept ; on doit reconnaitre en effet dans chacun de ses membres l'aspect Shakti, ou la dualité, de sorte que les trois deviennent six. Dès que vous découvrez l'Unité, vous êtes obligé, dans la manifestation, d'apercevoir la dualité ; on ne peut trouver Vishnou sans Lakshmî, Shiva sans Dourga, les deux sont toujours reconnaissables, de sorte qu'en pensant à la Trimoûrti vous pensez en réalité aux six ; le septième est ce qui forme leur synthèse sans laquelle cette différenciation ne pourrait pas apparaitre ; ainsi le septénaire se montre dès l'origine du Cosmos, et c'est notre manque d'intuition qui nous a si longtemps empêchés de nous en apercevoir.
À cette étape, celle de Mahat ou de l'intelligence, commence la possibilité de la manifestation, et la science occidentale peut entrer en jeu ; de Mahat vient le triple Ahamkâra, qui possède ces qualités bien connues de tout étudiant de la Gîtâ ou même de la philosophie en général, – le vrai ou pur, l'actif ou brillant, le sombre ou élémental, – cette triple qualité de la matière nécessaire à toute manifestation subséquente et grâce à laquelle doit apparaitre la variété. Le Vishnou Pourâna nous apprend que de la qualité tâmasique procèdent les éléments, non pas les éléments dont parle la science occidentale, mais [28] les cinq éléments anciens ; aucun mot de nos langues européennes ne correspond bien au terme Bhoutâdi.
C'est de l'Ahamkâra que procède l'univers matériel ; il engendre d'abord l'Akâsha, de l'Akâsha vient l'air, de l'air le feu, du feu l'eau, et de l'eau la terre. Mais pourquoi cette succession ? D'abord l'Akâsha : on nous dit que sa caractéristique est le Son ; le rudiment du Son évolue, et c'est l'unique attribut d'Akâsha. Ensuite vient l'air : mais qu'est-ce que l'air dans ce sens ? Ce n'est assurément pas l'air de l'atmosphère, l'air de la manifestation postérieure, un mélange de gaz où apparaissent déjà les atomes. Le grand "Air" des Oupanishads et des Pourânas est le souffle du Suprême, le Mouvement, car tant que cette conception du Mouvement n'est pas intervenue, aucune manifestation n'est possible. Nous avons donc d'abord l'Akâsha, qui a le Son pour unique attribut, puis le Mouvement qui est donné à l'Akâsha par le grand Souffle ; en eux nous avons le son, puis le toucher, qui est le deuxième sens. Du son et du toucher, ou de l'Akâsha et de l'air, provient le Feu, dont la production suppose entre le Souffle et l'Akâsha un frottement qui est l'Électricité ; désormais rien ne pourra se développer sans elle ; avant que l'Akâsha ait pris forme par le Souffle, puis ait donné forme à l'Électricité, celle-ci ne peut produire d'agrégats ; c'est seulement quand la série est complète que devient possible la constitution atomique, d'où résulteront l'eau et la terre, ou les manifestations liquide et solide de ce qui a, [29] jusqu'à ce moment, été appelé "immatériel".
Remarquez comment cette succession nous est pour ainsi dire intellectuellement garantie par les sens, comment le premier élément est en corrélation avec le sens de l'ouïe, le second avec le son et le toucher ; avec le feu vient la lumière, qui est en corrélation avec la vision ; puis vient l'eau qui correspond au gout, car il ne saurait y avoir de gout sans humidité ; et enfin la terre, dont la caractéristique essentielle est l'odorat, le dernier des sens qui évolue sur le plan physique, et par conséquent le premier qui se rencontre sur le plan astral quand l'âme y revient pour se chercher elle-même. H. P. Blavatsky a toujours soutenu que l'Akâsha est ce qui est généré par le troisième Logos, et que sa seule caractéristique est le Son. C'est ici qu'intervient directement notre science moderne ; et de cette conception d'un Akâsha dans lequel agit le grand Souffle, de façon à ce que, par cet Akâsha et par Vayou, Agni puisse apparaitre, nous nous trouvons en face des plus récentes théories et découvertes de la science, de cette genèse des éléments – ou construction de l'Univers, sous un autre nom, – que nous pouvons étudier, présentée en langage occidental, dans les ouvrages de M. Crookes. Mme Blavatsky s'est longuement arrêtée, dans le Ier volume de la Doctrine Secrète, sur les découvertes de Crookes déjà publiées lorsque ce livre fut écrit ; elle signalait en passant certaines lacunes de sa théorie ; mais il faut remarquer que quelques mois seulement avant la mort de Mme Blavatsky – c'était en 1891 – M. Crookes [30] déclara, devant un auditoire de savants anglais éminents, que son ancienne hypothèse était devenue certitude, et qu'il était désormais capable de présenter comme des théories bien établies certaines hypothèses dont il n'avait pu naguère que suggérer l'utilité pour faciliter des découvertes. Et quelle était cette grande découverte, qui fit dire à l'un de ses auditeurs que l'on devrait placer son nom au niveau des plus grands penseurs et des plus grands savants de notre époque ? C'est que l'atome n'est pas éternel, qu'il est un produit et non une substance primordiale ; qu'il est destructible et qu'il a dû par conséquent venir à l'existence, car cela seul qui est indestructible, est éternel, comme l'admet toute philosophie. Il prouva que l'atome doit être considéré comme duel, ou comme un corps neutre formé par la réunion des éléments positifs et négatifs de la Nature, qu'il n'était permanent qu'en vertu de cette dualité, car c'est l'entrelacement étroit de ces éléments qui rend les atomes suffisamment stables pour servir en quelque sorte de briques dans la construction du monde. Puis en arrière de l'atome il plaça ce qu'on appelle "le protyle", mot emprunté à un occultiste du moyen âge, Roger Bacon, qui s'en servait pour désigner la substance primordiale. Lorsqu'il voulut expliquer la construction des atomes, il se vit contraint de poser en principe le protyle comme substance primordiale. Et voyez comme ce savant a suivi exactement les traces de la pensée antique lorsqu'il fut obligé de poser en principe le Mouvement, [31] c'est-à-dire le grand Souffle, l'élément venant après l'Akâsha, sans lequel il serait resté inactif et par conséquent stérile. Avec le protyle et le mouvement, il pose enfin en principe le troisième aspect, la force alliée à l'électricité, force qui, dit-il, trace d'elle-même une spirale dans l'espace rempli de matière. Au cours de cette spirale les atomes sont formés tour à tour par l'agrégation du protyle, et à mesure qu'ils sont produits, ils sont classés dans une catégorie chimique déterminée par la position qu'ils occupent dans la spirale tracée par la force électrique, La spirale est une forme nécessaire ; mais pourquoi ? Supposez que le mouvement existe d'abord dans une seule direction : en procédant à travers la matière homogène, il comprimera cette matière, qui en se solidifiant perdra de la chaleur. Il est certain qu'il doit en résulter un abaissement de température, car c'est une des expériences les plus connues en chimie élémentaire que lorsque la matière passe d'un état à un autre, soit de l'état gazeux à l'état liquide et de l'état liquide à l'état solide, ou inversement, il y a, selon le cas, de la chaleur émise ou de la chaleur qui devient latente. Prenons un exemple familier : si l'on change de la glace en eau, la quantité de chaleur qui devient latente doit égaler 80 unités avant qu'il y ait aucun changement apparent dans la forme ou la température de la glace. De même lorsque les éléments se solidifient et que la température change, quel doit être le résultat produit ? C'est que le mouvement change de direction, c'est [32] que l'abaissement de température produit une modification de mouvement ; pour représenter cela il faut se figurer non plus une ligne droite, mais une ligne qui soit la résultante de deux forces agissant dans des directions différentes et traçant ainsi nécessairement une spirale. Je compte dire quelques mots plus loin de l'ancien symbole du Serpent, si familier dans notre littérature : il constitue le symbole le plus suggestif de la spirale qui se replie continuellement sur elle-même et nous donne l'image exacte du Mouvement cosmique. Nos grands savants sont obligés d'employer la même image en généralisant la force dans le Cosmos et la genèse des éléments provient de cette spirale ou mouvement hélicoïdal. C'est ce que Mme
Blavatsky appelle le mouvement spiraliforme de Fohat dans l'espace ; car Fohat est la base de toutes les forces, et c'est par lui que la force de l'électricité est engendrée.
En même temps vient le Son ; il ne peut y avoir de mouvement dans la matière sans qu'il naisse des vibrations ; et toute vibration, au fond, est du son ; toute vibration peut se changer, se transformer en son, et cette parole ancienne, "le Serpent glisse en sifflant dans l'espace", contient un sens très réel. C'est pourquoi la première propriété engendrée dans l'Akâsha est le Son, – le Verbe, le Logos ; rappelez-vous ici avec quelle clarté et quel talent Subba Rao s'est exprimé en parlant du son proféré, de la Voix énoncée, lorsqu'il désigne Fohat comme l'instrument du Verbe, et nous fait remarquer que ce que nous prononçons [33] est le Vaikarî Vâch, c'est-à-dire "le Cosmos entier dans sa forme objective 7" ; car l'univers entier n'est que l'émission du Verbe latent dans le Logos non manifesté, et qui est appelé le second Logos : c'est ce Verbe proféré qui est le Cosmos objectif. Dans le Cosmos comme dans l'homme existe cette puissance du Son, sans laquelle il ne saurait y avoir de forme ; car le Son est le constructeur, le générateur de la forme, chaque son ayant sa propre forme et possédant le triple pouvoir de produire la forme, de la conserver et de la détruire. Ainsi nous retrouvons la Trimoûrti : le Créateur, le Conservateur et le Destructeur, qui sont un sous différents aspects : le Divin est Unique, quelle que soit la forme de sa manifestation. Mais ici nous pouvons réunir la philosophie ancienne et la philosophie moderne : Shabda Brahman est la force qui construit le Cosmos, et c'est également la force par laquelle un Yoguî développe en lui-même tous les pouvoirs ; d'autre part, en étudiant la science occidentale, nous pourrons y puiser, comme preuves de cette puissance du son dans la construction de la forme, un certain nombre de faits, de ces faits qui pour certaines personnes sont plus convaincants que les réalités, plus profondes cependant, dont ils ne sont que l'expression phénoménale. Ces faits recueillis par la science moderne relativement au son, ont de la valeur pour nous, non pas en tant qu'enseignements, car ils ne devraient rien avoir à nous apprendre, [34] mais pour nous permettre de convaincre ceux qui n'ont pas su apprécier les Écritures, bien que celles-ci nous donnent l'essence dont la science ne montre que la manifestation extérieure.

7 Doctrine Secrète, 1er vol., 1re éd., p. 123, 2e éd., p. 117.

Cherchons donc ces faits qui viennent appuyer les auteurs anciens affirmant que le son est à l'origine même des formes, et que la multiplicité des formes dépend simplement de la variété des sons. Voici d'abord une des plus anciennes expériences faites en acoustique, l'une des plus rudimentaires, bien qu'à l'époque elle ait paru très intéressante. Prenez un tambour ordinaire, dont la peau vous fournira une surface vibrante ; si vous en frottez le bord avec un archet de violon, il se produira une note, qui dépendra de la tension du parchemin et de diverses causes moins importantes. Jusqu'ici, rien que de très simple : mais on voulut découvrir ce qui se produisait lorsque la note vibrait, et pour faire voir l'invisible, on répandit une légère couche de sable sur le tambour ; on fit ensuite vibrer le bord du cercle et on renouvela l'expérience en appliquant l'archet à chaque point de la circonférence du tambour. Laissez-moi vous faire remarquer incidemment combien la science européenne est admirable de patience lorsqu'il s'agit de répéter maintes et maintes fois une expérience jusqu'à ce qu'on arrive au fait ; ceci mérite toute notre admiration, car c'est le seul moyen de découvrir des phénomènes. On s'aperçut que, quelle que fût la partie de la circonférence où l'archet était appliqué, le sable était lancé en l'air, et on observa qu'il ne [35] retombait pas également sur toute la surface, mais formait des figures géométriques. Ainsi le sable répandu sur le parchemin était obligé par le son de prendre des formes géométriques définies, qui variaient selon la note émise lorsque l'archet frottait tel ou tel point de la circonférence. On constata que des formes différentes se dessinaient suivant que, en attaquant la circonférence à divers intervalles, on produisait les diverses harmoniques de la note fondamentale. D'abord, en touchant un point particulier, on obtenait une figure divisant le tambour en quatre parties seulement, parce que cette vibration était la note fondamentale émise par le parchemin tout entier ; mais si l'on y faisait vibrer les harmoniques, on avait des figures géométriques beaucoup plus compliquées. En continuant cette recherche des harmoniques, on découvrit que chaque note n'est pas produite par un son unique, mais bien par un ensemble de sons très complexe susceptible d'être divisé et subdivisé. Ainsi ce qui nous parait simple est en réalité composé ; lorsque l'on joue une note on fait résonner un grand nombre de notes en même temps, et l'oreille bien exercée peut distinguer ces harmoniques ; c'est la différence des harmoniques qui produit la différence de timbre. Cette différence de qualité de son, ou cette décomposition d'un son en plusieurs, était rendue visible par les formes que traçait le sable en retombant. On s'efforça alors d'enregistrer ces différences d'une façon plus parfaite, en remplaçant le sable trop lourd et le parchemin trop grossier par des substances [36] de plus en plus délicates, légères et ténues, telles que certaines semences minuscules ou des spores de lycopode ; ceux-ci conviennent à merveille pour ces expériences, car ils sont si légers que la plus faible vibration leur fait prendre des formes. On essaya des diapasons donnant des notes différentes, et on réussit à projeter sur un écran les dessins produits par les vibrations, au moyen de miroirs disposés à cet effet, d'une lanterne à projections et d'une lentille grossissante. De cette façon les vibrations invisibles du diapason furent agrandies et on les vit former de magnifiques dessins géométriques. Des figures exquises produites par chaque note apparaissaient sur l'écran où la lanterne projetait l'image, et se modifiaient à chaque changement de note. Ainsi lorsque l'on joue un morceau de musique quelconque, on donne naissance dans l'éther et dans l'air ambiant à des formes ravissantes. Telle est l'ingénieuse méthode par laquelle les pulsations du son ont été projetées sur un écran, par laquelle l'invisible est devenu visible, et le pouvoir de la sonorité a été rendu aussi sensible aux yeux qu'il l'était aux oreilles.
Les investigations ont été poussées encore plus loin : Mme Watts-Hughes a découvert que si l'on chante une série de notes dans un instrument en forme de cor, il en résulte des formes plus compliquées, telles que fougères, arbres et fleurs, engendrées par la voix humaine. Pour approfondir ce phénomène on a inventé un instrument ingénieux composé de deux pendules oscillant chacun selon [37] son mouvement propre, mais disposés de façon à réagir l'un sur l'autre, le mouvement de l'un modifiant celui de l'autre. Un crayon est adapté à un levier qui se meut dans la direction résultant du mouvement combiné des deux pendules, et trace sur une carte des figures très compliquées représentant les mouvements successifs. On a obtenu ainsi des formes merveilleuses, des coquillages d'un dessin très détaillé, des figures géométriques aux courbes et aux angles parfaits. Or, les vibrations d'une même note ayant toujours lieu dans la même direction, et le mouvement naturel d'un pendule étant une simple oscillation en avant et en arrière, les modifications de mouvement de ces pendules, disposés de façon à réagir l'un sur l'autre, étaient bien la représentation exacte des vibrations réagissant les unes sur les autres ou se modifiant réciproquement.
On a donc obtenu un tableau graphique des interférences des vibrations et des modifications qui en résultent, bien que chacune ait lieu dans une direction déterminée et toujours la même ; et le résultat de ces interférences est la production de formes merveilleuses. C'est d'une façon absolument identique que l'interférence des ondes lumineuses produit la couleur.
Lorsqu'en brisant les ondes lumineuses on produit entre elles des interférences, il en résulte des couleurs ; c'est ainsi que les irisations de la nacre proviennent simplement de minuscules aspérités superficielles qui produisent des interférences dans les vibrations lumineuses. L'expérience des pendules nous montre [38] de son côté l'interférence des vibrations sonores.
Ainsi la science nous prouve que des formes sont construites par le son ; et en observant l'aspect extérieur de la nature on constate avec étonnement que partout on rencontre des formes géométriques. Prenons le cristal qui fait partie du monde minéral : chaque cristal est construit d'après certains axes de direction qui en déterminent la forme. Les cristaux les plus simples sont construits suivant des lignes d'une extrême simplicité, et plus le cristal est perfectionné, plus sont nombreux les axes qui ont leur centre à l'intérieur du cristal : la différence entre les cristaux dépend de la disposition des axes. Nous voyons donc apparaitre les formes géométriques dans le monde minéral où elles servent de base à la formation des cristaux.
Mais le cristal ne peut être séparé du cristalloïde : la forme de ce dernier ressemble à celle du cristal dans le règne minéral, et cependant il fait partie du règne végétal. Ces deux règnes ne sont plus séparés dans la nature ; pourtant dans les végétaux ces corps sont formés d'une espèce différente de matière ; on ne les appelle plus des cristaux, mais des cristalloïdes. Ici encore les axes apparaissent et suggèrent la pensée que le règne végétal est construit d'après la même loi géométrique. En étudiant le règne végétal nous allons plus loin. Prenons une petite branche d'arbre et examinons l'arrangement de ses feuilles, nous constatons qu'elles sont disposées en spirale. Nous voyons reparaitre la spirale comme force génératrice : [39] c'est elle qui dirige l'agencement des feuilles d'une façon parfois très simple et quelquefois très compliquée. Dans le pommier, par exemple, la spirale est représentée par la fraction 2/5 parce qu'elle offre cinq feuilles placées aux divers points d'une double spire, après laquelle recommence un circuit analogue. Si nous prenions un fil et que nous l'enroulions deux fois en spirale autour du rameau, nous toucherions les cinq feuilles disposées à intervalles égaux. Si nous prenons un autre arbre, nous trouverons un arrangement différent, mais toujours d'après la spirale ; lorsque les feuilles naissent, elles s'organisent toujours, quelle que soit la diversité de leurs arrangements, d'après cette loi de la spirale et cette règle géométrique gouverne toujours l'apparente irrégularité de la croissance des feuilles et des fleurs. Il n'y a jamais d'irrégularité ; la disposition qui semble la plus irrégulière n'est qu'une série compliquée de spirales entrelacées, car il y a quelquefois deux spirales au lieu d'une, et dans certains cas on en trouve trois qui s'entrecroisent autour de la tige, formant une complication extrême et donnant l'apparence d'une véritable confusion ; mais "ce qui est un chaos pour les sens est un Cosmos pour la raison", et l'on découvre toujours des dispositions géométriques sous ces masses d'apparence chaotique qu'observent nos yeux ou nos sens. N'est-il pas vrai de dire avec Platon, que "Dieu géométrise" ? N'est-ce pas là la conception fondamentale des Écritures, qui déclarent que le Son est le constructeur de [40] la forme ? Tout cela n'est-il pas prouvé par les découvertes de la science moderne ?
Non seulement le Son peut construire, mais il peut aussi détruire. Il est étrange que la même force puisse produire des résultats opposés, et bien des personnes qui accueillaient cette affirmation par des moqueries, lorsqu'elle était présentée par la Religion, sont obligées de l'admettre quand la science répète ce que la Religion soutenait depuis si longtemps. Par la découverte de la vérité synthétique, la science arrivera à faire comprendre ce qui dans la Religion était considéré comme contradictoire et inacceptable. Pourquoi ne pourrions-nous pas appliquer la même méthode à la Religion, quand nous y rencontrons quelque chose qui parait être une contradiction ? Pourquoi ne pas étudier et chercher cette vérité sous-jacente qui, sous d'apparentes contradictions, nous révèle les aspects différents, comme les deux faces d'un même bouclier ?
Ainsi c'est le constructeur de la forme qui la détruit ; et tandis que la construction est opérée par des vibrations douces, les vibrations violentes mettent en pièces ce que les premières avaient rassemblé. Aucune forme n'est solide, chacune est composée de molécules séparées par des intervalles où pénètrent les vibrations du son ; celles-ci font vibrer les molécules de plus en plus énergiquement, les écartent de plus en plus, jusqu'au moment où la force d'attraction qui les retient ensemble étant vaincue, la forme se désagrège par leur échappement. [41]
Prenez un verre et cherchez la note qu'il donne en le remplissant d'eau à moitié et en frottant le bord avec un archet : lorsque vous aurez trouvé cette note, produisez-la sur un instrument susceptible de donner une grande intensité de son ; vous entendrez alors le verre donner cette même note, et vous verrez l'eau vibrer sans que personne ne la touche. Si le son devient plus fort, les petites vagues grossiront, deviendront de plus en plus turbulentes, jusqu'à bondir les unes sur les autres ; le tumulte remplacera l'harmonie, et si les vibrations des molécules du verre, qui causent toute cette agitation de l'eau, deviennent trop intenses pour que le verre puisse les supporter, il finira par voler en éclats. Voici encore une autre expérience faite par Tyndall : il prit une baguette de verre, et produisit un son en la frottant doucement ; mais comme il rendait ce son de plus en plus intense, la baguette éclata en pièces et il n'en resta que des fragments en forme de cercle, témoignant de la puissance de la note émise par le verre lui-même.
Il est donc prouvé que le Son peut désagréger les formes comme il peut les créer ; et nous comprenons qu'il peut agir à la fois comme créateur, conservateur et destructeur : je dis conservateur, puisque sans lui rien n'existe. Tout est en mouvement perpétuel ; tel genre de mouvement construit la forme, tel autre la conserve et un troisième la détruit ; mais la destruction d'une forme n'est que la construction d'une autre, et par conséquent le destructeur n'est pas autre chose que [42] le constructeur. Il n'y a pas d'annihilation, car la mort dans un monde est la naissance dans un autre.
Quelque imparfaite que soit cette esquisse partielle de la construction de l'Univers et de la puissance du Son, la conclusion qui s'en dégage est la justification d'un enseignement qui a été longtemps traité de superstition et de folie et considéré comme le simple balbutiement d'un peuple enfant. De toute antiquité la doctrine indoue a reconnu la puissance du son dans le Mot sacré où sont contenues toutes les potentialités, dans la syllabe sainte qui exprime l'Être unique avec toutes les puissances de production, de conservation et de destruction. Aussi est-il défendu de le prononcer à la légère : il est interdit de le proférer dans les auditoires mêlés et les assemblées nombreuses, où la confusion et l'hostilité des magnétismes forment une atmosphère trouble au sein de laquelle un son puissant produirait aussitôt le tumulte et non l'harmonie. On ne devrait jamais le prononcer sans que la pensée ne soit pure, le mental tranquille et la vie noble ; car le son qui construit au sein de l'harmonie, détruit dans la dissonance ; or tout ce qui est mauvais est discordant, tandis que tout ce qui est pur est harmonieux. Le grand Souffle, qui est la pureté, procède en vibrations rythmiques, et tout ce qui est d'accord avec ce rythme est essentiellement pur et par conséquent harmonieux. Mais lorsque ce grand Souffle, agissant dans la matière, rencontre un obstacle, c'est alors une chose impure qui se [43] produit ; et si l'homme – disposant de ce souffle qui sort de lui et qui est le reflet du Souffle suprême – possède une atmosphère impure ou non harmonique, prononcer le nom du Suprême dans de telles conditions, c'est faire appel à sa propre destruction, c'est introduire la dissonance au sein même de la force divine : et la désintégration est l'unique sort réservé à ce qui n'a plus rien de commun avec la divine harmonie.
Et ceci est vrai, non seulement de la Syllabe sacrée, mais aussi du Mantra employé pour construire. Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi l'on récite des Mantras lorsqu'une nouvelle vie se prépare dans le sein d'une mère ? C'est pour que leur force créatrice agisse sur cette vie grandissante en y produisant des vibrations harmonieuses, afin que l'enfant qui naitra soit digne d'être l'habitacle d'une âme noble. Pourquoi la Religion commence-t-elle pour l'Indou dès le moment de sa conception ? C'est que l'Esprit 8 ne doit jamais être sans Religion ; quand l'Esprit revient en incarnation, il faut que ces forces religieuses l'entourent et aident à la construction de sa demeure terrestre. C'est ainsi encore que le nouveau-né est salué par un son sacré au moment même de son entrée dans ce monde de manifestation. La sainte harmonie doit l'environner, lui donner à l'heure de sa naissance une impulsion qui se prolongera dans son développement, et modèlera pas à pas la vie grandissante. Quand vient le moment où l'Esprit peut [44] agir plus directement sur le corps physique, vous le marquez par la cérémonie de l'initiation, en donnant à l'enfant le Mantra qui doit être la tonique de sa vie future. C'est pourquoi ce Mantra devra être choisi par quelqu'un qui connaisse cette tonique, qui soit capable de le composer des sons voulus pour que l'harmonie se prolonge à travers toute la vie. Ici intervient le grand pouvoir préservateur du son : toutes les fois que cette vie sera en danger, ce son peut la protéger ; toutes les fois que cette vie sera menacée d'une façon visible ou invisible, ce Mantra simplement murmuré peut s'interposer entre elle et le danger, l'entourer de vagues d'harmonie contre lesquelles toutes les forces mauvaises viendront se briser. L'attaque de l'ennemi sera repoussée au contact de ces vibrations, et il en sera ainsi pendant toute la vie et jusqu'à l'heure de la mort. Chaque matin le chant de ce Mantra donnera la tonique de la journée, y introduira le rythme et l'harmonie ; et à la tombée du jour, au moment où le soleil disparait une fois de plus, ce chant devra résonner pour que le trouble de la journée s'apaise et que l'Esprit devienne digne de s'avancer pendant la nuit vers son Seigneur.

8 Ou Âme spirituelle. (NDT)

Quand arrive enfin l'heure de la mort et que l'Esprit doit passer dans d'autres régions de l'univers, le chant du Mantra l'accompagne encore. Dans les cérémonies du Shrâddha on emploie des sons particuliers pour briser la demeure d'esclavage de l'âme, pour détruire le corps engendré de l'autre côté de la mort et qui retient l'âme en [45] prison. Ainsi le Son accompagne l'âme jusqu'au seuil même du Dévaloka, jusqu'à ce qu'elle passe dans ce Loka où les chants des Dévas environnent son séjour d'un océan d'harmonie ; harmonie perpétuelle où ne pénètre aucune dissonance terrestre ; harmonie qui la retient au sein du repos parfait et de la parfaite béatitude, jusqu'à ce que soit prononcé le mot qui lui ordonne de revenir à la terre, pour servir une fois encore à établir l'harmonie de la Nature.

]]>
bon.christo@free.fr (Super User) LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893 Tue, 25 Jun 2019 06:01:37 +0000
I — LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS B — LE FEU http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1134-i-la-construction-de-l-univers-b-le-feu http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1134-i-la-construction-de-l-univers-b-le-feu I

LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS

 

B

LE FEU


Nous avons vu, en traitant de la construction du Cosmos, comment le grand Souffle était l'agent moteur et donnait à l'Akâsha cette propriété du Son qui est sa caractéristique primordiale. Que nous observions au point de vue de la conscience orientale ou au point de vue des investigations modernes de l'Occident, nous voyons que les divergences qui existent entre ce que nous appelons les données des sens sont des différences dans la manière dont la conscience traduit les impulsions extérieures, car ces impulsions sont fondamentalement les mêmes. L'effet du grand Souffle mettant l'Akâsha en action peut être représenté de diverses manières quand il atteint notre conscience, selon la façon dont nous le sentons.
On peut donc dire, tout aussi bien au point de vue oriental qu'occidental, que les sensations diffèrent selon l'organe qui les reçoit ; les différences sont occasionnées par le corps à travers lequel les sensations sont reçues ; et la conscience traduit en des tons différents ce qui, au fond, est identique. Ainsi en étudiant la science occidentale, nous apprenons que tous les sens corporels ne sont que les développements d'un sens primitif, [48] celui que nous appelons le sens du toucher.
De nombreuses recherches ont été faites dernièrement sur la nature et l'action de l'éther, forme infime de ce que nous nommons Akâsha. Car l'Akâsha est la substance primordiale dont l'éther est une des manifestations inférieures en ce qui concerne notre système solaire. Cette substance, comme nous l'avons vu, possède le mouvement ; quant à l'Air, c'est le grand Souffle dans l'Akâsha et c'est ce qui donne naissance au sens du toucher.
Nous avons vu comment le Son avait évolué le sens de l'ouïe qui est en corrélation avec lui. Vient ensuite le toucher qui est en corrélation avec Vayou en tant que grand Souffle. Toutes ces vibrations de l'éther, d'après la science moderne, ne sont que des modes de mouvement ; de la réception d'un mode de mouvement par l'individu dépend le nom qui lui sera donné. La science enseigne que le son est un mode de mouvement auquel participe l'air et que la lumière est un autre mode de mouvement dû purement à l'éther. On a reconnu récemment que l'électricité était un autre mode de mouvement. La chaleur en est également un autre, et ainsi de suite. Ainsi la science occidentale s'est éveillée peu à peu à ce sentiment de l'unité, qui a toujours caractérisé la sagesse orientale. Ce qui dans le monde phénoménal a une apparence de diversité est, pour la conscience, une unité fondamentale. En nous occupant donc de la lumière nous avons affaire simplement à un autre aspect, pour la conscience, [49] du mouvement primitif et si l'un de ces aspects est le son, l'autre est la lumière. Il convient d'admettre, comme nous nous en convaincrons du reste, que les mêmes conceptions fondamentales expriment tantôt le son, tantôt la lumière, et que dans tout le Cosmos le son et la lumière peuvent s'intervertir. Je vous ferai voir que les dernières expériences faites en Occident ont prouvé leur équivalence dans la production des phénomènes.
Nous allons étudier maintenant les vibrations connues sous le nom de Lumière. Dans tous les écrits anciens, la Lumière est synonyme de ce qui est au-delà de notre conception, de Ce que nous avons indiqué comme ne pouvant être exprimé – pour employer un terme encore incorrect – que par la phrase descriptive Para Brahman, c'est-à-dire l'au-delà de Brahman. Pour nous communiquer cette pensée essentielle, les Écritures emploient le mot "Ténèbres" – Ténèbres infinies et complètes qui n'expriment rien, car elles sont au-delà de toute possibilité d'expression ; qui ne nous donnent aucune idée, parce que l'idée est limitée et implique la séparation de ce qui est pensé et de ce qui ne l'est pas ; et là il ne peut y avoir de séparation, là il n'y a pas de pensée, parce que la pensée suppose la distinction. C'est pourquoi les ténèbres, dans lesquelles il n'existe rien de visible ni d'invisible, constituent le meilleur des symboles : Ténèbres absolues, éternelles, incompréhensibles, qui se dressent en arrière de toute manifestation de la Lumière, comme de tout ce [50] que nous pourrions exprimer par le langage humain. Et des Ténèbres vint d'abord la Lumière, mais la Lumière sans forme ; visible, il est vrai, puisqu'elle entre en manifestation, mais sans forme parce que la forme implique quelque chose de plus, l'espace, qui n'a pas de forme. Aussi Brahman est-il dépeint comme "lumineux sans forme" ; c'est l'idée pure de la lumière ; idée qui exige naturellement un effort de cette imagination, dont nous avons parlé, car nous ne concevons la lumière que par l'intermédiaire de la source même de cette lumière, tandis qu'ici nous ne devons concevoir ni corps, ni forme, mais nous imaginer seulement la Lumière séparée de tout ce qui la limiterait. Elle est "lumineuse sans forme", et ce terme désigne Brahman dans la Mundakopanishad 9. Voilà donc la première idée : les Ténèbres et de là, la Lumière.

9 Mundaka, II, I, 2.

Et il est assez étrange que dans cette conception la science moderne ait aussi son mot à dire ; car si nous prenons le concept du mouvement, auquel nous avons rattaché le grand Souffle, les ténèbres sont, au point de vue de la conscience humaine, compatibles avec le mouvement. La lumière est en effet une forme du mouvement, mais quand les vibrations sont trop rapides ou trop lentes pour produire de la lumière, elles nous donnent l'impression de ténèbres. Voilà un fait bien significatif et qui mérite que l'esprit s'y arrête : lorsque vous imaginez des vibrations tellement [51] rapides qu'elles ne peuvent être ressenties par les sens, la conscience, en réponse à ces vibrations si extraordinairement rapides, conçoit les ténèbres. En réalité, au-delà de la conscience humaine telle qu'elle existe actuellement, il y a la possibilité – et nous ne pouvons pas dire qu'il n'y a pas des possibilités sans nombre – d'une existence qui dépasse ce que peuvent éprouver nos sens.
La science nous dit que les vibrations trop rapides pour que nos yeux puissent les enregistrer sont transmises à la conscience sous forme de ténèbres ; ce n'est que par leur ralentissement que les vibrations peuvent devenir lumineuses. Si nous traduisons cette pensée scientifique en langage métaphysique nous aurons les prémices de la manifestation de l'univers car, si ce qui dépasse la pensée se ralentit pour entrer en manifestation, le résultat en est la lumière. C'est pourquoi, même dans l'univers visible, vous trouverez souvent que ce qui est vraiment lumineux dans son essence ne donne pas de lumière, parce que les ondes en sont trop rapides ; et si nous désirons que ce pouvoir lumineux apparaisse, nous devons ralentir ces vibrations en les soumettant à une opération particulière. Ainsi quand l'univers se prépare à entrer en manifestation, c'est-à-dire quand la substance évolue, il y a ralentissement du mouvement dans les Ténèbres infinies, et par le ralentissement de ses vibrations la Lumière sans forme apparait. Il semble que l'Occident ait eu l'intuition de l'ancienne et profonde pensée orientale, car par sa [52] méthode expérimentale la pensée occidentale avance en tâtonnant vers l'idée même que les livres orientaux nous donnent dès le commencement des choses.
De cette radiance sans forme, de cette luminosité qui est Lumière en son essence se manifestant elle-même – et qui est appelée quelquefois "Flamme froide" pour exclure l'idée de chaleur de cette pure Lumière – se forme la seconde manifestation, le second Logos dont nous avons parlé ; alors la Lumière devient Feu. Elle n'est plus absolument sans forme et sans chaleur ; avec le ralentissement plus prononcé de la Lumière, et à mesure que procède la manifestation, la chaleur sera engendrée et vous aurez le Feu, dont l'essence est la chaleur ; la Flamme froide et sans forme deviendra le Feu, l'agent actif dans la construction du Cosmos.
Mais le Feu ne peut apparaitre seul ; sa nature même implique quelque chose de plus que la Lumière dont il nait ; elle implique que par frottement la chaleur doit prendre naissance ; elle implique encore cette conception de dualité dont nous avons parlé en traitant de la double manifestation à propos du Son. Il en est de même pour le Feu ; nous ne pouvons y penser sans songer à son action, et la première action du Feu est toujours le développement de l'humidité. De sorte que dans ce Second Logos, dans cette manifestation en dualité de forme, le Feu et l'Eau sont les deux choses qui se présentent à notre pensée : le Feu qui est Esprit en son essence, l'Eau qui [53] sert toujours de symbole à l'essence de la Matière. De même que nous avons reconnu l'Esprit-Matière pour le Second Logos et que nous y avons découvert l'origine véritable de la potentialité du Son, ainsi en le considérant au point de vue de la Lumière, nous avons la conception du Feu et de l'Eau, de la Lumière du Logos et de ce en quoi elle agit. Le Lotus a toujours été le symbole de cette vérité ; il sort du nombril de Vishnou, caché dans les eaux d'où jaillira la vie ; sous cet aspect, Vishnou, qui ne flotte pas mais est caché sous les eaux, représente le Premier Logos, et le Lotus qui nait de son nombril est le Second Logos, le symbole du Feu et de l'Eau ; car les feuilles du Lotus, terminées en pointes, figurent les flammes flottant sur l'eau et s'élançant vers le ciel.
Le Lotus a toujours été regardé comme le symbole du Feu créateur, dont le sein engendrera la chaleur, la force créatrice active. C'est pourquoi dans la fleur du Lotus, ou dans son bouton primitif, existe le Troisième Logos, Brahmâ ou l'agent actif créateur, qui est le synonyme de Mahat ou de l'intelligence créatrice dans le sein du Feu ; lorsque le Feu s'épanouit la seconde flamme apparait ; celle-ci est créatrice, ce n'est plus la Flamme froide du Premier Logos, mais la Flamme brulante du Troisième, qui de l'océan de Feu va construire le Cosmos et rendre l'Univers possible.
Et quand nous envisageons la lumière projetée sur cette conception antique et relativement facile pour ceux qui ont étudié avec soin, quand nous [54] nous reportons aux ouvrages de Mme Blavatsky, nous y trouvons ce point exposé très clairement ; en les prenant pour guides, nous pouvons démêler le symbolisme auquel nous faisions allusion tout à l'heure. Sous le nom de Feu elle désigne sous sa forme la plus pure, la substance de l'éther avant même qu'on puisse en parler comme d'Akâsha. Il y a là deux Feux, et les enseignements occultes font une distinction entre eux ; le premier Feu est pur, sans forme, invisible, caché dans le Soleil central spirituel, et, métaphysiquement parlant, il est considéré comme triple. Ici encore nous voyons la triple nature du Logos dans lequel ces Feux prennent forme, puis le Feu se manifestant comme Cosmos et qui sera septénaire dans l'univers aussi bien que dans notre système solaire ; tout comme nous l'avons expliqué précédemment quand nous avons vu le triple se développer en septuple. Ici nous avons la Flamme sans forme – la Flamme froide ou Lumière – puis le Feu et enfin la chaleur ou Flamme créatrice, le même symbole présenté sous un autre aspect, la même idée essentielle exprimée sous une autre forme. Aussi avons-nous toujours appris que la Lumière du Logos, Daiviprakriti ou le côté brillant de la Substance, a été l'agent générateur et créateur et vous devez avoir entendu dire que le Lotus symbolique auquel je faisais allusion était hermaphrodite ; ceci ramène notre esprit à cette même idée de dualité que nous avons découverte plus haut comme caractéristique du second Logos ou de la seconde énergie manifestée [55] qui va construire l'Univers 10. De celle-ci découle cette force représentée sous ses formes les plus inférieures par l'électricité, le magnétisme, la chaleur, et qui n'est encore qu'un autre mode du mouvement, une autre activité du grand Souffle ; c'est elle dont la littérature théosophique parle si souvent sous le nom de Fohat, et que Subba Rao a justement nommée la Lumière du Logos ; car elle est l'énergie vivifiante qui, en jaillissant, doit construire le Cosmos ; c'est le Serpent ardent, l'agent créateur. Reportez-vous à ce que j'ai dit précédemment, à ce sujet, à l'allusion que j'en fis comme symbole de l'électricité, en parlant des dernières découvertes de W. Crookes, et au mode de formation de la spirale sous l'influence d'une chute de température. La voici devenue le Serpent ardent, le Dragon flamboyant qui, soufflant du Feu à travers l'océan lacté, construit toutes les formes de la manifestation. Partout où vous rencontrerez le Serpent de Feu, partout où vous le verrez former un cercle en se mordant la queue, c'est que vous avez passé de la spirale génératrice à la sphère qui est le résultat de la génération, car le Serpent enroulé qui se mord la queue est le symbole du Cosmos évolué ; il est devenu le globe, qui toujours représente le Cosmos sous [56] sa forme manifestée. Ainsi le Serpent devient l'OEuf d'où émergent les formes postérieures du Cosmos ; c'est quelquefois dans cet oeuf que vous trouverez Brahmâ, le pouvoir créateur, au lieu de le trouver dans le Lotus. Il réside dans l'oeuf d'or, autre symbole 10 L'édition française de l'OEuvre de Mme H. P. Blavatsky : la Doctrine Secrète à laquelle se réfère si souvent l'auteur, est complète en six volumes. Les tomes I et II traitent de la Cosmogénèse, le tome III de l'Anthropogénèse, le tome IV du Symbolisme archaïque des Religions, les tomes V et VI se composent d'éléments divers réunis après la mort de HPB et publiés sous le titre général de "Miscellanées". (NDE).
du Lotus ; il vit pendant un certain temps dans cet oeuf, puis en sort et crée les mondes. De là encore le symbolisme du Serpent enroulé autour de la montagne, pendant ce barattage de l'Océan de substance d'où furent engendrées, selon les Pourânas, la vie, l'immortalité et les autres choses. Comme je vous l'ai dit souvent, si parmi vous un lettré prenait les Pourânas, les étudiait et voulait comparer avec eux quelques-uns des exposés de notre science moderne, il pourrait prédire la direction que suivront les découvertes scientifiques ; il justifierait aux yeux de l'Occident, et d'une façon inimitable, la nature profonde de la pensée orientale, il lui montrerait la route que ses études doivent suivre et la voie dans laquelle ses recherches futures pourront être les plus fructueuses.
Laissons ce sujet pour aborder une autre conception très intéressante du Feu – un aspect du Feu par rapport à l'homme – le rapport qui existe entre le feu générateur dans le Cosmos et ce qui est la racine de la Vie dans le coeur de l'individu. Ouvrons la Mundakopanishad ; au commencement, je crois, de la seconde division, vous trouverez cette déclaration :
"Comme un feu flambant projette de mille façons diverses des étincelles semblables, ainsi sont produites, ô bienaimé, [57] les âmes vivantes d'espèces différentes, mais formées toutes de l'Unité indestructible 11."

11 Mundaka, II, I, 2.

Quelle est la signification réelle de cette strophe ? Nous ayons déjà envisagé le Feu comme force centrale dans le Cosmos ; des étincelles sont lancées dans toutes les directions quand le Feu flambe et atteint l'état de flamme : le mot "flambant" indique l'état où le Feu a commencé à flamber, où vous avez la Flamme, cette caractéristique du troisième Logos. Mais le troisième Logos est Mahat, c'est-à-dire l'Intelligence dans son essence même et nous apprenons ainsi que c'est de Brahman, en tant qu'intelligence, que jaillissent ces étincelles que nous trouvons dans chaque atome du Cosmos, de sorte que le Cosmos une fois construit il ne se trouve rien en lui qui ne soit animé de l'essence de la Vie divine. L'étincelle projetée, c'est l'Atmâ de l'atome (vous devez vous rappeler qu'il n'est pas confiné dans l'homme seul), le Soi non pas seulement de l'homme, mais de toutes choses, l'essence la plus intime de l'atome, tout aussi bien que du plus sublime des Dieux manifestés ; car, encore une fois, l'Univers est un, et l'étincelle lancée par le Feu flamboyant est à l'origine de tout ce qui parait en manifestation ; si bien que le grain de sable, que dis-je, les atomes mêmes qui composent le grain de sable, ont pour essence Atmâ, et pour forme l'Akâsha, qui, retenant pour ainsi dire le rayon émané d'Atmâ, opère la différenciation par la limitation et introduit [58] le principe de division dans l'Unité. À mesure que ces étincelles s'élancent au loin, il se forme ce qu'on a appelé dans la Doctrine Secrète "un tourbillon de Feu", dénomination bien expressive, car ce tourbillon se répandant dans l'espace emporte toujours avec lui l'essence du Feu unique et de la Vie unique. Quand ce tourbillon se brise, s'il y a des différences dans la nature des étincelles évoluées, elles ne résident pas dans leur nature essentielle, mais dans ce qu'elles apportent en elles dans leur Manifestation.
Ici se cache un des plus grands et des plus profonds mystères de l'enseignement occulte, sinon le plus profond de tous, et je dois vous y amener pas à pas, autrement il serait difficile, du moins pour quelques-uns d'entre vous, d'en suivre la pensée, surtout si vous ne savez pas encore lire entre les lignes des Livres Sacrés, et chercher, par la comparaison des divers passages, le sens caché qui les relie. Si vous voulez bien me suivre pas à pas, je vous ferai pénétrer au coeur du mystère, mais je ne veux pas vous l'exposer dès le début de peur que sa présentation soudaine ne jette de la confusion dans votre pensée, confusion qu'il serait difficile de débrouiller ensuite. Imaginez l'étincelle projetée par le tourbillon de feu ; rappelez-vous que cette étincelle est Atmâ, et que le rayon de cet Atmâ est, pour ainsi dire, coupé par l'Akâsha, en est séparé, de sorte que, quoique fondamentalement un, il soit cependant séparé dans la manifestation. Car Atmâ est un, et c'est en cette unité que réside l'espérance de [59] notre libération. Cette séparation ne se fait pas à son propre point de vue, qui est celui dans lequel tous les rayons divergents apparaissent comme un rayon unique, mais de l'autre point de vue de la manifestation, quand il est envisagé non comme Lumière immédiate mais comme l'Akâsha qui voile la Lumière, qui, en limitant chaque rayon, opère la séparation, là où, en réalité, il n'y a point de séparation. Ainsi, observé de l'intérieur, l'Univers est un : observé de l'extérieur il est multiple, car il n'est point observé au point de vue d'Atmâ.
Si vous vous trouviez placé dans le Soleil Central et que vous suiviez de l'oeil tous les rayons à la fois, toutes les parties du paysage éclairé qui frapperaient l'oeil placé au centre, au moyen de ces différents rayons, vous feraient l'effet d'une seule lumière. Tandis que si vous êtes à l'extérieur, au milieu de ce paysage, regardant d'en bas, de l'extrémité d'un rayon, vous vous trouvez environné de nombreux rayons, et cependant vous ne pouvez voir le soleil par un autre rayon que celui qui vous éclaire. Pourtant vous voyez le même soleil, puisque tous les rayons émanent de lui : il y a donc unité dans le centre, bien qu'il vous soit impossible de reconnaitre cette unité tant que vous êtes à la circonférence de ce cercle immense, tant que vous ne pouvez voir autrement qu'en suivant, pour ainsi dire, un des rayons qui remontent au centre universel. Conservons un instant cette pensée dans notre esprit, et faisons un nouveau pas. [60]
Chaque atome possède donc Atmâ, mais on le nomme maintenant Jîva ; ce nom indique qu'il est séparé au point de vue de la manifestation individuelle et non au point de vue du tout manifesté. C'est l'illusion, c'est la Mâyâ que nous ne pouvons surmonter et qui rend dans un sens très réel l'univers illusoire ; car, voyant d'une vision trompeuse, voyant ces rayons séparés dans la manifestation, nous n'observons plus l'unité d'où ils émanent. Voilà donc une expression que nous entendons fréquemment employer et que nous devrions désormais interpréter comme il faut : C'est que chaque atome a son Atmâ ; elle n'implique pas de séparation fondamentale, mais simplement une séparation dans la manifestation.
Parvenus à ce point, nous pouvons concevoir dans ce tourbillon d'étincelles en manifestation des différences de nature qui nous auraient paru incompréhensibles au premier abord. Quelques-unes de ces étincelles sont comme des Flammes vivantes, conscientes et intelligentes qui, dans la construction de cet univers manifesté se présentent en qualité de Dévas. Ce sont des Intelligences qui ont atteint un haut degré de développement spirituel ; elles sont bien moins limitées que les hommes, qui arriveront à l'existence beaucoup plus tard.
Dans cette première phase de la manifestation, il y a pour ainsi dire un tourbillon de ces étincelles manifestant une haute intelligence, capables d'opérer comme agents vivants de l'énergie créatrice [61] et de construire l'Univers sous le contrôle de cette force coordinatrice. Ainsi parmi les premières manifestations se rencontre celle des Dévas dont il est parlé sous différents noms : Indra, Vayou, etc. Ce sont eux que nos orientalistes dans leur ignorance interprètent comme "les pouvoirs de la Nature personnifiés" par une civilisation enfantine ; d'après eux, la pensée puérile de l'homme s'emparant de phénomènes naturels, tels que l'air, le ciel et la lumière, les appelle Vayou, Indra, Agni et les adore comme des Dieux ! En réalité, ce que l'esprit de l'humanité en bas âge a personnifié, ce ne sont pas les phénomènes de la nature, mais ces étincelles de Feu, ces Intelligences vivantes, qui ont émané du Suprême bien avant l'enfance et la naissance même de l'humanité, puisqu'elles sont venues construire pour cette future humanité le Cosmos qui devait naitre. L'Occident ne voit, dans cette soi-disant personnification des forces naturelles, que l'enfantillage de penseurs naïfs, d'une humanité enfantine, tandis que ces Dévas sont en réalité les instruments qui se cachent derrière chaque apparence phénoménale, que ces Intelligences sont celles qui dirigent ce que nous appelons les lois de la Nature. Les Dévas sont des entités ; ils ont des existences réelles, séparées de l'unique, Atmâ au sens que j'ai donné au mot séparation, de manière à pouvoir construire un univers et le rendre intelligent du centre à la circonférence. Que sont les phénomènes de la nature, sinon les apparences extérieures des Dévas et le Déva est au coeur des phénomènes. À [62] mesure que la manifestation s'accentue, ceux qui appartiennent à des degrés inférieurs évoluent graduellement, jusqu'à ce qu'ils forment une hiérarchie. L'apparence la plus inférieure qui existe sur terre n'est qu'un voile illusoire jeté sur Atmâ ; il en résulte qu'une âme bien entrainée et bien développée, n'étant qu'une avec la force créatrice, peut manipuler à son gré ce que nous appelons la matière, parce qu'elle sait commander à ces Intelligences dont la matière n'est que le vêtement extérieur ; et elle se dressera comme un Dieu manifesté quand elle aura réussi à surmonter les illusions de la matière qui l'environne.
La description de cette grande hiérarchie provoque une question et c'est ici que la difficulté commence pour nous. Pourquoi y a-t-il une différence entre les étincelles manifestées ? Pourquoi, quand elles s'élancent du feu éblouissant, y en a-t-il qui apparaissent comme de sublimes Dévas, et d'autres comme des Dévas d'un rang inférieur ? Pourquoi certaines sont-elles comme le centre autour duquel l'homme sera construit, d'autres encore comme le centre du grain de sable, ou le centre des atomes dont le grain de sable est composé ? Comment peut surgir, de cette unité dont vous nous avez parlé, une possibilité de différenciation dans la manifestation ?
La première chose à comprendre est que cette différenciation existe en fait. Elle est visible entre les Dévas, les hommes, les animaux, les végétaux, les minéraux et les forces élémentales qui nous entourent. Nous lisons que les Fils de la Lumière [63] sont les Dévas les plus élevés ; ils sont, comme je l'ai dit, les constructeurs de l'Univers. Mais les livres sacrés nous parlent de certains d'entre eux appelés les Fils du Feu. Quels sont ces Fils du Feu ? Ce sont les Instructeurs de l'humanité en bas-âge, Ceux dont je parlais hier comme ayant instruit la race en son enfance ; Ils lui ont donné les Védas et toutes les Écritures saintes ; Ils l'ont guidée dans ses premiers efforts vers la civilisation ; Ils sont, au sens bien réel du mot, les Instructeurs des hommes.
Qui sont-Ils ? Ce sont des Flammes qui ont emporté avec elles à cette étape de la manifestation, cette intelligence hautement développée qui les qualifiait pour devenir les instructeurs de ces étincelles et qui se sont incarnées dans les hommes ordinaires. Mais c'est entre les hommes incarnés, entre les Koûmâras et les êtres humains qu'on nous laisse soupçonner une étrange différence. Pourrons-nous découvrir ce que cela signifie ? Des cycles de manifestations viennent du grand Souffle et y retournent, la Lumière devient Ténèbres et des Ténèbres émerge de nouveau la Lumière ; des âmes sont différenciées dans la matière, puis des hommes remontent vers leur source, et ils sont libérés. Ils s'en vont, "pour ne jamais revenir" est-il dit. S'ils ne reviennent jamais, pourquoi ces différences dans des Manvantaras, comme le nôtre ? C'est là un point de l'enseignement secret qui a été certes perdu de vue, parce que la lettre seule des ouvrages publiés voile la vérité au lieu de l'exprimer. Que dit l'Oupanishad au sujet de Brahman ? [64]
"Il est caché dans les Oupanishads qui sont cachés dans les Védas 12."
Si vous voulez trouver Brahman, il ne faut pas s'en tenir à la lettre des Oupanishads, mais découvrir l'intention secrète qu'ils contiennent. Voilà le point où un Gourou devient nécessaire. C'est pourquoi il a été dit 13 que si un homme désirait trouver Brahman, il devait chercher à découvrir les grands (Maitres), et les servir 12, car les mots seuls de l'Oupanishad ne lui révèleront pas le Dieu qui y est caché ; la Flamme déjà développée est nécessaire pour que l'étincelle puisse bruler haut et devenir elle-même une Flamme. Cherchons maintenant le sens caché dans ces mots "pour ne jamais revenir".

12 Shvetâshvataropanishad, V, 6.
13 Kathopanishad, t. III, 41.

L'étincelle se développe dans l'homme (en employant le mot homme j'ai en vue toute l'humanité moyenne) : cette étincelle se développe par Tapas, par la combustion. Par quelle combustion ? Par l'ardeur de la connaissance. Telle est la signification réelle de Tapas, et dans cette "austérité" comme on le traduit constamment, il y a l'action de la connaissance qui brule et qui purifie ; et ce qu'elle brule, ce sont les enveloppes extérieures de l'homme où réside l'épaisse ignorance et à mesure qu'elles se trouvent ainsi brulées l'une après l'autre par le feu de la connaissance, la Flamme se manifeste davantage et commence à connaitre sa propre nature. Cette étincelle qui était étouffée dans la matière entière devient la [65] Flamme qui s'est elle-même libérée de la matière, et quand cette libération est complète, elle devient une avec sa source. Si vous prenez plusieurs flammes et les mettez en contact, elles se réunissent pour n'en former qu'une, car leur substance est une et la division qui existait entre elles a disparu. Continuons cet exemple et poursuivons cette pensée, qui nous permettront de concevoir la vérité, très obscurément sans doute, car pour la concevoir clairement il faut que vous soyez devenus elle-même, vous ne pouvez rien comprendre tant que vous n'êtes pas un avec ce que vous cherchez à saisir. La connaissance humaine est séparativité, mais la Sagesse Divine est unité, et c'est seulement quand disparait la forme extérieure de la Flamme qu'elle peut s'immerger dans l'Unité. Elle n'est pas perdue : elle a gagné immensément, grâce aux nombreuses flammes qui sont redevenues une seule Flamme, et c'est là la libération : anéantissement des limites qui nous séparent et élargissement dans la connaissance intégrale infinie et sans limites, voilà l'essence de la connaissance elle-même. Mais est-ce "pour toujours" dans toute l'acception du terme ? Ne "revient-on jamais" du Nirvâna ?
Ceux d'entre vous qui ont étudié sérieusement, à la lumière projetée sur ces vérités par ceux qui savent, ont appris qu'un cycle succède à un autre, que chaque cycle est pris successivement comme limite, et que chaque période de non-manifestation est en corrélation avec la manifestation qui précède et celle qui suit. De même que le jour [66] et la nuit sont pris comme Symboles de manifestation et d'obscuration, ainsi vous avez la manifestation et l'absorption planétaires ; puis la résurrection planétaire précédant une nouvelle absorption ; et ainsi de suite jusqu'au moment où le système solaire passe en un Pralaya proportionnel à sa durée ; mais il se réveille à nouveau après cette suspension de manifestation et rapporte, dans cette nouvelle période d'activité, tout ce qui a été recueilli dans là précédente.
Lorsque nous avons étudié une leçon pendant le jour, nous en sommes inconscients durant la nuit, mais la connaissance subsiste, et quand nous nous éveillons le lendemain, nous retrouvons en nous cette connaissance acquise la veille ; lorsque la planète a traversé sa période de Pralaya, elle ramène dans la manifestation suivante tout ce qu'elle avait acquis au cours de la précédente ; lorsque le système solaire, après une longue vie, a franchi l'interminable période de son obscuration, il émerge à nouveau sur un plan supérieur et devient un système solaire d'un type plus élevé. Il n'en saurait être autrement quand nous nous occupons de l'ensemble du Cosmos, du Manvantara au sens le plus absolu du mot, et du Pralaya qui lui succède :
lorsque toutes les Flammes n'en font plus qu'une et que toute différenciation s'est évanouie, il existe encore comme un fil de feu attaché à chaque Flamme ; et quand recommence la différenciation, c'est sur ces fils de feu qu'elle agit : ils s'avancent lentement vers l'extérieur, attirant avec eux les Flammes [67] hors du sein de l'Unité ; elles en sortent avec ce fil d'individualité que ne saurait détruire aucun Pralaya, aucun Nirvâna, quelle qu'en soit la durée.
Le Un et le Tout sont redescendus dans la manifestation, et les différences qui existent entre ces étincelles qui émergent sont des différences, développées graduellement dans les Manvantaras précédents et conservées même pendant la destruction apparente. Le "jamais" s'applique à la durée du cycle et ne suppose pas la fin absolue. Je n'ai pas de terme pour vous faire comprendre même faiblement le sens que je cherche à exprimer. Est-il seulement possible de trouver un mot pour rendre un état qui n'est pas du tout un état, et que je ne puis que symboliser par cette image de l'union de beaucoup de Flammes en une seule, union qui implique cependant la faculté pour chaque Flamme de se retirer en emportant avec elle son Karma individuel ! Elle est immergée dans le Feu central ; mais ce qu'on a appelé le fil d'or persiste et réserve à l'être en Nirvâna la possibilité d'une croissance future.
La vie de Brahman n'est pas semblable à la vie de l'homme. Sa Vie renferme, pour ainsi dire, les vies infinies qu'Il a engendrées, et chacune d'elles n'est qu'un clin d'oeil pour cette vie qui est éternelle. Il respire et son aspiration aspire les Flammes et son expiration les expire ; mais pour Lui tout cela ne dure pas plus qu'un mouvement de paupière, et ce qui pour nous représente des millions d'années, n'est pour Lui que l'instant le [68] plus court que nous puissions imaginer. De ce point de vue que peut être le Nirvâna, que peut être la séparation de conscience, que peuvent signifier nos dénominations de Manvantaras et de Pralayas ?…
C'est le Feu infini lançant ses Flammes dans l'Espace et les recueillant de nouveau dans son sein, pour les renvoyer encore en ondulations sans fin, d'où la possibilité, dans chaque, nouveau cycle, de manifestations divergentes : car chacune rapporte dans le Manvantara suivant tout ce qu'elle avait amassé dans l'interminable Manvantara précédent. Nous commençons donc à comprendre que, comme la conscience peut passer dans l'état Turîya et revenir ensuite dans la limitation, de même cette conscience infinie du Cosmos peut rentrer en elle-même, puis se manifester de nouveau. De même que nous ne perdons pas l'expérience acquise, mais que nous la rapportons dans une nouvelle manifestation, ainsi ce qui est vrai au sens minuscule doit être également vrai au sens transcendant, doit être également vrai de l'Unité indestructible : Sa vie éternelle s'enrichit en quelque sorte par les innombrables expériences d'incalculables Manvantaras. Cette évolution toujours grandissante nous parait être une croissance : ce qu'elle Lui parait être à Lui-même, personne que Lui ne peut le savoir.
Voyons maintenant dans nos propres Écritures les allusions faites à ce mystère, et ce qu'on nous dit de celui qui sera Indra dans le prochain Manvantara, de l'être qui fut adombré par Vishnou, [69] qui après la fin de cette adombration entra dans une autre phase de conscience, et qui doit reparaitre dans un autre Manvantara pour en être la force directrice. Vous devez commencer à saisir le sens de ce passage de l'Écriture où il est dit que des êtres de grande dévotion disparurent au sein des eaux, demeurèrent dix mille ans au fond de l'océan, plongés dans la méditation, puis revinrent peupler la terre 14. Que sont toutes ces paroles, sinon les efforts des Maitres pour vous faire comprendre – si vous voulez développer votre intuition en écoutant – la signification intime de ces symboles, de ces nuits et de ces jours, de ces périodes alternatives d'activité et de méditation ? Car Pralaya est la méditation du tout : puis, celui-ci, sortant des eaux, revient peupler le Cosmos.
Les mondes sont ainsi peuplés par l'ordre que Brahmâ donne à quelques-uns de ses fils d'aller donner à la terre sa population ; car toujours en Brahmâ, le troisième Logos, il y a le Mot irrésistible qui projette au-dehors ses enfants évolués.
Ces fils de Brahmâ, ces Rishis qui ont à accomplir l'oeuvre de la création doivent venir de quelque part, car vous ne pouvez avoir de création, à moins qu'elle n'ait été lentement préparée auparavant. Ceux dont nous parlons aujourd'hui comme Instructeurs du présent Manvantara, iront dans [70] le prochain Manvantara, vers des systèmes bien plus élevés que les systèmes planétaires que nous connaissons ; tandis que les vainqueurs de l'humanité actuelle, ceux qui maintenant font évoluer l'étincelle en Flamme, ceux qui par Tapas, par le feu de la connaissance, brulent l'ignorance et sont en train de devenir des Flammes vivantes, reparaitront dans le prochain Manvantara comme Fils du feu ; non plus comme de simples étincelles projetées, mais comme des Flammes suffisamment développées pour construire et instruire les races futures.

14 Les dix Prachetasas, fils de Prâchînabarhis ; voir le Vishnou Pourâna, liv. I, ch. XIV, XV. Voir aussi les Brahmâ Soûtras, Adhyâya III, Pada III, Soûtra 32, avec le commentaire de Shrî Shankarâchârya.

En quittant ces hautes régions je me hasarderai à suggérer à ceux d'entre vous qui viennent ici non seulement pour y chercher un amusement, mais avec le désir d'apprendre, qu'ils feront bien de méditer cette pensée pendant des jours, des semaines et des mois, jusqu'à ce qu'elle devienne une réalité pour eux ; il n'y a pas d'autres moyens de pénétrer au coeur des choses. Vous ne pouvez recevoir de moi que la forme extérieure ; j'ai beau faire des efforts pour que mon esprit parle au vôtre, tout comme ma parole à vos oreilles, c'est dans votre coeur seulement que vous trouverez la véritable force de l'instruction et de la pensée, et, en la méditant, vous développerez ce qui est caché en elle.
Passons à une question plus simple que je vais maintenant traiter pour le monde en général et non pour les intimes, question qui est plutôt un argument qu'un sujet de méditation, qui vous sera utile dans le monde où vous vivez et auquel [71] nous devons essayer de donner quelque lumière sur la pensée intérieure. Je vous ai dit, dès le début, que la science reconnait l'identité de la lumière et du son, et qu'il peut être utile, pour justifier aux yeux du monde les Écritures, d'indiquer les nombreuses expériences faites dans le monde scientifique, au cours desquelles du son a été produit avec de la lumière et de la lumière avec du son.
Ainsi voici une expérience faite par quelques-uns de nos savants les plus consciencieux 15 ; ils ont découvert qu'en prenant une certaine quantité de matière colorée, et en projetant sur elle différents rayons de lumière, un certain rayon en tombant sur cette substance colorée lui fera produire un son. On peut donc dans l'univers physique engendrer littéralement du son par la couleur, qui est de la lumière ; en mettant une couleur dans un ballon en verre et en y projetant un rayon de lumière, vous entendrez se produire un son très bas. Vous aurez ainsi transformé un rayon lumineux en une onde sonore. Cette expérience du monde matériel est assez instructive pour que l'esprit s'y arrête. Si quelqu'un dans son ignorance vous parle des Écritures en s'en moquant, prouvez-lui que la science occidentale en revient à cette notion de l'identité.

15 Expérience de Bell. Voir les Grands Initiés, p. 22. (NDT)

Quand vous lisez dans un de vos livres que pour communiquer avec un Déva inférieur il faut lui parler en couleurs et non en langage articulé, [72] qu'est-ce que cela signifie ?… Cela signifie, pour quiconque a étudié la corrélation du son et de la couleur, que si vous parlez au cerveau humain par des mots articulés qui mettent en mouvement l'air le plus grossier, vous parlez au Déva plus éthéré par la couleur qui met en vibration la matière astrale dont son corps est formé. De sorte que ce qui est une parole sur le plan physique est couleur et lumière sur le plan astral.
Sachant que chaque son a sa couleur, si vous avez à communiquer avec un Déva qui n'a pas de Sthûla Sharîra, pas de corps visible qui réponde aux lourdes vibrations de l'air, vous devez engendrer des couleurs au lieu de produire des sons, car le langage des Dieux inférieurs est le langage des couleurs ; elles contiennent pour eux ce que nous appelons une idée articulée, une idée sur le plan mental. Ce que la parole est dans le monde physique, la couleur l'est dans le monde astral. Quand vous lirez qu'il faut parler au Déva dans le langage des couleurs, on vous dira : "C'est un non-sens enfantin, une folle superstition ; il n'y a ni Dévas, ni langage des couleurs, vous êtes tout à fait fou et vous parlez comme on le faisait dans l'enfance de la race ; c'est du fétichisme, et vous n'employez tous ces mots que pour cacher votre ignorance de la réalité". Si les personnes qui parlent ainsi en savaient un peu plus, elles qui ne font que commencer à apprendre, elles découvriraient que le langage des couleurs est une réalité : et la première notion de ce fait a été donnée par cette expérience, faite à Paris, [73] où, en projetant de la lumière sur des objets colorés, on a produit du son.
Les personnes qui possèdent la clairvoyance ou vision intensifiée, n'ont pas plus tôt entendu une note qu'elles voient une couleur : l'expérience est à la portée de tous ceux qui ont développé le sens astral de la vision ; et beaucoup de gens le développent actuellement en Occident. Il y a une chose étrange dont je n'ai pas entendu parler dans les Indes, mais qui est connue en Égypte ; c'est que quelques-uns des anciens livres égyptiens, vous l'ignorez peut-être, étaient écrits en couleurs et non en caractères uniformes comme l'est pour nous le Sanscrit, ce véritable langage des Dieux. Les anciens Égyptiens avaient appris la manière de les interpréter avec l'aide de leurs prêtres Initiés qui étaient réellement de grands Adeptes comme les Adeptes de l'Inde : et, remarque très importante, lorsqu'on ordonnait de transcrire un Livre Sacré, si les couleurs étaient altérées le moins du monde, on punissait de mort le copiste. À une époque plus récente, les Égyptiens se souvenaient seulement que cet usage des couleurs leur avait été transmis par les grands Prêtres. On n'avait plus conservé que la coutume ; quant au sens qu'elle cachait il avait complètement disparu. L'intention réelle était celle-ci : tandis que le premier venu lisait les formes écrites, l'Adepte lisait les couleurs ; ce qui formait un sens, par la combinaison seule des lettres, en donnait un autre à l'initié, par la couleur que possédait chaque lettre. On pouvait ainsi publier un livre [74] qui fournissait aux profanes une connaissance simplement écrite ou parlée, et qui, réservait le sens occulte à l'adepte qui, en le lisant, faisait plus attention aux couleurs qu'aux formes et pour qui chaque lettre successive, avec sa propre couleur, prenait une signification mystérieuse. De cette façon les secrets de l'antiquité étaient conservés pour l'Initié, qui était capable, une fois l'Initiation subie, de recourir à cette ancienne connaissance et de la faire sienne ; et cela existe encore aujourd'hui, mais naturellement sous le sceau du secret. Le langage des couleurs est un des stades de l'entrainement. Quand le disciple lit en couleurs et reçoit ses enseignements par la sensation des diverses couleurs, il apprend à les utiliser pour le contrôle des forces que notre littérature connait sous le nom de Dévas.
Vous trouverez de même des allusions aux sept langues de Feu – aux sept langues de Flamme – que l'homme doit comprendre. La Prashnopanishad contient une description de la vie se divisant elle-même en airs vitaux 16. Il est dit de l'un de ces derniers qu'il contient sept Flammes. – Dans la Mundakopanishad 17, vous trouvez "sept langues de feu vacillantes" ; chacune d'elles a un nom particulier, et plusieurs de ces noms sont ceux de couleurs. Cela vous donne la clé de ce passage, si vous le méditez, au lieu de chercher à le comprendre par une argumentation intellectuelle. La clé de ce passage est dans la couleur [75] des flammes, et le fait que la vie les distribue dans tout le corps est un symbole qui fait connaitre à notre pensée cette signification cachée : que la vie, Prâna, est la force active d'Atmâ, qui possède sept pouvoirs et devient une septuple force dans l'homme. Chaque langue de Feu devient un des "principes" de l'homme, et lorsqu'ils sont réunis dans son coeur, la flamme unique d'Atmâ est obtenue.
Je pourrais ainsi vous expliquer le sens de bien des symbolismes, comme celui du feu familial et d'autres feux qui doivent être connus par tous ceux d'entre vous qui réfléchissent.

16 Prasna, III, 3-5.
17 Mundaka, I, II, 4.

Pourquoi les "deux fois nés" doivent-ils étudier les Védas ? Ce n'est certainement pas pour se rendre capables de répéter une shloka après l'autre ; si l'étude journalière des Védas est un devoir pour le "deux fois né", c'est que par l'étude on arrive à la connaissance. Si les cinq feux dont parle l'Écriture sont représentés dans sa maison même par le feu familial, c'est qu'il doit savoir quelque chose de ce qu'ils signifient et se rappeler quelques-uns des faits cachés. Pourquoi un feu est-il toujours allumé dons la maison et sert-il à allumer les autres ? Pourquoi ne doit-il être allumé que par les nouveaux mariés et ne jamais s'éteindre tant qu'ils restent tous deux dans cette vie terrestre ? Ce feu symbolise l'ancien idéal du mariage indou. Il rappelle que dans le monde spirituel, lorsque les deux redeviennent un, lorsque les deux aspects de la nature représentés par l'homme et la femme vont se réunir, ils formeront un seul [76] esprit ; et c'est seulement lorsqu'ils sont unis qu'ils deviennent un Feu ; aussi le feu extérieur allumé par eux deux est-il le symbole de l'union en Esprit qui les rend un, non afin qu'ils puissent trouver des satisfactions sensuelles, mais de manière à ce qu'ils puissent devenir ce Prajâpati, le créateur du monde futur. Tel est l'idéal indou du mariage, le mariage le plus idéal que le monde ait jamais connu. Il a pu se dégrader, il a pu déchoir : mais voilà l'idée qui explique cette coutume des mariages, accomplis dans la jeunesse, avant que les passions ne soient éveillées, afin que les corps ne puissent prendre aucune part à cette union des âmes et des Esprits. Telle est la grande vérité sur laquelle se fondait la coutume ; et la coutume a survécu à la connaissance, disparue depuis longtemps. Car les esprits des hommes qui se réincarnent viennent ici-bas pour croitre spirituellement et non pour éprouver de simples jouissances physiques ; aussi les Esprits qui devaient s'unir ne devaient pas se rencontrer sous l'impulsion des passions de la jeunesse ; passions qui parlent par les sens et non par l'Esprit, qui attirent les corps l'un vers l'autre sans égard à la faible affinité des âmes qu'ils renferment.
C'est pour cela qu'on étudiait l'horoscope, qui jette quelque clarté sur la nature de la vie réservée à l'Esprit incarnateur. C'est pour cela qu'avaient été instituées les bases de l'union maritale dont un acte symbolique existe encore dans votre mariage actuel. Quand arrive le moment où les deux époux doivent se voir, un rideau est [77] disposé entre eux de façon à ce que leurs yeux seulement puissent se rencontrer. Car c'est dans l'oeil qu'habite l'Esprit et c'est celui-ci qui doit parler de l'un à l'autre, à l'exclusion de tout autre magnétisme. Tel était l'idéal que représentait le mariage antique, et c'est pourquoi les mariés allumaient ensemble le feu, symbole de leur union spirituelle ; voilà pourquoi, tant que les Esprits restaient unis extérieurement et intérieurement, ce feu ne devait jamais s'éteindre. Si la femme mourait la première, l'époux lui donnait le feu afin qu'elle pût l'emporter dans le monde de l'au-delà et qu'elle pût, comme un Esprit, venir plus tard au-devant de lui, portant le feu dans sa main ; il devait alors reconnaitre cet Esprit comme le sien, afin que là-haut encore les deux âmes n'en forment qu'une.
Tel est le symbolisme que renfermait le plus saint de tous les mariages ; aujourd'hui l'Occident s'en moque, et quelques jeunes gens parmi vous, aveuglés par l'ignorance, voudraient le ravaler au niveau inférieur de l'idée occidentale, au lieu de le relever vers la pureté de l'ancien idéal et de rendre à l'Inde ce qu'elle possédait jadis, c'est-à-dire des hommes et des femmes dont vous ne pouvez trouver l'équivalent à notre époque : dans notre ancienne littérature se rencontrent, en effet, les types les plus nobles, les plus purs et les plus glorieux du genre féminin, des modèles comme vous ne pouvez en trouver dans les annales d'autres nations, ni même dans ces peintures d'imagination inspirées par le poète ou par le rêve de l'enthousiaste. [78]
Vous connaissez maintenant la signification des feux qui vous sont si familiers ; ils vous enseignent la méthode de la réincarnation et vous avez pu vous rendre compte que chaque symbole a un sens pour l'Âme qui sait voir.
Ainsi, Frères, je confie à votre pensée ce que j'ai si imparfaitement exprimé dans cette conférence, et je termine en priant pour vous et pour moi ces Êtres Suprêmes qui sont les Feux du Cosmos, dont nous sommes issus et vers lesquels nous retournerons ; afin que nous, simples étincelles qui voudraient devenir des Flammes, nous puissions par nos aspirations monter vers Eux afin que la Flamme, en s'allumant dans nos propres coeurs, puisse allumer à son tour le feu dans d'autres Ames. Alors les grands Dieux de notre terre indoue, regardant d'en haut, verront encore une fois les Feux monter vers le ciel, non pas ces feux du foyer qui nous restent comme symboles, mais ce Feu de l'Esprit dont l'aspiration nous élèvera à leurs pieds ; alors l'Inde redeviendra ce qu'elle doit être, la véritable Lumière du monde et la fille des Dieux. Peuple antique, futurs enfants des Dieux ! Oui, quand l'amour brulera comme un Feu dans chacun de vos coeurs, cette flamme immense atteindra leur trône !

]]>
bon.christo@free.fr (Super User) LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893 Tue, 25 Jun 2019 06:12:36 +0000
II — LE YOGA http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1135-ii-le-yoga http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1135-ii-le-yoga II — LE YOGA


Il est avéré que depuis les temps les plus reculés et à travers les nombreuses civilisations qui se sont succédé, l'homme, à quelque religion qu'il appartînt, a toujours aspiré aux régions supérieures, l'Esprit qui est en lui n'a cessé de rechercher l'union avec la Divinité. Peu importe la forme de la religion à laquelle appartient le croyant, peu importe le nom sous lequel il adore la Déité, peu importe, en ce qui concerne la lutte intérieure, la voie par laquelle il cherche à exprimer ou à manifester ses aspirations, le fait capital est l'existence de cette aspiration. Elle est pour le monde un témoignage constant de la réalité de l'Esprit et de la vie spirituelle, le seul témoignage, puis-je dire, de l'existence de la Divinité dans l'univers et dans l'homme. Et de même que l'eau se fraie un passage à travers tous les obstacles pour atteindre le niveau de sa source, de même l'Esprit de l'homme s'efforce sans cesse de s'élever jusqu'à la source d'où il émane. S'il ne venait pas de la Divinité, il ne tenterait pas de l'atteindre ; s'il n'était pas issu de la Déité il ne s'efforcerait pas de s'y réunir. Et ce qui témoigne de façon certaine et persistante de la divine origine de [80] l'homme, c'est la tendance irréfutable de cette aspiration incessante vers le Divin, de ces efforts continus pour y arriver. Ce ne sont encore que des tâtonnements : nous y trouvons néanmoins la preuve incontestable de ce que nous avons avancé déjà, car cette preuve a été continuellement fournie. Oui, nous le répétons aujourd'hui, l'étincelle peut redevenir flamme. Flamme à son origine, de nouveau elle s'épanouira dans la Flamme, quelques entraves qu'elle ait eu à subir dans le cours de l'évolution.
Le terme "Yoga", connu de tous, signifie "union". En un seul mot il exprime tout ce que l'Esprit peut désirer, car dans ce mot "union" sont comprises toutes choses, puisque toutes choses viennent de la Divinité. Ainsi l'union avec la Divinité comprend la possession de tout ; elle veut dire toute connaissance, toute force, toute pureté, tout amour ; et le mot unique qui exprime cette union désigne l'aspiration la plus élevée qu'un homme soit susceptible d'éprouver.
Je vous l'ai dit, toutes les religions renferment cette aspiration. Si nous prenons pour exemple la plus connue en Occident, la religion chrétienne, nous y trouvons les mêmes aspirations vers l'union, aspirations pratiquées avec tant de méthode dans la plus ancienne de toutes, la religion indoue. La différence entre ces deux religions réside surtout dans la méthode. Dans toute l'étendue de la Chrétienté les aspirations se font jour, mais, en règle générale l'entrainement y est à peu près inconnu. La religion catholique a fourni, il est [81] vrai, un certain nombre d'individualités ayant quelque connaissance de la façon dont l'union doit être sollicitée, mais en considérant la Chrétienté dans son ensemble on y voit l'aspiration plutôt que l'effort soutenu et délibéré. Néanmoins dans la Vie des Saints on trouve parfois la description d'un état que l'on peut atteindre, et ceux d'entre vous qui ont étudié le sujet, en reconnaitront l'identité avec celui de Samâdhi, cet état bien connu de nous, où la conscience s'élève ou plutôt se concentre à l'intérieur et sort de l'état normal pour entrer dans l'état divin. Bien qu'il ait été atteint dans ce cas par la pure force de la dévotion, ce n'est pas moins une preuve que dans chaque religion la possibilité de l'union existe. À cela en vérité il n'est rien d'étonnant, puisque toutes les âmes sont une dans leur essence ; peu importent donc les divisions extérieures produites par les différences d'origine et de religion. Ce témoignage persistant de l'unité cachée sous les différentes croyances me semble avoir son importance parce qu'il tend à renverser ce mur de la séparativité qui constitue une barrière si réelle en ce qui concerne la spiritualité ; séparation qui à un certain point de vue est cependant inévitable, tant que nous restons dans la sphère purement intellectuelle.
Mais ce que je voudrais établir et ce qui peut être établi par le raisonnement et l'expérience, c'est l'immense avantage que possède la religion indoue, parce que le Yoga y est compris dans sa méthode tout aussi bien que dans son objet. Ce [82] n'est pas seulement parce qu'il aspire à ce que les Chrétiens appellent la "Vision béatifique", c'est encore parce qu'il enseigne une méthode par laquelle cette vision peut être obtenue ; de telle sorte que l'homme du monde peut apprendre, dans une large mesure, à employer dès cette vie les moyens qui le rendront capable, en une future incarnation, d'avancer dans le Yoga, tandis que ceux qui sont déjà prêts pour un plus grand progrès peuvent, en recevant quelques instructions spéciales, apprendre graduellement la manière d'arriver jusqu'au Divin.
Il est clair que dans une conférence publique comme celle-ci le côté intérieur du Yoga doit être absolument passé sous silence. Dans le sens le plus strict le Yoga n'est jamais enseigné autrement que de bouche à bouche, ou de Gourou à shishya 18, car ce n'est pas un sujet à traiter à la tribune et à discuter publiquement. La discussion ne trouve pas place dans le vrai Yoga, car elle est du domaine de l'intelligence, et non de celui de l'Esprit ; par contre, c'est à l'Esprit qu'est dû le Yoga, et non à l'intelligence. Nous pouvons traiter à la tribune ses phases préliminaires ; mais tout ce qui touche au coeur intérieur du Yoga est réservé à ceux qui, ayant compris que l'on peut atteindre à la vie spirituelle, la cherchent de toute leur âme. Ils ne font pas comme des dialecticiens dans l'arène intellectuelle, ni comme des raisonneurs qui se croient aussi avancés que celui qu'ils [83] se donnent pour maitre ; mais ils s'attachent à leurs frères plus avancés dans les questions spirituelles, pour s'instruire en silence et avec soumission, pleins de reconnaissance pour chaque rayon de lumière qui leur arrive ; ils ne discutent pas la lumière, parce que l'Esprit en eux a entrevu la source d'où elle émane.

18 Disciple.

Je vais m'efforcer de vous montrer les stades préliminaires qui graduellement qualifient un homme cherchant à s'instruire dans le Yoga. Et pour cela je vous indiquerai ce que vous pouvez trouver vous-même dans vos propres Shastras : les degrés qui conduisent à la porte du temple ont été révélés au public, si je puis m'exprimer ainsi ; mais à l'intérieur du Temple vous devrez vous diriger seul pour y rencontrer votre Maitre. On ne peut vous montrer que le sentier conduisant à la porte, mais dès que vous avez résolu de le parcourir vous pouvez vous y engager.
Poux comprendre le côté intellectuel du processus de l'union, il vous faut connaitre votre propre constitution. C'est le premier pas. La constitution de l'homme, à vrai dire, consiste en très grande partie dans les instruments au moyen desquels il peut se trouver lui-même. Nul cependant ne peut franchir les degrés préliminaires s'il ne sait se servir de ces instruments, car avant de pénétrer dans le sentier il y a certains obstacles à surmonter. Et ces obstacles sont dans votre nature, dans votre constitution. Ces obstacles extérieurs doivent être détruits avant qu'un progrès réel ne puisse être fait vers le Yoga. Le premier [84] pas à faire, c'est de comprendre intellectuellement votre constitution, de l'étudier et la connaitre au point de vue de la théorie, puis de la pratique.
La constitution de l'homme peut être envisagée, en effet, dans ses relations avec les différentes régions de l'univers, ou selon la manière pratique dont l'homme peut utiliser ses véhicules quand il désire explorer ces régions. Ces deux sortes d'analyses peuvent être différentes, et nous devrons en étudier les relations réciproques.
Je vous ai dit que les divisions sont d'abord théoriques, puis pratiques. La division théorique la plus complète que vous puissiez connaitre est la division septuple de l'homme que donnent tous les livres usuels de Théosophie. Vous la retrouverez dans vos Shastras, mais non sans quelque difficulté, parce qu'ils insistent particulièrement sur la quintuple division qui est celle du développement actuel de l'homme ; les deux stades les plus élevés y sont laissés de côté, parce que l'homme ne peut pas encore les atteindre, étant donné sa condition ordinaire actuelle ; on a jugé alors qu'il n'était pas désirable de créer une confusion dans le mental en donnant une division que la pensée ne pourrait concevoir. On y a semé cependant des allusions permettant à ceux qui ont dépassé l'humanité ordinaire de saisir la connaissance qu'ils peuvent assimiler. Vous y trouverez ainsi des allusions telles que les "sept langues de feu", les sept voyelles, Agni trainé dans un charriot par sept chevaux ; le grand serpent, celui que l'on représente généralement avec cinq têtes, [85] y est parfois dépeint comme en ayant sept. En cherchant toujours, vous trouverez de temps à autre une allusion à quelque chose au-delà des cinq, au-delà de la quintuple constitution de l'homme symbolisée par le pentacle, la lettre M, le signe Makara du zodiaque, le crocodile. Si vos facultés intuitives vous permettent de saisir ces allusions dans vos Shastras, vous y verrez que les symboles sont donnés comme réalités pratiques à étudier, mais qu'il y a quelque chose au-delà.
Dans la septuple constitution nous avons Atmâ désigné par le Soi, qui, par un développement graduel, s'épanouit à travers les enveloppes successives qui ne sont que ses propres différenciations. Puis on nous parle de Bouddhi comme de l'âme spirituelle ; de Manas comme de l'âme rationnelle ou humaine ; de Kâma comme de l'âme animale, renfermant les désirs et les passions ; de Prâna comme du principe de vie circulant à travers le corps éthérique que, malheureusement, on a appelé Linga Sharîra, terme ayant une signification différente dans les Écritures Indoues – et en dernier lieu du corps lui-même, Sthûla Sharîra, la portion physique et matérielle de l'homme. Voilà la division septuple de l'homme, ou les six avec Atmâ comme septième : Atmâ étant réellement le tout, mais se différenciant lui-même dans sa manifestation. "Cela voulu, je me multiplierai."
Mais arrivons à la division la plus familière à la plupart d'entre vous, celle qui considère l'homme comme Atmâ s'entourant de cinq enveloppes différentes. [86] Cette classification est extrêmement lumineuse, parce qu'elle permet dans chaque cas de concevoir l'enveloppe comme un voile du vrai Soi, de sorte que le processus du Yoga consistera à débarrasser le Soi de ses enveloppes l'une après l'autre jusqu'à ce qu'il reste seul comme il l'était primitivement.
D'après cette classification, le corps est l'enveloppe de nourriture, l'Annamaya Kosha. Le Prânamaya Kosha est représenté dans la nomenclature théosophique par le corps éthérique et par Prâna, parce que le corps éthérique n'est que le véhicule de Prâna. Ensuite vient une double division qui corrobore la dualité de Manas démontrée dans les livres théosophiques : elle réunit le Manas inférieur et Kâma, éléments qui périssent après la mort et passent plus tard en Dévaloka : la Mânomaya Kosha comprend donc, outre le Manas inférieur, certains éléments kâmiques, tels que les passions et les désirs, concourant à former un corps qui persiste durant l'existence en Kamaloka. L'enveloppe qui contient les pouvoirs de discernement mental est la Vignyânamaya Kosha ; ce terme est extrait de Gnyânam, connaissance, avec le préfixe Vi qui signifie le discernement, l'analyse, l'opération qui consiste à découper et détacher toutes les parties subdivisibles de la connaissance, celle-ci devenant essentiellement une connaissance de discernement ; aussi ce terme est-il à l'occasion employé pour désigner les soixante-quatre sciences. Ce Kosha représente donc ce que les Théosophes appellent Manas, la faculté de discernement dans [87] l'homme, mais dépourvue de l'aspect raisonnement qui appartient au Manas inférieur. La dernière des enveloppes, le véhicule de béatitude, l'Anandamaya Kosha, est Bouddhi, car Bouddhi est essentiellement la félicité suprême.
Supposons qu'au lieu de cette classification qui envisage l'homme comme une entité sextuple, vous vouliez connaitre comment l'homme s'envisage lui-même quand il veut porter ses investigations dans les différentes régions de l'univers, vous ne pouvez y arriver par une division sextuple ou septuple. Les enveloppes ne sont pas toutes séparables et il faut recourir à la division triple ; aussi les pratiques du Yoga ne comprennent-elles que trois divisions. Les Upâdhis dans lesquels les différents véhicules ou principes peuvent agir sont au nombre de trois. Le plus inférieur est le Sthûlopâdhi ; il comprend le corps physique, mais c'est essentiellement un corps éthérique, car le corps physique peut être laissé de côté, n'ayant d'autre rôle à jouer, dans l'opération qui nous préoccupe, que celui d'un obstacle à supprimer. Les organes véritables des sens résident dans le corps éthérique, et leurs revêtements extérieurs, qui nous semblent si réels, apparaissent seuls dans le corps physique. Vient ensuite le Sûkshmopâdhi ou le subtil Upâdhi, qui est quelquefois appelé le Linga Sharîra, ou Linga Deha ; je trouve fâcheux que la nomenclature théosophique applique ce terme à un Upâdhi inférieur, le corps astral ou éthérique. Ce Sûkshmopâdhi est, en effet, le véhicule des principes kâmiques et manasiques, et c'est en lui [88] que la conscience peut acquérir la connaissance pratique de tout le plan psychique. Enfin le Kâranôpâdhi, l'enveloppe réelle d'Atmâ dans Bouddhi-Manas, correspond à l'Anandamaya Kosha, au corps permanent dans lequel vit, durant tout le Manvantara, ce que nous appelons l'immortelle Triade. Telles sont les trois divisions pratiques du Yoga ; elles correspondent aux trois plans de l'Univers manifesté :
– Le plan astral dont le plan physique n'est pour ainsi dire que la manifestation extérieure, de sorte qu'au point de vue pratique le physique et l'astral peuvent être regardés-comme un seul plan. C'est à ce plan qu'appartient le Sthûlopâdhi.
– Puis le plan physique de l'univers, comprenant les passions, les désirs et aussi l'intellect. À ce plan appartient le Sûkshmopâdhi.
– Enfin la région supérieure ou plan spirituel auquel appartient le Kâranôpâdhi.
Ainsi les trois Upâdhis correspondent aux trois régions de l'univers : la région astrale et physique, les deux en un ; la région psychique supérieure et inférieure ; et la région spirituelle, la plus élevée. Le Yoga emploie cette division pratique parce que la conscience peut séjourner sur l'un ou l'autre de ces trois plans, et sur chacun elle doit, pour ainsi dire, avoir un corps – véhicule serait un terme préférable – dans lequel elle puisse habiter. Le Yoga n'est possible que par l'existence des Upâdhis ; la conscience s'en enveloppe pour agir sur les trois grands plans du Cosmos manifesté. Le Yoga développe ces Upâdhis et les soumet au contrôle du Soi. Il peut alors séjourner dans l'un [89] ou l'autre, chercher l'expérience sur les différents plans, et unifier le tout car le processus de manifestation de l'univers n'a d'autre but que le développement de cette unité de conscience. C'est pour l'Âme seule, disent les écritures, que l'univers existe. Un bon Karma est tout ce qui plaît à Ishvara, le mauvais est tout ce qui lui déplait, car Ishvara, l'Esprit Suprême, est un avec l'Esprit dans l'homme. Le développement de ces Upâdhis assure donc l'union parfaite, permet à l'Esprit de traverser à volonté tous les plans de l'univers et de posséder sur chaque plan de conscience la connaissance qui lui appartient particulièrement.
Ici une question se pose : Comment ces plans et ces Upâdhis sont-ils en corrélation avec ce que l'on appelle les états de conscience, ou les conditions d'Atmâ ? Les Shâstras emploient différents termes selon que le sujet est envisagé au point de vue d'Atmâ et des conditions qu'il assume, ou selon qu'il est étudié au point de vue extérieur, sous forme d'états de conscience. Les états de conscience sont au nombre de trois : la veille, le rêve, le sommeil profond ; en employant les termes techniques, nous dirons : Jâgrat, la conscience normale dans la vie éveillée ordinaire ; – Svapna, l'état de conscience dans ce que nous appelons le rêve ; – Sushupti, le sommeil au-delà du rêve. Il existe encore un quatrième état, celui de Turîya, mais ce n'est pas un état de conscience dans la manifestation : c'est l'extension dans le tout de la conscience limitée. Aussi reste-t-il en dehors de [90] cette question des véhicules, car dans cet état Atmâ existe en tant qu'Atmâ : il a rejeté chaque enveloppe successivement jusqu'à ce qu'enfin il se soit retrouvé lui-même. Donc, aussi longtemps que nous nous occupons des Upâdhis et des enveloppes, nous nous trouvons en présence des trois Upâdhis seulement, et l'état de Turîya, où aucune limitation n'existe, se trouve écarté. L'homme peut l'atteindre, mais il n'y porte aucun véhicule ! C'est l'état de la libération. C'est le stade que franchit le Jîvanmukta ; mais alors, de deux choses l'une : ou le Jîva passe définitivement en dehors de tous les véhicules, ou bien, passant dans cet état en tant que Jîva pur et simple, il retourne au véhicule en quittant cet état : le véhicule ne peut y être emporté, car il est au-delà de toute limitation, il est le Un et le Tout. Mais retournons à la Mândûkyopanishad, si courte et pourtant si précieuse pour celui qui la médite et en cherche le sens intérieur, et nous verrons qu'il n'y est pas question des états de conscience, mais des conditions d'Atmâ. D'abord vient l'état de Vaishvânara, qui correspond à l'état de veille dans lequel Atmâ connait le monde extérieur. On dit qu'il est alors en contact avec les corps extérieurs, et c'est la caractéristique de cet état. Naturellement Atmâ se trouve là dans le Sthûlopâdhi, le plus inférieur des trois véhicules. Il sort de cet état pour passer dans celui de la splendeur ; c'est la condition de Taijasa. Atmâ y étudie le côté intérieur des objets ; dans ce cas son Upâdhi est le Sûkshmopâdhi, il habite le monde intérieur. Il passe de là dans [91] l'état de la connaissance, Pragnyâ. Là on dit que la conscience est uniforme, que sa nature est la félicité et sa bouche la connaissance.
Voici une explication lumineuse et digne de votre plus sérieuse attention. Sa nature est la félicité, ce qui implique la présence de l'Anandamaya Kosha. Sa bouche est la connaissance, ce qui suggère, si vous voulez y réfléchir, la présence de ce qui n'est pas, mais peut devenir le mot parlé, la potentialité de la parole, car la parole appartient au plan inférieur. Sa bouche est la connaissance : la bouche existe, mais sa nature est la félicité. Quand Atmâ sort de cet état, il descend dans le royaume de la parole et la bouche peut articuler le son, mais sur ce plan il n'y a pas de langage. Là se trouve la potentialité du son, mais non le son lui-même. Puis il y a le quatrième état, dont on ne dit rien, sinon des négations, car il est indescriptible. C'est Atmâ en lui-même, c'est Brahman en lui-même. C'est le Mot sacré, en une seule syllabe, non plus en tant que lettres séparées. Vous connaissez les trois lettres A. U. M. ; chacune d'elles est en corrélation avec une des conditions d'Atmâ ; mais à la fin le mot est prononcé en un seul son ; car Atmâ est redevenu le Un, et aucune séparation de lettres ne peut plus exister. Rien que par cette explication extérieure vous pouvez voir combien l'on peut apprendre dans ce livre. Et ce n'est qu'une explication extérieure. Il vous faut découvrir vous-même le sens caché dans ces suggestions successives. En le considérant sous cet aspect, il vous placera sur le [92] chemin du Yoga. Car il vous donne les trois états, les trois degrés, les trois conditions d'Atmâ :
Quelle est la voie pratique pour arriver à ce résultat ? Nous pouvons nous en former quelques notions, bien vagues cependant, quand elles sont présentées d'une façon si imparfaite. Examinons les stades préparatoires où toute cette connaissance théorique peut prendre une certaine extension pratique ; assez du moins pour permettre, comme je le disais en commençant, à l'homme de ce monde, astreint à des devoirs familiaux, à des obligations sociales et nationales, de se préparer lui-même à la vie réelle. Ainsi limité, le problème est à la portée de notre examen, et nous pourrons même y joindre des allusions à ce qui existe au-delà, car il est de toute impossibilité pour un homme de se lancer de la vie ordinaire dans la pratique du vrai Yoga. Le tenter serait s'exposer à des chutes inévitables, car, en commençant, quelle que puisse être l'intensité de son désir, l'homme n'aura jamais la résistance nécessaire pour soutenir les chocs qui suivent l'enthousiasme du premier bond sur la voie qui mène à la vie spirituelle. Nous ne pouvons faire un pas soudain sans qu'une réaction également soudaine se produise, nous ne pouvons faire un saut en hauteur sans ressentir une secousse en retombant.
C'est pourquoi la prudence des anciens Sages ne leur permettait pas d'autoriser un homme à entrer tout d'un coup dans la voie ascétique. La défense était formelle, sauf exceptionnellement pour une âme avancée qui, en se réincarnant, [93] montrait dès sa naissance des capacités rares. La vie ordinaire était à cette époque une vie sagement graduée, l'homme pouvait prendre juste la somme de religion que l'impulsion intérieure lui dictait. La vie était pieuse et les cérémonies religieuses l'accompagnaient durant tout son cours, aussi un homme pouvait-il dépenser dans les cérémonies la quantité d'énergie spirituelle qu'il voulait. Il pouvait les répéter comme de simples devoirs de forme ayant pour but de lui rappeler la vie de l'au-delà ; il pouvait les accomplir avec quelque dévotion, et être ainsi conduit à faire un pas en avant, ou enfin il pouvait s'y livrer de tout coeur, et elles devenaient alors une véritable préparation à la vie postérieure. Quand la vie de Grihastha était passée et que chaque devoir avait été accompli, le père de famille pouvait franchir un nouveau degré et vivre en ermite ou en ascète, parce que par des pratiques de plus en plus graduées, il s'était lui-même préparé à trouver un Gourou et à mener une vie vraiment spirituelle.
Les premiers pas dans la voie du Yoga exigeaient l'abandon des chemins du vice. C'est une étape rebattue, une vérité banale dans toutes les religions, mais le fait qu'elle est banale ne la rend pas moins vraie. Et puisque nul Yoga n'est possible sans cela, sauf le Yoga qui conduit à la destruction, pour faire le premier pas il faut purifier sa vie, ne plus commettre de mauvaises actions. Quiconque n'a pas abandonné ses mauvaises habitudes et n'arrive pas à subjuguer ses sens et son intelligence, ne pourra pas trouver Atmâ. Telle [94] est donc la première étape et la plus ordinaire ; tous ceux à qui vous direz que c'est une nécessité préliminaire diront en haussant les épaules : "Naturellement" mais ils ne la pratiqueront pas. Sans cela cependant aucune pratique du Yoga n'est Possible.
Rien n'est possible, sinon en paroles, tant que l'homme n'a pas commencé à purifier sa vie ; tant qu'il n'est pas sincère dans ses pensées et dans ses paroles ; tant qu'une tentation étrangère peut l'entrainer à s'écarter du sentier de la droiture ; tant que toutes ses pensées et ses désirs ne seront pas tournés vers la justice, et qu'après chaque chute il ne cherchera pas à se relever ; tant qu'il n'aura pas fait au moins un effort pour se former un idéal de vertu et n'aura pas cherché à mettre cet idéal en pratique. Tout cela, dis-je, est un lieu commun qui fait partie des enseignements de toutes les religions, mais c'est ce qu'il y a de plus difficile à mettre en pratique au début. Pour la grande majorité des hommes qui ne veulent pas admettre cette règle, le Yoga est et ne peut être qu'un mot ; essayer de le pratiquer équivaudrait à essayer de courir avant d'avoir appris à marcher, et le seul résultat possible est celui qu'obtient un enfant trop pressé de courir ; il tombe et retombe jusqu'à ce qu'il ait appris à être prudent.
J'ai fait ces observations parce qu'il y a bien des pratiques que l'on peut remplir sans s'assujettir à une vie pure, mais elles produisent plus de mal que de bien. Il est beaucoup plus facile d'ouvrir un livre sur le Yoga et de mettre en pratique [95] pendant quelques minutes, une heure ou deux, et même un jour, une règle quelconque qui s'y trouve recommandée, que de s'observer journellement et de purifier sa vie à tous les instants. C'est beaucoup plus facile mais bien moins utile, car la discipline du corps et du mental est le premier stade dans la pratique du Yoga. La vie peut fournir différentes méthodes de discipline et lorsqu'un homme est vraiment résolu à discipliner son corps et son mental, il se tracera des règles définitives d'après les exigences de sa vie journalière. Peu importe quelles sont ces règles pourvu qu'elles soient inoffensives ; mais une fois ces règles tracées il devra les observer scrupuleusement. Il systématisera sa vie pour ainsi dire, il fixera certains moments pour l'accomplissement des choses qu'il a décidées et il les fera au moment précis et à l'heure dite. Par exemple il fixera une heure pour son lever : mais quand cette, heure sonne, peut-être négligera-t-il d'obtempérer à l'ordre ; il se sent paresseux, mal réveillé, que sais-je ? Il est en soi-même indifférent qu'il se lève un quart d'heure plus tôt ou plus tard, mais ce qui importe c'est que, du moment qu'il s'est tracé une règle, il la suive. La volonté se fortifie à exécuter ce que l'on s'est proposé de faire, surtout lorsque l'on n'y est pas disposé et nul progrès n'est possible dans le Yoga, si la volonté n'est pas forte, si le corps et le mental ne lui obéissent pas. Ce pouvoir de la volonté peut être considérablement accru dans la pratique de la vie quotidienne. Une fois le mental et le corps soumis, assouplis à l'obéissance, peu [96] importent les tentations de paresse ou autres qui peuvent se présenter, le premier pas sur la voie est accompli : tous deux sont soumis à quelque chose qui est au-dessus d'eux.
En fortifiant sa volonté l'homme prépare l'instrument de son futur progrès. Il y a aussi la question de nourriture, elle n'est pas vitale, mais elle a une grande importance. Certains aliments sont défendus à ceux qui mènent une vie spirituelle. La nourriture doit être en rapport avec le but poursuivi. Il ne peut être donné de règles générales, elles sont différentes selon le but que la vie se propose et différents aussi doivent être les aliments que l'on prend pour nourrir et conserver le corps. Ainsi un Brahmine de jadis, c'est-à-dire un homme qui, ayant fait des progrès dans la vie spirituelle, désirait aller plus vite et plus loin, devait suivre des règles très sévères en ce qu'il devait faire et ne pas faire. On lui prescrivait de n'absorber que des aliments possédant la qualité sattvique, parce que dans ce corps qu'il cherchait à purifier, il ne devait pas introduire des aliments de qualités râjasique ou tâmasique, qui l'auraient entrainé vers la matière au lieu de l'élever au-dessus. Il est vrai que le corps est la partie la plus inférieure de notre être, mais ce n'est pas une raison pour le négliger. Si l'on veut monter il est important d'alléger son poids. Il est certain que le poids ne nous aide pas à monter, mais son allègement rend l'ascension moins difficile. C'est la seule règle à observer vis-à-vis du corps ; il ne peut pas nous aider dans notre vie spirituelle, mais il peut nous retenir [97] en bas. Aussi est-il nécessaire d'atténuer autant que possible son influence, de là l'utilité des observances extérieures. S'il n'y a pas autre chose que cette extériorité, s'il n'est pas question de monter plus haut, il est absolument indifférent que le corps soit lourd ou léger, puisqu'il doit toujours rester sur la terre et qu'il ne retient rien sur le terrain qui le porte. Attachez une pierre à un poteau, peu importe le poids de cette pierre, puisque le poteau n'a pas de tendance à s'élever ; mais fixez un quartier de roche à un ballon, à mesure que vous diminuez le poids de la pierre le ballon tend à s'élever jusqu'au moment où la force ascensionnelle étant la plus forte, l'aérostat s'élance dans l'espace entrainant le rocher dont il est parvenu à vaincre la résistance. C'est ainsi que doivent être envisagés le corps et les observances extérieures. C'est pourquoi lorsque l'esprit est libre, toutes les formes extérieures deviennent indifférentes. Les rites et les cérémonies de la religion qui lient l'âme encore esclave, deviennent inutiles dès qu'elle a atteint la libération, car alors rien ne peut plus la tenir. Les rites de la religion, semblables à des ailes, veulent, en dépit du poids, enlever l'âme vers les hautes régions, mais que le poids s'évanouisse, l'âme est libre et n'a plus besoin d'ailes, elle est dans sa propre atmosphère, elle y trouve l'équilibre ; descendre et s'élever sont pour elle dépourvus de sens, car elle est au centre de ce qui est le Tout.
Je dis cela pour guider le jugement de ceux qui veulent juger leur prochain. Il serait bien [98] préférable de ne pas songer à le juger. De quel droit l'un de vous porterait-il un jugement sur l'un de ses frères ? Que connaissez-vous de son Karma ? Que savez-vous de son passé, des conditions de sa vie, de ses luttes intérieures, de ses aspirations et de ses fautes ? Jugez-vous vous-mêmes, mais ne jugez pas les autres, car lorsque vous condamnez quelqu'un sur les apparences et d'après son observance ou sa négligence des règles extérieures, vous vous faites plus de mal personnellement que vous ne pouvez lui en faire. Vous jugez dans la sphère la plus inférieure et vous dégradez, vous obscurcissez votre propre sphère par cette tendance au manque de bonté et de compassion.
Un grand nombre de règles extérieures ont été ordonnées et pratiquées pour cet entrainement du corps : quelques-unes sont utiles, les autres très dangereuses. Prenons, par exemple, une pratique très utile, quand elle est observée modérément, surtout dans un pays comme celui-ci où des milliers de générations l'ont exercée, ce qui constitue une longue hérédité physique ; elle est connue sous le nom de Prânâyâma, le contrôle du souffle, et aucun Brahmane ne l'ignore. Cette pratique a pour but bien défini d'éloigner tous les objets extérieurs et de retirer l'âme des sens pour la porter vers l'Esprit, résultat qui est le premier degré de la pratique du Yoga. Le contrôle physique des sens et l'arrêt du souffle sont réellement des allègements de poids, ils facilitent au mental la possibilité de se retirer du monde physique. Si cependant ces conseils, qui ont été publiés jusqu'à un [99] certain point, sont mis subitement en pratique par des étudiants non préparés par l'hérédité physique, ou suivis avec la persistance et l'énergie occidentales, sans guide, la pratique en peut devenir très dangereuse, car poussée au-delà d'un certain point, elle peut affecter sérieusement les organes et occasionner des maladies et la mort. Il n'est jamais prudent de la poursuivre très loin ; même pour vous, Asiatiques, elle est dangereuse, à moins que vous ne soyez entrainés par quelqu'un qui la connaisse et puisse vous indiquer le moment où elle devient pernicieuse ; mais, pour l'Européen, il est toujours imprudent de s'y livrer, parce que son hérédité physique ne s'y prête pas, et que son entourage physique et psychique ne l'a pas préparé à une pratique qui agit sur la vie physico-psychique ; elle peut être extrêmement dangereuse pour lui et s'il veut commencer l'entrainement physique il doit débuter d'une façon différente. Voilà encore un cas où il serait injuste de porter un jugement sans prendre ces circonstances en considération. Pouvez-vous blâmer un homme parce qu'il s'abstient d'une chose qui peut produire chez lui un dangereux épanchement de sang aux poumons ? Voudriez-vous donc le priver du revêtement physique dans lequel, plus sagement entrainé, il aurait conservé la possibilité de progresser ?
Cette pratique est poussée plus loin encore dans le Hatha Yoga, elle est portée à sa plus extrême limite par certains ascètes qui adoptent certaines postures particulières, comme d'étendre le bras [100] et de le tenir immobile jusqu'à ce qu'il se dessèche, ou de fermer la main jusqu'à ce que les ongles croissent dans la chair, ou de regarder le soleil, ou de plier le corps en deux, etc. Ces pratiques ont-elles, ou non, quelque valeur ? Pourquoi sont-elles adoptées ? Quel est leur but et vers quoi tendent-elles ? Il serait injuste de dire qu'elles n'ont aucune valeur. À une époque comme la nôtre, elles ont au moins l'utilité de témoigner de façon constante et permanente de la force d'une aspiration intérieure qui domine toute passion charnelle, toute tentation physique, pour chercher quelque chose de supérieur. En jugeant ces actes, il serait juste de ne pas perdre de vue le service qu'ils rendent à l'humanité : dans un monde où la plupart courent après les biens terrestres, ambitionnent l'argent, les places, la puissance, la renommée, il n'est pas sans utilité que quelques-uns méprisent ce que les autres hommes ont la folie de rechercher ; il est bon qu'ils proclament, par leur existence toute de tortures, la réalité de l'Âme humaine et la grandeur de ce quelque chose qui est au-dessus des angoisses physiques. Aussi je ne crois pas qu'il soit permis de parler légèrement de la folie de ces hommes, alors même que l'on ne partage pas leurs idées, qu'on les désapprouve. Dans tous les cas, il faut reconnaitre combien forte est cette dévotion qui permet de meurtrir le corps pour rechercher l'âme. Cette méthode fait fausse route, je le crois, mais toute trompeuse qu'elle est, elle est encore plus noble que la soif vulgaire des objets fugitifs ; il [101] vaut mieux graviter vers un but élevé, quitte à tomber en route, que de courir après les choses purement terrestres et de tout perdre pour des biens éphémères.
Un autre côté de la question reste à envisager, le fruit que cette pratique produira dans une future incarnation. Il est vrai que, par cette méthode, ils n'atteindront jamais le plan spirituel, ni les plus hautes sphères de l'existence, mais il est également vrai qu'ils lui doivent d'avoir développé une puissance de volonté qui, à leur prochaine incarnation, les portera loin sur la voie. Et combien ne devons-nous pas être frappés de la force de volonté déployée par ces hommes surtout à l'époque où cette posture n'était pas encore devenue automatique, durant cette première période où la torture était de tous les instants. C'est alors que l'âme se développe, c'est alors qu'ayant payé son tribut à la souffrance elle a droit d'en réclamer le prix. Ceux qui ont ainsi peiné pour acquérir la force de la volonté, verront cette force redescendre en eux dans leurs vies futures. Il se peut que, cette force de volonté étant alors éclairée par la dévotion qui leur avait fait choisir un tel genre de vie, l'union des deux leur ouvre la voie qui conduit à la Connaissance. Si dans la présente incarnation ils ne réussissent pas à atteindre l'Esprit, dans une autre incarnation la dévotion combinée avec la volonté les portera bien plus loin que ceux qui se croient sages parce qu'ils ne sont pas fanatiques. Eh ! oui, je le crois franchement, ce sont des fanatiques. Et si vous me demandez : 102] "Devons-nous les imiter ?" Je vous répondrai : "Non". Si j'ai fait mention de leurs pratiques, c'est pour faire justice des frivoles moqueries et des futiles railleries de gens qui restent bien loin derrière eux et qui n'ont pas encore reconnu la possibilité même d'une vie spirituelle, ni essayé de la vivre.
Je veux maintenant dire un mot d'un autre genre de vie qui, sans tortures corporelles, éloigne l'homme de la société de ses semblables et le pousse à se retirer dans les forêts. On a prétendu que c'était là une vie égoïste : cela peut être vrai dans bien des cas, mais pas toujours. Ces existences qui ont un but spirituel ont leur côté utile pour la masse ; elles maintiennent dans le pays une atmosphère spirituelle et l'empêchent de tomber aussi bas qu'il eût pu le faire sans elles. Ces solitaires entretiennent la tradition d'une vie spirituelle, ils en démontrent la réalité qui, un jour, se manifestera par des actes. Si l'Inde possède encore des facultés qui permettent d'espérer une renaissance, elle le doit surtout à ces reclus des forêts et des jungles ; ils ont entretenu une atmosphère spirituelle dans laquelle se produisent des vibrations destinées à entrer en contact avec les sens externes de l'homme.
Quelle est la vérité cachée dans le Hatha Yoga ? C'est que le corps sera l'obéissant serviteur de l'Esprit dès que la croissance sera complète. Le corps se sera développé selon certaines lignes particulières pour mettre à la disposition de l'Esprit les organes par lesquels il pourra agir sur le monde [103] de la matière ; ces pratiques entrainent le corps, elles mettent en activité certains centres, certains Chakrams, et ces centres serviront d'organes à la vie intérieure. Ce sont les organes par lesquels la vie intérieure peut agir sur l'univers matériel et produire ce que nous appelons des phénomènes. Ceux-ci ne peuvent être produits par l'Esprit agissant directement du plan suprême sur le plan infime que nous connaissons comme matière, par l'Atmâ agissant directement sur l'univers matériel ; l'abime est trop profond, il doit être comblé. Si l'on veut diriger l'univers physique et ses lois, il est nécessaire de développer certains organes matériels ainsi que des organes astraux en rapport avec le corps, qui, mis en contact, en bas avec l'univers physique, en haut avec le mental et l'Esprit, permettra à celui-ci d'agir de là-haut sur les plans inférieurs, de produire les résultats physiques qu'il désire.
Le Hatha Yoga est la reconnaissance de cette vérité et sa mise en pratique sur le plan inférieur. Il agit sur le corps et développe un grand nombre de ces organes qui commandent à ces forces intérieures. Il maitrise le corps et le rend plus apte à répondre aux vibrations subtiles. Le Hatha Yoga permet à celui qui le pratique d'obtenir, assez facilement, certains pouvoirs sur les forces de l'univers. Il réveille le corps astral et met en vibration les centres astraux de façon à permettre, là aussi, l'acquisition de pouvoirs d'un caractère encore plus extraordinaire au point de vue du monde.
Mais ces pouvoirs sont mauvais en ce sens [104] qu'ils commencent par les plans inférieurs et stimulent les organes physiques et astraux sans produire une action correspondante sur le mental et l'Esprit. La limite de leur action est bientôt atteinte. C'est un stimulant artificiel au lieu d'une évolution naturelle. Pour persister d'une vie à une autre, ces organes doivent être excités par en haut et non par en bas ; et les pratiques du Hatha Yoga stimulent par en bas ; il en est de même dans l'hypnotisme ; on commence par paralyser les sens extérieurs et on aboutit à une atrophie, à une paralysie permanente. Pratiqué longtemps, le Hatha Yoga rend le Raja Yoga impossible en cette incarnation. C'est pour cela que les plus sages de nos livres s'élèvent contre lui. Il faut donc rechercher le Raja Yoga et rejeter le Hatha Yoga : je ne veux pas dire qu'il faille renoncer absolument aux pratiques physiques, ni que ces pouvoirs psychiques ne doivent pas être évolués à un moment donné ; mais ils doivent être évolués comme résultat naturel du développement de l'Esprit et non comme résultat excité artificiellement, par le corps d'abord, et dans la suite par la forme astrale. Commencer par cette fin, c'est se limiter au plan psychique ; commencer par les moyens spirituels c'est réunir tous les plans en un. Telle est la différence essentielle entre les deux Yogas. Le Râja Yoga est plus difficile et plus lent, mais il est certain, ses pouvoirs se transmettent d'incarnation en incarnation, tandis que par le Hatha Yoga on ne peut progresser au-delà du plan psychique. [105]
Je veux vous exposer une ou deux données générales qui se rapportent à ces pratiques et dont on peut faire usage dans la vie quotidienne. Il est dit dans l'Aitareyopanishad que l'homme, après avoir été formé, a été vitalisé par les Dévas. Et alors l'Âme suprême posa cette question : "Comment y entrerai-je ?" Et elle y entra à l'endroit où les cheveux se partagent sur la tête, c'est-à-dire par le Brahmarandra, au sommet du crâne. Elle s'établit à demeure dans trois places, l'oeil droit, l'organe intérieur, et le coeur ; l'oeil droit, pour les sens ; l'organe intérieur pour le cerveau et la pensée ; le coeur, pour le soi intérieur ; – et elle y pénétra successivement, dans l'oeil d'abord, c'est-à-dire dans les sens, puis dans l'organe intérieur, c'est-à-dire dans le mental, et enfin dans le coeur où elle habite définitivement.
Voilà la tonique de toutes les triples divisions que je vous ai données au début. Et chacune de ces divisions appartient à l'une ou à l'autre des différentes phases et conditions dont je vous ai parlé. Lorsque nous commençons à pratiquer le Yoga, ces divisions forment les étapes à parcourir dans ce monde, avant de trouver le Gourou. Ces premières étapes, tous ici vous pouvez les franchir, et cet entrainement vous facilitera les suivantes. En cherchant l'Âme, occupez-vous d'abord des sens ; créez une image mentale sur laquelle vous vous concentrerez jusqu'à ce qu'aucune excitation ne puisse vous en détourner. C'est concentrer le mental en lui-même et le libérer du joug des sens. Pourquoi l'homme ne se livrerait-il pas [106] journellement à cette pratique ? Pourquoi ne s'appliquerait-il pas à retirer à volonté son mental des sens, à le replier et à le limiter ainsi en lui-même ? Tous les grands penseurs le font d'instinct. Lisez la vie des intellectuels qui ont donné au monde les grandes oeuvres littéraires, vous verrez que lorsqu'ils étaient absorbés par les grands problèmes intellectuels, ils oubliaient leur corps ; ils passaient des journées entières à penser, négligeant de prendre leurs repas ; les nuits même s'écoulaient dans l'oubli des besoins du corps, dans l'oubli du sommeil, et cela parce qu'ils avaient détaché le mental des sens pour le concentrer en lui-même.
C'est ainsi que procède toute pensée fructueuse, toute méditation sérieuse. La méditation cependant est quelque chose de plus élevé encore. Mais c'est là le premier pas à faire pour détacher l'Âme des sens ; autrement elle se répand sans cesse à l'extérieur. Si vous voulez la ramener vers son centre intérieur, commencez par maitriser les sens, ou vous ne pourrez aller plus loin. Au point de vue de la vie journalière même, cette concentration, qui est recommandée par les livres anciens comme stade préliminaire du Yoga, est également une condition indispensable à l'efficacité de tout travail d'esprit. L'homme qui a le don de se concentrer peut dominer le monde intellectuel ; l'homme qui est capable de ramener toutes ses pensées au même point devient pénétrant, a dit Patanjali ; celui-là fera de réels progrès intellectuels. Il ne vous est pas possible de faire passer [107] un large objet à travers un obstacle ; taillez-le en pointe, il le traversera aisément. Il en est de même pour le mental : éparpillé à travers les sens, il est diffus, et aucune force de propulsion ne peut lui faire franchir les obstacles ; aiguisez-le, sa force inhérente le poussera à travers l'obstacle. Ainsi la concentration est une condition de succès, même pour les questions intellectuelles ordinaires.
Ce résultat obtenu, nous arrivons à la seconde phase, celle de Svapna. La condition du mental est ici de se fixer sur les objets internes, c'est-à-dire que l'attention est fixée sur les concepts et non sur les objets qui leur donnent naissance. Vous ne vous arrêtez plus sur ce qui est du corps physique, mais sur ce que vous en avez retiré dans votre mental, et vous étudiez les objets intérieurs, qui sont les concepts, les idées, les déductions et les pensées abstraites recueillis dans le monde extérieur. Plus l'exécution de ce qui précède vous est facile, plus vous approchez du stade complet, de Svapna, et lorsque vous l'accomplirez réellement bien, vous aurez parcouru une étape sérieuse dans le Yoga. Car vous aurez acquis le pouvoir d'amener l'âme dans l'organe intérieur, et dès lors de nouveaux progrès sont possibles. Le degré suivant, qui est encore dans les limites de Svapna, consiste non seulement à pouvoir retirer le mental en lui-même, mais encore à l'y maintenir en empêchant l'intrusion des pensées que vous ne désirez pas. En admettant que vous ayez garanti le mental contre l'intrusion des excitations extérieures et que les sens ne puissent plus [108] vous faire sortir de cet état de concentration, les pensées le pourraient peut-être encore : le mental n'est peut-être pas complètement garanti contre cette intrusion ; il est à l'abri de toutes les excitations venant de l'extérieur ; il peut même être assez fort pour qu'un homme vous touche sans arriver à vous faire sortir de votre état d'abstraction parfaite ; mais peut-être n'est-il pas assez ferme en lui-même pour échapper à l'atteinte d'une idée, alors qu'une sensation ne peut plus rien sur lui. Une pensée peut le déranger sur son propre plan. À ce degré de concentration il faut que vous soyez capables de tuer les pensées. Au moment où vient une pensée inutile, elle doit être rejetée. Vous la tuerez par une action délibérée, c'est-à-dire que vous la repousserez quand elle se présentera. Mais comprendre sa présence prouve déjà une lacune dans la concentration : et ce seul fait prouve qu'elle est encore susceptible de faire une impression sur vous. Vous devez apprendre à rejeter toute pensée qui se présente. Vous obtiendrez ce résultat par un long exercice, et si vous faites cela durant des mois et même des années, à la fin l'effort deviendra automatique, vous aurez ainsi formé dans votre esprit un pouvoir répulsif, et ce pouvoir agira de lui-même dès que vous vous retirerez dans le centre de votre être ; alors les pensées venant de l'extérieur se heurteront contre ce pouvoir et se retireront d'elles-mêmes.
Une roue tournant très rapidement est une figure frappante de ce pouvoir ; quand elle tourne lentement, tout objet lancé contre elle peut l'arrêter, [109] si au contraire elle tourne vite, elle rejette l'objet, et la force de répulsion est proportionnelle à la rapidité de sa révolution. Ce pouvoir devient automatique, et de même que vous vous êtes affranchi des excitations des sens, vous vous libérez de l'atteinte du mental ; c'est-à-dire que le mental se concentrant en lui-même rejette automatiquement tout ce qui voudrait y pénétrer. Telle est la situation que vous vous êtes maintenant assurée. Il y à là encore un avantage temporel, car le mental, lorsqu'il est pleinement concentré, ne s'use pas, ne laisse pas pénétrer les pensées inutiles. Il ne les prend pas en considération, ne leur permet pas de gaspiller son énergie et d'éparpiller ses pouvoirs. Lorsqu'il n'a pas à agir, il reste vide de pensées. Au lieu de remplir le rôle d'une machine toujours en mouvement et soumise à l'usure, c'est une machine qui travaille et s'arrête, absolument à volonté, exactement selon les désirs du Soi.
Au-delà de cette étape aucun progrès n'est possible sans l'aide d'un Maitre ; j'entends un progrès conscient, car il peut y en avoir d'inconscients, le Maitre peut être là sans que vous le sachiez. Tout en ignorant que quelqu'un vous aide, vous pouvez encore faire un progrès d'un certain genre, mais par un autre moyen que par la connaissance.
Si vous désirez parcourir le sentier de la connaissance, il vous faut trouver votre Maitre. Mais il est au monde quelque chose de plus fort que la connaissance, c'est la dévotion. Car la dévotion c'est l'esprit lui-même. Je vous ai indiqué tout ce [110] qui est faisable consciemment, mais vous pouvez faire autre chose encore qui peut vous aider. C'est d'ouvrir à deux battants les portes de votre Âme, afin que le soleil de l'Esprit y puisse pénétrer, la purifier et l'illuminer sans que le moi inférieur s'en mêle. La dévotion, c'est l'ouverture des fenêtres de l'Âme. Ce n'est pas une action, c'est une attitude. Posséder la dévotion, c'est comprendre qu'il existe quelque chose de plus grand que nous, de plus élevé, de plus sublime, et que notre attitude vis-à-vis de "Cela" ne doit pas être une attitude de critique ou d'étude, mais simplement une prosternation. Nous tombons en adoration et nous restons silencieux, écoutant si une voix ne se fera pas entendre. Par ce moyen le progrès est possible dans la profondeur la plus intime de l'Esprit, car la dévotion ouvre la voie à la lumière.
Les exercices dont je vous ai parlé consistent à déchirer une enveloppe après l'autre, jusqu'à ce que nous puissions consciemment reconnaitre la lumière. Au fur et à mesure que les voiles sont enlevés celle-ci semble plus brillante. En réalité elle ne brille pas davantage ; la lumière est là ; c'est nous qui, de l'extérieur, ne savons pas la reconnaitre à l'intérieur. Venant du dedans, la dévotion brise toutes les enveloppes et la lumière alors resplendit ; elle ne peut en effet que resplendir car la splendeur est sa qualité ; c'est nous qui l'obscurcissons et l'empêchons de briller. C'est pourquoi nous trouvons quelquefois chez un homme ignorant une connaissance spirituelle bien supérieure [111] à la connaissance intellectuelle acquise par un homme de génie. Le dévot voit le coeur des choses. Pourquoi ? Parce que la lumière intérieure a jailli au-dehors ; la dévotion lui ayant ouvert les yeux, la lumière y pénètre, et son regard plonge avec le rayon jusqu'au fond du sanctuaire. Seule, la connaissance ne pourrait ouvrir les enveloppes l'une après l'autre. Pour que l'homme puisse se trouver lui-même, l'amour aussi est nécessaire ; il brise alors successivement les enveloppes, et à la fin il peut dégager la voie qui conduit aux Pieds du Seigneur.
Ce résultat est possible partout pour peu que l'homme arrive à se séparer lui-même des choses terrestres, et pour cela point n'est besoin de se réfugier au désert, ou dans la jungle. Aucun renoncement extérieur n'est exigé : ce qu'il faut, c'est le renoncement plus intime de l'Âme à tous les objets des sens et du monde. C'est à cet éloignement de toutes les jouissances d'ici-bas que Shrî Krishna fait allusion quand il parle de la dévotion. La méditation c'est l'Âme tout entière ouverte au Divin, laissant pénétrer la lumière divine en dépit des obstacles accumulés par le moi. Aussi signifie-t-elle renoncement, détachement de tout ce que l'on possède, attente de la lumière qui va Surgir dans ce vide ; elle signifie encore qu'il ne faut pas s'attacher aux fruits des actions. Tout ce que vous faites, faites-le parce que vous êtes dans le monde et que votre devoir est d'y accomplir des actes. Shrî Krishna a dit : "J'agis toujours". Pourquoi ? Parce que s'il n'agissait pas, la révolution [112] de la roue s'arrêterait. Il en est de même pour le dévot. Il doit accomplir ses actions extérieures parce qu'elles servent d'exemples aux autres hommes, parce que son Karma l'a placé dans le monde où leur accomplissement s'impose. Mais ce n'est pas lui qui les accomplit. Une fois la dévotion atteinte, les sens et le mental se tournent vers leur but, mais les sens et le mental, pas le dévot. Celui-ci est le Soi, reconnu comme Seigneur. Il est en adoration perpétuelle, tandis que ses sens et son intelligence travaillent dans le monde extérieur et intérieur. Il n'est attaché à aucune des actions qu'exécutent ses sens, et lorsque ceux-ci accomplissent leur travail, c'est avec la plus grande perfection. Quand son mental agit dans le monde extérieur et y remplit sa tâche, dans le travail humain, ce n'est pas lui qui agit, car il est toujours prosterné aux Pieds de son Seigneur ; tandis qu'il est en adoration les choses extérieures peuvent suivre leur cours, elles n'ont pas le pouvoir de l'enchainer à leurs oeuvres. Pour atteindre ce résultat, il faut pratiquer avec fermeté le détachement, l'indifférence aux résultats, pourvu que le devoir soit accompli. Il faut faire abandon de l'avenir entre les mains des puissantes forces qui opèrent dans l'univers. Elles demandent simplement que nous leur donnions les matériaux dont elles pourront se servir tandis que nous restons un avec elles. Pour arriver à cela, il faut être pur et avoir toujours le coeur fixé sur la seule réalité. Le dévot est toujours à l'intérieur, dans le coeur, dans le tabernacle, tandis que le mental [113] et les sens sont occupés dans le monde extérieur. Tel est le véritable Yoga, il n'a point d'autre secret.
Il est vrai, cependant, qu'à un certain moment la connaissance est à nouveau requise et le disciple doit alors apprendre de son Gourou à devenir le coopérateur conscient des forces spirituelles. La dévotion rend cette coopération possible avant qu'il en ait conscience, mais la coopération consciente implique la connaissance. Elle signifie que le Gourou prend le shishya 19 par la main et lui apprend à se purifier de plus en plus, à rester sans tache malgré le contact des actions qu'il accomplit. La coopération consciente est une joie absolue, elle seule rend la vie digne d'être vécue.
Je ne croirais pas devoir vous retenir sur un pareil sujet, si je n'espérais communiquer à certains d'entre vous quelques pensées de dévotion qui leur rendront plus accessible et plus praticable la voie qui mène au sanctuaire intérieur. Après avoir traité le côté intellectuel des enveloppes de l'Âme, des régions de l'univers, des états de conscience et des méthodes de progrès, je ne croirais pas avoir rempli mon devoir, si je vous laissais sur ce plan intellectuel. C'est pourquoi je hasarderai quelques mots sur ce que peut être le Yoga, indépendamment de sa forme extérieure, et dans son essence même. Je me laisse entrainer à vous dire, – au risque d'entendre quelques-uns d'entre [114] vous m'accuser de folie ou de fanatisme, – que la dévotion est la seule chose qui donne la sécurité, la force, qu'elle seule ouvre la voie de cet être intérieur où la Divinité est manifestée. Il vaut mieux adorer dévotement, même dans l'ignorance, que de refuser toute adoration.
Il est préférable d'offrir une fleur, ou une simple feuille à quelque dieu de village, comme le plus pauvre des ignorants, que d'être un grand génie intellectuel, que le monde honore, mais trop orgueilleux pour se courber devant rien de plus haut et de plus grand que son intelligence, – trop convaincu de sa force intellectuelle pour plier le genou devant la vie spirituelle. L'Esprit, cependant, est au-dessus de l'intelligence, autant que l'intelligence est au-dessus des sens. La vie spirituelle est une vie supérieure à toutes et nous pouvons tous la pratiquer, car l'Esprit est au plus profond du coeur de chacun de nous, et nul ne peut nier sa présence en tout homme. Cultivez donc en vous le respect pour tout ce qui est noble, cultivez l'adoration, l'adoration pour tout ce qui est divin. Quand le corps et les sens viendront à vous manquer, quand le mental se brisera et n'aura plus rien à vous donner, alors l'Esprit éternel, qui est la vie de votre vie, l'Âme de votre âme, se fortifiera de plus en plus, parce que le corps et le mental auront péri ; alors il s'élèvera pour se retrouver lui-même. Que dis-je ! Il n'a pas besoin de s'élever, il est là-haut, déjà et toujours. Il se retrouvera devant les Pieds de son Seigneur là où n'existent ni illusion, ni séparation, [115] ni peine, là où tout est félicité. Car l'essence vraie de la Divinité est amour et joie et c'est là l'héritage de l'Esprit ; héritage plus grand que toutes les choses que peut donner le monde transitoire.

19 Disciple.

]]>
bon.christo@free.fr (Super User) LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893 Tue, 25 Jun 2019 06:16:40 +0000
III — LE SYMBOLISME http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1136-iii-le-symbolisme http://hierarchie.eu/la-construction-de-l-univers-yoga-symbolisme-par-annie-besant-1893/1136-iii-le-symbolisme III — LE SYMBOLISME


Le symbolisme peut être considéré comme la langue universelle des religions. Il faut entendre par là qu'en présentant certaines formes extérieures à des personnes versées dans cette langue on évoque aussitôt à leur esprit certaines idées déterminées ; de même que l'on peut avoir une langue idéographique lisible pour chaque individu dans son propre idiome ; de même que le nombre, qui en arithmétique représente une idée définie, diffère suivant le langage employé lorsqu'il est traduit en mots. Ainsi, à toutes les époques, les hommes qui ont étudié les religions ont eu un langage commun grâce auquel ils pouvaient communiquer entre eux quel que fût le pays ou la religion de celui qui voyait un symbole, il comprenait aussitôt le sens du signe que lui transmettaient ses frères Initiés, et ce signe était pour lui aussi clair que s'il avait été écrit dans sa propre langue.
Il ne peut y avoir de plus grande preuve de l'unité fondamentale des religions que l'identité de leurs symboles. Lorsque dans un temple indou, vous rencontrez les mêmes symboles que parmi les ruines les plus antiques de l'extrême Occident ; lorsque vous voyez dans les cathédrales et les [118] églises chrétiennes d'aujourd'hui les mêmes symboles que dans les ruines et les temples de l'Orient ; lorsqu'en Asie, en Amérique, en Europe et jusque dans les iles de l'Océan Pacifique vous retrouvez toujours les mêmes symbole, vous êtes obligés de reconnaitre que les peuples qui les employèrent possédaient les mêmes connaissances, les représentaient de la même manière, gardaient la même vérité et révéraient la même idée.
L'étude du symbolisme nous permet de puiser dans le passé les connaissances aujourd'hui perdues. Nous pouvons recueillir ainsi quelque grande vérité capable de renforcer notre pensée, et reconnaitre, sous le voile symbolique des anciennes Écritures, la vérité que nous avons reçue par une autre voie. Dans les livres anciens, écrits par de Grands Sages, de Divins Instructeurs, nous pouvons découvrir les secrets de la connaissance Spirituelle mis à l'abri des révolutions, des hasards de la vie, et mis à la portée de tout homme arrivé à un degré d'évolution spirituelle qui lui permette d'en profiter. Ce qui a ainsi traversé les âges d'obscurité peut reparaitre et illuminer le monde.
Le symbolisme nous est d'autant plus utile que nous sommes aujourd'hui dans le Kali-Yugà, cycle d'obscurité pendant lequel la spiritualité est à sa période la plus inférieure, période caractérisée par le triomphe des puissances de ténèbres et par l'obscurcissement dans l'homme de cette vue intérieure qui, à des époques plus fortunées, redeviendra l'intuition claire. [119]
À l'approche de ce cycle il devint nécessaire pour les Sages de conserver la vérité pour les générations futures, en la voilant sous des fables et des allégories qui furent considérées comme des mythes, et sous les formes extérieures des cérémonies en usage. Or de loin en loin apparait un être qui sait retrouver la vérité spirituelle cachée au fond de ces symboles et de ces cérémonies, qui en la faisant jaillir au grand jour, renforce la croyance humaine dans les réalités spirituelles, et affirme de nouveau, au milieu des ténèbres, la lumière d'une époque plus heureuse. Car le symbole n'aide pas seulement la vérité à franchir les âges, il est encore un témoin constant de l'existence de cette vérité. Il peut servir parfois à la voiler, mais parfois aussi à la dévoiler, à rétablir la foi de l'homme en elle. L'oeuvre spéciale accomplie aujourd'hui par la Société Théosophique est dirigée par les Divins Instructeurs qui créèrent les symboles et les confièrent aux différentes religions du monde. Il faut que de loin en loin, lorsque la vérité s'obscurcit et que la foi décline, un Instructeur vienne expliquer les symboles ; c'est ce qui se passe actuellement ; alors la clarté de l'explication s'impose, d'elle-même, à l'attention des hommes ; ils se rendent à l'évidence de la vérité extraite en quelque sorte de sa retraite profonde ; la croyance renait et la foi relève la tête, parce que le symbole une fois dévoilé, sa réalité éclate : les hommes reconnaissent la vérité anciennement cachée et se pénètrent de cette lumière nouvellement dévoilée. [120]
La valeur du symbolisme ne consiste pas seulement en ce qu'il conserve la vérité et la donne à ceux qui en sont dignes, mais aussi en ce qu'il imprime sur le monde la réalité Persistante de la vérité spirituelle. C'est pour ce motif que plusieurs d'entre nous attachent tant d'importance à la conservation des cérémonies lors même qu'elles ne sont pas comprises. Je sais qu'à l'esprit de certains cela semble être de la folie, de la superstition et même un obstacle au progrès. Ils ne se placent qu'au point de vue de l'obstacle et ne comprennent pas la valeur que représente ce soi-disant obstacle.
Voici par exemple un monument, témoignage d'un peuple de l'histoire ancienne ; l'on veut faire passer un chemin de fer au travers, prétendant qu'il est nécessaire que la voie aille directement de tel à tel autre point et qu'il vaut mieux enlever cet obstacle, afin d'économiser aux voyageurs les dix minutes qu'ils perdraient à le contourner. Mais ne serait-il pas préférable de sacrifier ces dix minutes, d'un temps que l'on gaspille si facilement, plutôt que de détruire un monument témoignant de faits qui, sans lui, disparaitraient de la mémoire humaine ? Il en est de même pour les cérémonies dont la signification est aujourd'hui perdue pour les hommes ordinaires, mais non pour les Sages, et qui retrouveront tout leur pouvoir lorsque la vérité qu'elle voile sera de nouveau révélée. Si les cérémonies de l'Indouisme avaient entièrement disparu de l'Inde, où pourrions-nous puiser des arguments pour affirmer de nouveau la vérité spirituelle au peuple indien ? Nos connaissances nous [121] permettent de justifier les anciens enseignements, d'autant plus facilement que les cérémonies et les symboles ont été mieux conservés ; mais sans eux il nous serait absolument impossible de toucher le coeur et l'esprit des foules.
Laissez-moi, à titre d'exemple, vous parler d'un symbole vraiment universel, car on le retrouve dans toutes les religions sous des formes très peu différentes. C'est le symbole si connu de la Croix, généralement rattaché aujourd'hui à une religion toute moderne, au point que vous-mêmes avez peut-être fini par le confondre avec elle. Cependant, c'est le plus ancien de tous les symboles et il nous vient des temps préhistoriques les plus lointains. À quelque profondeur que vous creusiez la terre, quelle que soit l'antiquité des ruines que vous veniez à découvrir, en Amérique, en Europe, en Asie et en Afrique, partout vous retrouverez la Croix. On l'a découverte en Europe au milieu des ruines de civilisations disparues, bien avant cette civilisation romaine qui a duré elle-même pendant des siècles avant de tomber en ruines.
Franchissons les millénaires écoulés, creusons plus profondément sous ces reliques de la décadence, jusque dans les ruines, plus anciennes encore d'une civilisation qui n'a laissé d'autre trace que ces témoignages profondément enfouis, nous y trouverons encore la Croix gravée sur de la poterie qui a survécu aux ossements mêmes de ceux qui l'ont fabriquée ; cette poterie, trouvée auprès de petits amas qui tombèrent en poussière dès que la tombe fut ouverte, portait gravé sur ses flancs [122] le symbole de la Croix ; sa place à côté du mort en indique clairement la signification sacrée. Remontez aussi loin qu'il vous plaira parmi les antiquités de l'Inde, le pays le plus ancien en ce qui concerne la cinquième Race – et partout vous rencontrerez ce symbole. Dans les écritures les plus anciennes, vous trouverez la Croix entourée du cercle, qui, dans les périodes récentes, représente l'horizon et dans les périodes plus anciennes représente Vishnou ou le Temps. Le cercle symbolise le temps sans limite et dans son sein la croix sur laquelle s'étendent tous les Dieux, tous les Rishis, les Soleils, les Etoiles, tout ce qui existe dans l'univers manifesté.
Remontez au-delà même de la cinquième Race, à ces époques dont personne, sauf les Initiés, n'a gardé le souvenir, vous trouverez çà et là des pierres gigantesques dont Eux seuls pourront vous expliquer le sens et sur ces rochers vous verrez encore la croix profondément gravée. Remontez toujours, jusqu'à la quatrième Race, engloutie par une terrible catastrophe, et dont il ne resta que la semence d'où devait sortir la cinquième, vous rencontrerez toujours le même symbole, aussi sacré pour l'une que pour l'autre.
Nous pouvons donc considérer la Croix comme un symbole universel, et nous ne devrions pas le laisser usurper par la dernière venue et la plus moderne des religions, comme s'il n'avait jamais appartenu qu'à elle seule. Ce symbole est souvent imprimé sur la poitrine des Initiés, il appartient aux mystères religieux les plus profonds et les [123] plus sacrés, et ne saurait être considéré comme la propriété particulière de la plus récente et la plus exotérique des croyances.
Voyons ce qu'est en somme la Croix. Dans les annales les plus anciennes on la trouve toujours entourée du cercle, mais plus tard, ce cercle disparut et la croix perdit alors sa plus sublime signification. C'est toujours dans l'Esprit qu'un symbole possède son sens le plus élevé ; de la sphère spirituelle il descend ensuite dans la manifestation et trouve une seconde explication dans les astres, qui sont les formes extérieures des grandes Intelligences par lesquelles se meut le Cosmos ; puis il tombe plus bas encore et arrive à l'homme ; alors il est dégradé dans son dernier sens phallique, pollué par la pensée impure que l'esprit de l'homme laisse tomber sur lui.
Dans sa première signification le cercle représente l'Existence sans limites qui en se manifestant se circonscrit elle-même. On nous enseigne qu'il y a d'abord un cercle de lumière entouré par des ténèbres sans limites et ce cercle est le commencement du Cosmos manifesté. Nous avons vu, en étudiant la lumière, qu'elle est en premier lieu sans forme, puis vient la forme, l'aspect visible de la manifestation ; et le cercle, dans son premier sens, représente cette manifestation, c'est-à-dire la limitation, le commencement des choses.
La Croix qui, dans la phase suivante, divise le cercle, est ce feu qui rayonnant du centre à la circonférence forme deux diamètres, produit la vie active dans le cercle de l'Univers et rend [124] possible l'évolution qui doit peu à peu procéder du centre. Le premier bras de la Croix est tracé, d'abord horizontalement dans les deux directions, du centre à la circonférence, par la lumière du Logos, cette Lumière du Logos que j'ai représentée comme une dualité, comme Feu et Eau, c'est-à-dire Esprit et Matière, sortant elle-même du Centre qui est le Logos non manifesté ; ce rayon s'avançant jusqu'à la circonférence divise d'abord le cercle en deux parties, puis en quatre. C'est cette ligne de lumière qui s'élançant du point central dans quatre directions trace la première Croix en manifestation, le symbole de la division entre l'Esprit et la Matière 20. Si nous allons plus loin, après avoir reconnu cette division en Esprit et Matière, nous voyons la génération du Cosmos symbolisée par la révolution de la Croix ; celle-ci n'est plus composée seulement de deux lignes droites, mais à chaque bras reste attachée une partie du cercle de la manifestation ; c'est alors la svastika antique, qui suggère non seulement l'idée de division mais aussi l'idée de révolution. Les bras repliés de la svastika impliquent l'idée du cercle aussi bien que celle de la Croix, non plus du cercle ferme et immuable, mais du cercle qui tourne et qui devient ainsi une force génératrice de vie.
Le symbole des aranis – les bâtons de feu – est étroitement lié au précédent ; C'est d'abord une [125] alvéole qui remplace le cercle, puis la tige verticale que fait mouvoir une corde horizontale formant ainsi une croix, et qui tournant rapidement dans l'alvéole engendre le feu sacré et donne naissance à Agni, le Dieu du Feu, l'image de cette vie grâce à laquelle seul l'Univers peut apparaitre. Vous avez donc non seulement le cercle, non seulement la tige verticale qui représente la moitié de la Croix, mais aussi la corde qui complète la Croix et engendre la révolution. C'est l'image complète du second Logos par la division duquel la manifestation ultérieure devient possible. Ensuite vient la chaleur produite par la révolution – sur laquelle j'ai déjà attiré votre attention comme étant le résultat de cette action du feu ; – lorsque le simple rayonnement de la lumière se change en feu alors nait le Dieu Feu, sans l'influence génératrice duquel aucune manifestation ne peut se produire.

20 L'étudiant habitué à la méditation pourra analyser le point et la ligne, la croix et la svastika, dans leur rapport avec les trois Logoï.

Vous pouvez poursuivre cette image de plus en plus loin, avec de légers changements de forme extérieure, partout vous y trouverez le symbole du Dieu manifesté, puissance essentiellement créatrice et productrice dans l'univers en son sens le plus élevé. Dans sa plus haute signification, cette image est celle de Dieu qui engendre le Cosmos ; au sens le plus inférieur elle représente l'organe de reproduction et donne trop souvent lieu à des formes dégradées du culte exotérique. Le matérialiste borné, s'attachant à cette signification impure, ne saisit que le sens phallique qui est le degré le plus bas de la descente dans la matière ; il en ignore [126] le sens le plus élevé qui commence avec le Logos lui-même lorsqu'il se manifeste dans le monde de la forme.
En cherchant ainsi la Croix nous la trouvons encore sur les sculptures anciennes, dans la main des dieux, avec des formes très peu différentes suivant le type adopté par les peuples dans leur religion. Nous voyons ici un autre avantage du langage symbolique, puisque la forme particulière assignée au symbole par la religion de chaque peuple nous permet de nous rendre compte du degré d'évolution auquel cette religion était parvenue. Prenons par exemple la religion égyptienne : la croix et le cercle y ont changé d'aspect. Nous n'y rencontrons plus cette croix inscrite dans le cercle du temps, avec ses deux bras égaux : elle est maintenant remplacée par la lettre T, et le cercle, devenu extérieur, repose sur le sommet du Tau, le cercle ne représente plus le Temps mais le principe féminin. Sur les fresques des pyramides, vous verrez placé dans la main des dieux ce symbole de la vie humaine ; quand vient l'instant où l'âme doit ressusciter la momie étendue et inerte, le dieu s'approche et touche ses lèvres avec cette Croix de Vie formée du Tau et du cercle. La momie retrouve son âme, le corps ressuscite, et une nouvelle vie lui devient possible.
Au lieu de nous adresser à la religion égyptienne des temps postérieurs, où ce symbole est déchu de sa haute signification, cherchons-le entre les mains de l'un des dieux indous, et nous lui trouverons un sens infiniment plus beau et plus [127] subtil. Prenons l'image de Shiva, Mahadéva, telle que nous la trouvons parfois dans les temples, représentant le grand Yoguî, le grand Ascète, qui, par la méditation, a consumé tout ce qui atteint à la nature inférieure et qui, après la disparition de tout le reste, a subsisté seulement comme Feu. Le Malta-Yoguî tient entre le pouce et les doigts, dans sa main levée, une corde qui affecte la forme d'un ovale et non pas d'un cercle ; cet ovale s'élève au-dessus de la main, et celle-ci forme l'image de la croix sur laquelle l'ovale est placé. Que peut être, dans la main du grand Yoguî, patron de tous les ascètes, le sens de ce symbole, qui dans la littérature moderne a été pris pour le symbole producteur, le symbole de la vie ? Le Yoguî ne s'est-il donc pas détourné de cette activité créatrice, lui qui est souvent représenté par le Koumâra-vierge, qui a refusé de créer et qui n'a rien de commun avec la manifestation physique ? Mais ce symbole a un sens plus élevé. L'ovale dans la main du grand ascète ne doit plus désormais rappeler à l'esprit versé dans le symbolisme le sens qu'on y a attaché récemment ; il représente le troisième oeil de l'Esprit, ouvert par Tapas (la méditation religieuse) dans le cerveau de l'ascète lorsqu'il a atteint un certain degré et que les forces inférieures sont dominées pour toujours. La main qui forme la croix est le symbole du crucifiement des passions de la nature inférieure, seul moyen grâce auquel le Yoguî puisse atteindre la vie spirituelle ; le Dieu qui est le Grand Yoguî a sa main levée dans cette position pour montrer que toute passion a été crucifiée et que [128] par ce crucifiement de la nature inférieure l'accès du plan supérieur est devenu possible.
La Croix fournit ainsi le moyen d'ouvrir la porte par laquelle peut jaillir la lumière de l'Esprit, puis vient le développement du troisième oeil, l'oeil de Shiva, terme familier à tout Indou, mais qui n'a peut-être pas toujours été parfaitement compris. Et comment ce troisième oeil s'est-il développé ? Rappelez-vous cette ancienne histoire : tandis que Shiva était en méditation, le dieu de l'amour essaya de lui décocher ses traits ; mais le front de Shiva s'ouvrit et du troisième oeil jaillit un rayon de lumière qui réduisit en cendres le tentateur. Car lorsque cet oeil est ouvert aucune passion inférieure ne peut plus approcher l'ascète. À l'avenir, chaque fois que vous entrerez dans le temple du grand Dieu et que vous le verrez sous les traits du Mayâ-Yoguî, regardez la corde et tâchez d'en comprendre le sens profond.
Vous pouvez faire un pas de plus et vous assimiler l'enseignement qu'il comporte ; c'est qu'il existe dans l'homme un pouvoir qui peut être tourné vers la vie inférieure pour créer de nouvelles formes ou vers la vie supérieure pour la faire évoluer spirituellement dans l'homme, mais qui ne peut être appliqué aux deux à la fois ; c'est pourquoi le célibat est nécessaire à l'ascète, car la chasteté seule permet de développer le troisième oeil. Par conséquent l'idée d'ascétisme impliqua toujours l'idée de pureté physique absolue. On peut diriger le courant de la vie en haut vers l'Esprit, et [129] en bas vers la matière, mais dans ce dernier cas on ne peut en même temps l'élever vers les énergies créatrices plus puissantes de la sphère spirituelle. Or lorsque Shiva élève la Croix et la corde qui symbolisent le développement du troisième oeil, cela signifie que la vie a été concentrée dans la tête, que le troisième oeil de l'ascète est ouvert et que cette concentration au pôle supérieur assure le triomphe de l'Esprit. La tendance à redescendre vers la Matière n'existe plus désormais ; la victoire de l'Esprit est achevée.
Cherchons maintenant le sens d'un autre symbole dans lequel la matière et l'Esprit sont représentés, non plus comme séparés, mais bien comme étant réunis. Il n'est plus question de la croix et de l'ovale, mais nous avons ici un double triangle entrelacé montrant que les deux principes sont inséparables et nous représentent l'univers manifesté par la réunion de l'esprit et de la matière dans toutes les possibilités de la vie phénoménale. Le triangle dont la pointe est en haut symbolise le feu ou l'esprit, celui dont la pointe est en bas représente l'eau ou la matière et l'union des deux est indissoluble, c'est-à-dire que la réunion de l'esprit et de la matière produit l'univers manifesté, et en réalité cette union persiste aussi longtemps que dure la manifestation.
On rencontre ce double triangle dans le symbole de deux des Divinités indoues, Shiva et Vishnou, considérées alors comme les deux aspects de l'Un. L'aspect supérieur est celui de Mahâdéva, qui est le Feu ; l'autre, se mouvant sur les eaux, [130] c'est Nârâyana qui est symbolisé par le triangle avec la pointe en bas ; c'est la Divinité évoluant la matière, rendant ainsi la manifestation phénoménale possible. C'est encore le symbole de la dualité dans lequel les deux Dieux sont représentés comme un dans leur essence, et deux seulement dans leur manifestation – feu et eau, positif et négatif, mâle et femelle. Ceci peut éclaircir les données un peu obscures des Écritures sur la relation profonde qui existe entre les deux grands Dieux de la Religion indoue.
À ce propos, vous pourriez aussi vous rappeler une histoire bien faite pour extirper toute animosité entre les sectes, relativement modernes, qui considèrent les noms des Dieux comme des sujets de division, au lieu d'y puiser des forces d'union. Un adorateur de Shiva nourrissait une haine amère contre un de ses voisins adorateur de Vishnou, et pratiquait son culte non pas dans un esprit sincèrement religieux, mais par esprit d'opposition contre celui qui servait un Dieu différent du sien. Or un jour qu'il se prosternait devant Mahâdéva, le coeur rempli de fiel contre le fidèle de Vishnou, voici que l'image qu'il avait devant lui changea d'aspect, et, se divisant en deux parties, présenta à ses regards étonnés d'un côté la forme de Mahâdéva et de l'autre celle de Vishnou, qui souriaient ensemble à leur adorateur. Si cette histoire était bien comprise aujourd'hui, nous ne verrions plus de lutte entre les sectes qui adorent un même Dieu sous différents aspects, et dont les partisans devraient se considérer comme [131] frères et bannir entre eux tout sujet d'animosité. C'est donc en étudiant les symboles que nous arrivons à découvrir en eux le Divin et à comprendre plus clairement ce qui est caché sous la forme extérieure.
Suivant toujours la même idée, j'arrive à un symbole plus concret, que je choisis tel à dessein, afin de le suivre dans son évolution et de vous montrer comment l'idée abstraite qui convient mieux à l'esprit hautement développé, émerge graduellement d'un symbole plus concret, nécessaire si l'on veut rendre la religion intelligible à ceux qui ne possèdent pas la connaissance. Permettez-moi ici de faire une digression ayant trait aux controverses qui déchirent l'Inde actuellement.
Il n'y a pas en Occident d'attaque plus commune contre l'Inde que ce reproche d'idolâtrie fait par des personnes qui, ayant voyagé dans ce pays, ont vu des idoles et des cérémonies consacrées à ces idoles, mais ne les ont jamais comprises et n'ont même jamais cherché à les comprendre en questionnant ceux qui les pratiquaient. Ne regardant que la forme extérieure à travers leurs préjugés et leurs sentiments, ces voyageurs, de retour chez eux, traitent les pauvres Indiens de païens adonnés à l'idolâtrie, auxquels il serait nécessaire d'enseigner une religion plus spirituelle, afin de les faire sortir de l'avilissement où sont plongés leur esprit et leur coeur. Or ce sujet de l'idolâtrie est très important, car il nous amène à cette question essentielle : doit-il ou ne doit-il pas y avoir des enseignements mis à la portée de [132] l'ignorance ? Comment une religion peut-elle guider les êtres les plus inférieurs et rester en même temps un objet de respect pour les intelligences les plus cultivées et les plus avides de connaissance ? Problème difficile à résoudre, car ce qui est bon pour l'ignorant ne convient nullement au philosophe ou au penseur hautement évolué. Le symbolisme qui aide le premier, arrête le second et si vous prétendez que la religion doit être la même pour tous, vous n'avez plus que deux alternatives : ou il faut la ravaler à la portée de l'intelligence la plus inférieure et du jugement le moins développé, qui autrement en seront exclus, ou bien le philosophe doit descendre lui-même au niveau du laboureur et de l'enfant, et ses aspirations les plus nobles n'auront pas de moyen d'expression plus large que celui de l'être le plus rudimentaire et le moins instruit.
D'un autre côté, si la religion doit servir à quelque chose, il faut nécessairement qu'elle présente des différences, en rapport avec le degré des intelligences auxquelles elle est destinée. Il faudrait donc une religion philosophique pour le philosophe et une enfantine pour l'enfant, non pas qu'en agissant ainsi vous vouliez abaisser la religion, mais afin que vous puissiez élever l'esprit enfant et le diriger vers l'évolution future qui pourra le conduire aux plus hauts sommets de la pensée religieuse.
En Occident on a adopté une méthode différente : on s'est efforcé de faire une religion "assez simple pour qu'un marchand des quatre saisons [133] puisse la comprendre". En Angleterre, les gens qui trainent des voitures dans les rues, pour vendre des légumes, sont considérés en général comme des gens d'intelligence et d'éducation inférieures, correspondant à vos hors-castes. J'ai entendu dire que la Théosophie ne pourrait jamais être utile parce qu'elle n'était pas à la portée des marchands des quatre saisons. Examinons donc ce que l'abaissement du côté intellectuel de la religion a produit sur la pensée religieuse en Europe, Il en est simplement résulté que les personnes intelligentes se sont détournées de la religion ; il y a eu divorce complet entre l'intelligence et la religion, parce que les plus grands esprits se refusaient à accepter plus longtemps une religion qui offensait leurs aspirations les plus élevées, dans laquelle ils ne pouvaient trouver aucun aliment pour leurs sentiments spirituels. Voilà ce qu'il en a couté pour avoir voulu rabaisser l'Idéal divin à la portée de l'esprit le plus ignorant.
Dans l'Inde on a choisi une autre méthode. On a reconnu que les intelligences humaines sont à des stades différents d'évolutions, d'où il résulte que ce qui est vrai pour le laboureur qui travaille ne l'est plus pour le brahmane qui médite. Tous les deux ont cependant des droits dans le monde religieux, car tous deux peuvent vouloir développer plus ou moins leur esprit ; il est donc nécessaire de fournir à chacun d'eux l'aliment qui convient à son progrès. On ne peut pas plus nourrir l'intelligence d'un enfant à l'aide de ce qui convient à un homme qu'on ne peut nourrir son corps [134] avec les aliments nécessaires à un homme fait.
C'est justement cette façon de voir qui est appelée idolâtrie : mais celle-ci n'a pour but que de conserver la spiritualité la plus élevée, au risque d'être mal jugée par ceux qui ne veulent pas pénétrer au-delà du signe extérieur de l'idole. Car l'idole a différentes significations selon l'esprit avec lequel la considère son fidèle. L'idole du paysan peut n'être qu'une forme élémentale devant laquelle il s'incline en lui offrant une goutte d'eau ou une fleur et en agitant une clochette. Pour le brahmane, le culte d'une telle divinité serait dégradant, et cependant elle représente pour ce paysan quelque chose qu'il peut connaitre et adorer ; c'est son acte d'adoration, son amour et sa foi qui en se développant lui ouvriront la voie de la vie spirituelle. Mais si on lui présentait la pensée abstraite du brahmane, il resterait bouche bée sans rien y comprendre et on ne réussirait pas même à faire naitre en lui les premières et les plus faibles vibrations de la vie spirituelle. Laissons-lui donc son idole, seule capable de lui inspirer un sentiment qui pour d'autres serait dégradant, afin que le premier frémissement de la vie spirituelle puisse germer en lui. Ce sentiment sera le commencement de son évolution spirituelle et le conduira, de vie en vie, vers une compréhension de plus en plus élevée de la Divinité, jusqu'au moment où l'Âme, qui a débuté par agiter une clochette devant un élémental, trouvera sa demeure aux pieds de Mahâdéva, et finira par se perdre dans le rayonnement qui s'en échappe sans cesse. [135]
Telles sont les possibilités que réserve l'évolution et que l'on reconnait lorsqu'on a enfin compris que l'Âme se développe à travers de nombreuses vies. Si après une seule existence l'éternité nous réservait ce qu'on appelle le Paradis, il serait nécessaire de tout accomplir à la hâte, car autrement l'Âme arrivant au Ciel se trouverait dans une position absolument incompréhensible Afin de démontrer que l'idolâtrie peut avoir son utilité, permettez-moi de prendre encore une image qui vous est familière : celle de Mahâdéva sur Nandi, son véhicule, le Taureau. Aux jours de fête dans la ville, cette image du Dieu est placée sur son véhicule et promenée à travers les rues. Vue par tant d'hommes à différents degrés d'évolution, elle suggère à chacun une idée différente. Cherchons d'abord les explications que l'on trouve à ce sujet dans le Chhândogyopanishad 21. On y parle de Brahman assis sur le Taureau, mais je préfère la forme plus familière de Mahâdéva sur Nandi. Que peut signifier ceci, au point de vue populaire ? Je cite simplement. Le ciel est symbolisé par le Dieu, et le fidèle théologien ne verra que l'image extérieure du ciel qui se recourbe au-dessus de sa tête, le symbole le plus réel à ses yeux de la grandeur et de l'immensité ; en effet, quel symbole plus expressif que le ciel, renfermant en son sein le soleil, la lune et les étoiles, pour suggérer à l'esprit limité l'idée d'infini, de la vie sans limites [136] qui remplit l'espace ? Si cet homme a été quelque peu instruit du sens des symboles, le Dieu représentera pour lui le ciel immense, et le Taureau sur lequel il est monté sera le symbole du monde ; les quatre pieds du Taureau qui ont chacun un nom spécial lui suggèreront l'idée de la manière dont l'Univers se meut. L'un des pieds sera Agni ou le Feu, le deuxième représentera Vayou ou le Dieu de l'Air, le Grand Souffle du Suprême ; le troisième pied sera le Soleil brillant qui éclaire le monde, et le quatrième représentera les divisions du ciel ou quartiers. Toutes ces choses sont donc suggérées à son esprit et si quelqu'un lui explique l'idée de la sollicitude infinie de la Divinité qui se penche sur le monde manifesté, le soleil, le feu, l'air et les divisions du ciel, ces pieds du Taureau, qui porte le Dieu, lui représenteront tout ce qui supporte et dirige la vie de l'Univers manifesté.

21 Ch. III, section XVIII, 1.

Quelqu'autre cherchera une explication plus subtile et la trouvera : c'est alors ce qu'on nomme le culte intellectuel. Le Dieu sera devenu l'intelligence dans l'homme ; monté sur le véhicule, il représentera l'intelligence qui habite dans le corps. Les pieds du Taureau ne perdront pas leur sens, car le premier sera la parole, le second le souffle, le troisième la vision, et le dernier l'entendement. D'après Sankarâchârya, de même que les quatre pieds du Taureau portent l'animal partout où il veut aller, ainsi l'intelligence atteint les objets par la parole, le souffle, la vision et l'entendement qui amènent le corps et en même temps l'âme en [137] contact avec l'univers matériel extérieur. Ainsi grâce aux pieds du Taureau, aux sens de l'homme, la connaissance que l'âme vient chercher dans la manifestation peut lui être fournie. Tel est le sens philosophique de l'idole qui traverse les rues ; elle vous rappelle l'incarnation de l'Âme.
Il existe encore un sens plus profond que vous ne trouverez pas clairement expliqué, mais que vous pouvez découvrir par vous-mêmes ou que vous reconnaitrez au moins lorsque je vous en donnerai l'explication. Supposons que Mahâdéva représente la Divinité elle-même, l'Esprit que nous cherchons, la manifestation la plus élevée ; appelez-le Brahman, Shiva ou Vishnou, donnez-lui le nom que vous voudrez, mais reconnaissez l'Un, le Tout, l'Indivisible symbolisé par ce nom et sous cette forme d'idole. Que deviendront alors les pieds du Taureau ? Ils représenteront les états de conscience par lesquels l'Âme peut s'élever jusqu'à son seigneur ; chaque pied, l'un après l'autre, suggèrera les états successifs par lesquels l'âme s'approche de plus en plus de l'Esprit universel, jusqu'à ce qu'elle se trouve enfin unie avec Lui. Le premier pied sera l'état de veille dans lequel l'Âme vit et se meut pendant le jour ; le second représentera l'état de Svapna dans lequel l'Âme a fait un second pas vers le Divin ; le troisième l'état de Sushupti où il est fait un pas de plus, et le dernier sera l'état Turîya d'où l'Âme entre enfin dans l'Unité avec Dieu. De sorte qu'à la seule vue du symbole la conception la plus élevée de la philosophie spirituelle se présente à votre [138] esprit. Moi-même qui m'exerce à maintenir mon esprit à ce point de vue élevé, je dois dire avec quelle intensité ce symbole a agi sur ma conscience : lorsque, passant dans le temple de Madura, je vis l'image sculptée du Taureau Sacré, je n'eus pas seulement devant les yeux un taureau sculpté, ce fut une voix me rappelant des enseignements jadis reçus à propos des états de conscience, un souvenir du sentier ardu qui se termine en Dieu.
Vous pouvez donc envisager ce qu'on appelle une idole au point de vue que vous voudrez, mais si vous ne possédez pas la vie spirituelle qui seule permet d'en trouver la signification réelle, vous n'avez pas le droit de railler l'idolâtrie, ni de la trouver vide parce qu'il y a le vide en Vous-même.
Vous pouvez encore prendre les Pourânas, remplis d'un symbolisme compliqué et difficile ; si vous désirez le comprendre, choisissez un de ces sujets, que vous trouverez développé dans la Doctrine Secrète de H.-P. Blavatsky ; la méthode employée pour expliquer et éclairer une seule allégorie vous fournira probablement la clef de bien d'autres mystères. Je ne choisirai qu'un exemple parmi les nombreuses histoires qu'elle a empruntées aux Pourânas. Celle sur laquelle je veux attirer votre attention, mais sans l'expliquer en détail, car vous pourrez la lire vous-même, est celle des Marouts 22, les Dieux du vent, les enfants de Roudra, le Hurleur, mot qui rappelle le bruit et la force du vent manifesté dans sa forme phénoménale. Cela représente [139] tout d'abord dans la Nature le fait que derrière chaque force il y a une intelligence, qu'à chaque phénomène correspond une entité, de telle sorte que dans le sens le plus simple, ces Marouts sont des entités en relation avec certaines formes de la manifestation dans l'univers phénoménal ; et si vous arrivez à les comprendre, eux, leur langage et leurs pouvoirs, les phénomènes qu'ils dirigent seront soumis à votre connaissance. Les Marouts ne sauraient être des objets d'adoration pour un esprit évolué ; aucun Rishi ne voudrait les adorer ; il les commande, car ce sont des puissances qu'il peut diriger par sa propre volonté ; ils n'en sont pas moins des entités réelles ; ils ont leur place marquée dans le Cosmos, parmi les Dévas, qui sont le côté esprit de tous les phénomènes visibles. Si vous perdez de vue cette vérité fondamentale de l'occultisme, si vous ne concevez que le phénomène physique à étudier mais non l'esprit qui le dirige, vous restez aveugles en présence des leçons de la nature, et la matière a remporté sur l'esprit son dernier triomphe, car non seulement elle dérobe l'esprit à la vision physique, mais elle cache même l'Esprit qui est dans l'homme.
Les Marouts sont donc, dans leur sens le plus inférieur, des entités en rapport avec le monde atmosphérique, en relation immédiate avec la production des Vents, et soumis à la volonté entrainée et purifiée de l'homme. Mais dans un autre sens on peut les considérer, non plus comme des entités du Cosmos, mais sous l'aspect des fils de Roudra, de ce Roudra qui est encore Shiva et encore le [140] Mahâ-Yoguî. Quel peut être le sens de ces enfants d'un Yoguî, de ces enfants d'un ascète vierge ? C'est qu'ils sont devenus les passions de sa nature, ils représentent les forces maitrisées par lui, et ce point de vue les transforme en ennemis de l'homme ; ces ennemis, d'abord en lutte avec l'ascète, ces passions enfantées jadis par sa nature inférieure, deviennent, à mesure que le symbolisme s'élève, les enfants de sa nature supérieure ; la volonté purifiée de l'ascète, où résident tous les pouvoirs, les a soumis et peut s'en servir pour agir dans l'univers extérieur. Puis vient le récit des efforts d'Indra pour les détruire : un enfant va naitre qui doit détruire Indra lui-même ; ici Indra, n'est plus que la manifestation inférieure de la nature, le dieu du ciel qui porte la foudre, le symbole du Cosmos manifesté et physique, un simple Marout ; il lance sa foudre contre l'enfant qui le menace, et divise l'embryon en sept, puis en sept fois sept morceaux. Un obstacle inférieur a arrêté le développement supérieur, a métamorphosé en formes viles les forces qui devaient s'épanouir en une volonté développée et purifiée.

22 Doctrine Secrète, II, 631, etc.

Et ainsi, pas à pas, en rapprochant tous les différents symboles que vous trouverez épars dans les Pourânas, cette conception des Marouts vous conduira à des suggestions instructives qui vous guideront dans la transmutation de vos forces inférieures en forces supérieures, dans la transformation de Kâma, le créateur physique, en ce désir qui dans l'Esprit est la source de tout progrès et de toute vie véritable. [141]
Je mentionne ce cas particulier parce que je suppose que le sujet attirera beaucoup d'entre vous, ou tout au moins que certains désireront l'étudier plus à fond. Or si vous voulez vous servir du grand Instructeur qui nous fut envoyé, si vous voulez vous servir d'HPB, et vous en servir comme il faut, c'est-à-dire en étudiant la connaissance qui lui fut donnée pour nous la transmettre, si vous voulez vous en servir comme d'un guide pour approfondir vos connaissances, vous verrez que vous pourrez rendre au monde un service d'une immense valeur. Vous êtes à même d'étudier vos propres Écritures dans leur forme originale, avec une exactitude de compréhension qu'elle ne possédait pas, et de les étudier en sanscrit, dans cette langue des Dieux qu'elle n'avait pas apprise ; vous pouvez, grâce à la lumière qu'elle a mise entre vos mains, découvrir plus d'un sens intérieur et plus d'un enseignement secret ; vous pouvez donner ces renseignements au monde et continuer ainsi le travail qu'elle était destinée à commencer et qu'elle ne devait pas finir. Car Ceux qui l'ont envoyée espéraient que, le mouvement une fois mis en train, de temps à autre il surgirait bien quelques Indous pour saisir la lumière qu'elle portait dans ses mains et pour la porter plus avant, pour faire jaillir de ces anciennes Écritures l'enseignement spirituel qui doit aider le monde. S'il se trouvait ici un seul homme qui se sentît poussé à étudier par lui-même, j'estimerais que la vie de HPB a porté ici son véritable fruit, car sa récompense ne serait réellement [142] acquise que si une impulsion de ce genre était donnée à la vie spirituelle du monde.
Je pourrais encore vous expliquer bien d'autres symboles et bien d'autres choses ; permettez-moi seulement de m'arrêter sur cet objet si simple ; la corde d'un Brâhmane. Que symbolise-t-elle ? Que représente-t-elle ? Elle représente la triple nature de l'homme ; la nature inférieure, la nature moyenne et la nature supérieure ; elle symbolise les trois plans de conscience, les trois conditions d'Atmâ, et de plus elle représente encore le corps, la parole et la pensée. Rappelez-vous toutes ces interprétations et songez à l'importance que devrait y attacher l'homme qui porte ce cordon. Le monde connait bien celui qui le porte, mais pour l'oeil entrainé ce symbole extérieur est sanctifié ou profané suivant qu'il représente une réalité ou un mensonge. D'abord il implique le contrôle du corps, de la parole et de la pensée ; lorsque la corde est nouée, cela signifie que son possesseur est devenu maitre de son corps, de sa parole et de son mental. Elle suggère, à celui qui la voit, l'idée d'un homme en parfaite possession de lui-même, d'un homme qui ne peut être trahi par son corps ni dominé par ses sens ; d'un homme dont la parole ne peut jamais souiller ni blesser l'oreille qui l'écoute, dont la parole mesurée n'est employée que pour exprimer quelque chose d'utile, jamais pour proférer un mot malveillant ; le Brâhmane est l'ami de tous les êtres, sa parole doit toujours aider, mais ne jamais faire de peine.
Cette corde ne symbolise pas seulement la maitrise [143] du corps et de la parole, mais aussi celle de la pensée ; elle indique que le mental est assujetti par le triple cordon et par ses noeuds, qu'il est à la disposition de ce qu'il y a de plus élevé en lui, et peut être employé au service de l'humanité. Car le Brâhmane ne s'appartient pas ; il vit pour les hommes et non pour lui-même. S'il vit pour lui-même, c'est qu'il n'est pas un vrai Brâhmane ; il peut posséder les signes extérieurs de sa caste, il peut porter le triple cordon, prononcer le nom sacré et même obéir aux règles de son ordre, mais tout cela n'est que l'enveloppe extérieure. Il n'est véritablement de la caste des Brâhmanes que s'il ne vit pas pour lui-même mais pour le monde, comme un vrai serviteur spirituel qu'il doit être sur terre. Il est sorti de la bouche de Brahmâ pour être la parole, l'expression de la vie divine parmi les hommes.
Telle est la mission du Brâhmane. Chaque fois que je vois la corde, je me demande si elle représente une réalité ou si elle n'est plus que le souvenir d'une coutume antique devenue le dernier des blasphèmes. Car la chute des choses élevées dans les choses inférieures est la pire des dégradations, c'est la corruption du monde, puisqu'elle empoisonne la vie spirituelle dans l'homme.
Ces paroles peuvent paraitre sévères, cependant elles sont conformes à l'esprit des anciennes Écritures, elles sont moins sévères que les paroles de Manou ou que les écrits du Mahâbhârata ; moins sévères encore que celles que l'on peut lire dans plus d'un Pourâna ; et si elles semblent aujourd'hui, [144] comme j'en ai conscience, une amère ironie, c'est parce que je parle au monde moderne le langage du monde ancien et que le contraste entre la théorie et la pratique est trop frappant.
Cependant puisque la théorie est vraie, je reconnais le fait ; je ne suis qu'une hors-caste parmi vous, et je n'élève aucune prétention ; je n'en ai aucune clans ma condition actuelle ; mais je reconnais officiellement cette caste qui devrait manifester la sainteté du Brâhmane. C'est pourquoi je dis que si l'Inde doit être régénérée, c'est par cette caste qui symbolise son passé et qui pour ce motif possède en elle la promesse de son avenir, quelle que soit sa condition actuelle. Aussi, lorsqu'on me demande d'indiquer des réformes, je réponds : "Laissez-moi vous servir par mes pensées, par mes conseils si vous voulez, mais que la direction reste entre les mains de la caste spirituelle qui a le droit de diriger, de façon que la réforme s'opère sans rien détruire et sans ébranler les bases mêmes sur lesquelles la vie future de ce peuple doit être édifiée."
En vous parlant ainsi, j'ai l'air de vous accuser injustement, car vous n'êtes pas personnellement responsables de la décadence de ce pays ; vous faites partie d'une grande nation dont vous avez partagé le déclin. Mais que puis-je vous dire, Brâhmanes, mes frères ? je devrais vous appeler mes pères, mais je ne le puis, car sur beaucoup de points j'en sais plus long que vous. Moi qui suis une hors-caste et qui devrais m'assoir à vos pieds comme une élève, cela m'est impossible, parce que [145] vous ne possédez pas le savoir qu'un élève a le droit de demander à l'instructeur devant lequel il s'incline.
J'en appelle pourtant à vous, membres de la caste spirituelle, pour que vous releviez cette caste et que vous reconnaissiez sa dégradation actuelle. Si je vous tiens ce langage qui semble être un contraste amer, c'est parce que dans vos mains repose l'avenir spirituel de ce peuple ; bien que toute la nation ait déchu et vous avec elle, cependant en vous réside encore le pouvoir qui doit vous conduire sur le sentier supérieur, et bien que le succès ne puisse résulter que du travail de plusieurs générations, il n'y a pas de raison pour que vous ne commenciez pas dès aujourd'hui. Je sais très bien que vous ne pouvez pas réussir en un jour. Je sais que votre cordon doit rester dérisoire et que plus votre âme aura de noblesse, plus en le portant, vous en ressentirez amèrement l'ironie, comprenant mieux combien est déchue l'idée qu'il représente.
Je ne vous dis pas cela comme un reproche ; quel droit pourrais-je avoir de vous faire des reproches ? Je le dis pour que de temps en temps le désir d'une vie plus haute puisse naitre en vous, car je voudrais faire pénétrer dans vos coeurs, comme un coup de foudre, l'amertume de la dégradation, afin que la pensée d'un relèvement possible puisse luire encore une fois aux yeux des hommes. Je voudrais que chacun de vous sente et reconnaisse cette dégradation, non point pour qu'il rejette la corde sacrée mais pour qu'il commence [146] à purifier sa vie, afin de justifier le droit de la porter ; le moindre commencement d'exécution, même dans les plus petites choses, constituerait le premier pas. Car des existences successives nous sont réservées ; membres d'une caste puissante, incapable aujourd'hui de suivre ses glorieuses traditions, vous avez devant vous de nombreuses vies.
C'est pourquoi je dis : prenons la coupe de notre Karma et portons-la avec courage, comme des êtres forts, sans nous plaindre de sa pesanteur, puisque c'est nous qui l'avons chargée dans le passé ; tout en reconnaissant qu'elle est amère, vidons-la, et que son amertume purifie notre âme, nous donne la force de changer tout ce que nous désirons et de nous changer nous-mêmes, afin de commencer la purification spirituelle du peuple.
Puis lorsque nous renaitrons, et nous renaitrons, promptement, si nous désirons aider le peuple auquel nous appartenons, nous trouverons alors une situation un peu meilleure, et dans cette vie plus heureuse nous pourrons travailler côte à côte ; le contraste qui existe entre le fait de porter la triple corde et sa signification aura disparu, et ainsi, de vie en vie, nous relèverons ce peuple qui est tombé dans notre chute et qui s'élèvera par notre élévation.
Tel est le dernier mot que je vous adresse ; ce n'est pas une parole de reproche, mais de commune tristesse et d'aspiration pour le bien de cette nation indoue. Nous en sommes responsables. [147] Commençons donc l'oeuvre de réforme, et, de génération en génération, nous travaillerons jusqu'à ce que l'Inde se relève peu à peu et reprenne la place qu'elle aurait toujours dû occuper – et qu'elle occupe toujours en vérité – aux pieds des
Grands Dieux. Bien que le monde ne puisse encore constater ce progrès, il s'en apercevra plus tard ; alors la lumière qui rayonne des Pieds de Lotus enveloppera l'Inde, et le monde l'honorera, comprenant qu'elle est en réalité l'Esprit dans le corps de l'humanité.


FIN DU LIVRE

]]>
bon.christo@free.fr (Super User) LA CONSTRUCTION DE L'UNIVERS — YOGA — SYMBOLISME Par Annie BESANT -1893 Tue, 25 Jun 2019 06:20:41 +0000