UNION

LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LE CHRISTIANISME ÉSOTÉRIQUE OU LES MYSTÈRES MINEURS Par Annie BESANT - 1903

CHAPITRE III — LE COTE CACHE DU CHRISTIANISME (Fin) – LE TÉMOIGNAGE DE L'ÉGLISE

CHAPITRE III

LE COTE CACHE DU CHRISTIANISME (Fin)

LE TÉMOIGNAGE DE L'ÉGLISE


Il se peut que certaines personnes soient disposées à reconnaitre aux Apôtres et à leurs successeurs immédiats une connaissance des questions spirituelles plus profonde que les notions répandues dans le public Chrétien de cette époque, mais bien peu, sans doute, consentiront à faire un pas de plus et, quittant le cercle enchanté, à voir dans les Mystères de l'Église Primitive le réceptacle de la science sacrée. Nous savons cependant que saint Paul veille à la transmission de l'enseignement oral ; il initie lui-même saint Timothée et lui recommande d'initier, à son tour, d'autres personnes qui transmettront elles-mêmes leur dépôt à d'autres. Les Écritures font donc mention de cette mesure de prévoyance qui s'étend à quatre générations successives ; or, celles-ci remplissent, et bien au-delà, la période précédant les premiers auteurs de l'Église Primitive, qui rendent témoignage à l'existence des Mystères. Parmi ces auteurs, en effet, il y a des élèves directs des Apôtres, [56] bien que les déclarations les plus explicites soient faites par les auteurs séparés des Apôtres par un instructeur intermédiaire. En abordant l'étude de la littérature Chrétienne des premiers siècles, nous nous trouvons immédiatement en présence d'allusions que l'existence des Mystères peut seule expliquer, puis de passages affirmant que les Mystères existent. Nous pouvions évidemment nous y attendre, étant donné le point où le Nouveau Testament a laissé la question, mais il est agréable de voir les prévisions corroborées par les faits.
Les premiers témoins sont ceux appelés les Pères Apostoliques, les disciples des Apôtres ; mais il reste fort peu de choses de leurs écrits ; encore ces fragments sont-ils discutés. Les déclarations de ces auteurs, n'ayant pas un caractère de controverse, ne sont pas aussi catégoriques que celles d'écrivains plus récents. Leurs lettres ont pour objet d'encourager les croyants. Polycarpe, évêque de Smyrne et disciple, en même temps qu'Ignace, de saint Jean 92, exprime l'espoir que ses correspondants sont "versés dans les Écritures Saintes et que rien ne reste caché pour eux. Quant à lui-même, ce privilège ne lui est pas encore accordé 93". Barnabas parle de communiquer "une certaine partie de ce qu'il a reçu lui-même 94", et déclare, après une exposition mystique de la Loi : "Nous donc, comprenant le vrai sens de Ses commandements, [57] nous les expliquons comme l'entendait le Seigneur 95." Ignace, évêque d'Antioche et disciple de saint Jean 96, dit de lui-même : "Je ne suis pas encore parfait en Jésus-Christ, car je commence seulement à être disciple et je vous parle comme à mes condisciples 97." Et il parle de ses correspondants comme ayant été "initiés dans les mystères de l'Évangile avec Paul, le saint, le martyr 98". Plus loin il dit encore : "Ne pourrais-je vous écrire des choses plus remplies de mystère ? Mais je crains de le faire, de peur de vous causer du mal, à vous qui n'êtes que des enfants en bas âge. Ne m'en veuillez donc point. Incapables de recevoir des communications de cette importance, elles pourraient vous étouffer. Car moi-même qui suis lié (pour Christ), qui suis capable de comprendre les choses du ciel, les hiérarchies angéliques, les différentes espèces d'anges et d'armées célestes, la différence entre les puissances et les dominations, les distinctions entre les trônes et les autorités, la force immense des éons, la prééminence des chérubins et des séraphins, la sublimité de l'Esprit, le Royaume du Seigneur et, par-dessus tout, l'incomparable majesté du Dieu Tout-Puissant, moi qui connais toutes ces choses, je n'en suis pas, pour cela parfait. Je ne suis pas un disciple comme Paul ou comme Pierre 99." Ce passage est intéressant, car il montre que l'organisation des hiérarchies célestes [58] était un des points communiqués dans les Mystères. Ignace parle encore du Grand Prêtre, de l'Hiérophante "qui a la garde du Lieu Très-Saint et à qui, seul, ont été confiés les secrets de Dieu 100".

92 Vol. I, Martyre d'Ignace, ch. III. – Les traductions employées sont celles de l'Ante-Nicene Library de Clarke, excellent précis d'Antiquité Chrétienne. Le numéro du volume indiqué en tête des références est celui du volume de cette collection.
93 Ibid., Épitre de Polycarpe, ch. XII.
94 Ibid., Épitre de Barnabas, ch. I.
95 Ibid., ch. X.
96 Ibid., Martyre d'Ignace, ch. I.
97 Ibid., Épitre d'Ignace aux Éphésiens, ch. III.
98 Épitre d'Ignace aux Éphésiens, ch. XII.
99 Ibid., aux Tralliens, ch. V.
100 Épitre aux Philadelphiens, ch. IX.

Nous arrivons ensuite à saint Clément d'Alexandrie et à son élève Origène, les deux auteurs des deuxième et troisième siècles qui nous en apprennent le plus sur les Mystères de l'Église primitive. L'atmosphère de l'époque est remplie d'allusions mystiques, mais ces deux Pères nous déclarent d'une manière nette et catégorique que les Mystères étaient une institution reconnue.
Or, saint Clément, disciple de Pantaenus, dit de son maitre et de deux autres, que l'on dit être Tatien et Théodote, qu'ils "conservent la tradition de la bienheureuse doctrine directement reçue des saints Apôtres Pierre, Jacques, Jean et Paul 101". Saint Clément n'était donc séparé des Apôtres que par un seul intermédiaire. Il dirigeait l'École de catéchèse, à Alexandrie, en 189 après Jésus-Christ, et mourut vers 220.
Origène, né vers 185 après Jésus-Christ, élève de saint Clément, était peut-être le plus savant des Pères de l'Église, et un homme doué de la beauté morale la plus rare. Tels sont les témoins les plus importants affirmant l'existence, dans l'Église Primitive, de véritables Mystères.
Les Stromata, ou mélanges, de saint Clément sont notre source d'information en ce qui concerne les [59] Mystères à son époque. Lui-même définit cet ouvrage comme une "réunion de notes Gnostiques, conformes à la vraie philosophie 102" ; il en parle aussi comme de sommaires des leçons qu'il avait reçues de Pantaenus. Le passage est instructif. "Le Seigneur… nous a permis de communiquer de ces Mystères divins et de cette sainte lumière à ceux capables de les recevoir. Il n'a certes pas révélé à la masse ce qui n'appartenait pas à la masse ; mais Il a révélé les Mystères à une minorité à laquelle Il savait qu'ils appartenaient, minorité capable de les recevoir et de s'y conformer. Les choses secrètes se confient oralement et non par écrit, et Dieu fait de même. Et si l'on vient me dire 103 : Il n'y a rien de secret qui ne doive être révélé ni rien de caché qui ne doive être dévoilé, je répondrai, moi, qu'à celui qui écoute en secret les choses secrètes, elles-mêmes, seront manifestées. Voilà ce que prédisait cet oracle. Á l'homme capable d'observer secrètement ce qui lui est confié, ce qui est voilé sera montré comme vérité ; ce qui est caché à la masse sera manifesté à la minorité… Les Mystères sont divulgués sous une forme mystique, afin que la transmission orale soit possible ; mais cette transmission sera faite moins par les mots que par leur sens caché… Les notes que voici sont bien faibles, je le sais, comparées à cet esprit plein de grâce que j'ai eu le privilège de recevoir. Du moins serviront-elles d'image qui rappellera l'archétype à [60] l'homme que le Thyrse a frappé 104." Le Thyrse, soit dit en passant, était la baguette tenue par les Initiés et dont ils touchaient les candidats pendant la cérémonie de l'Initiation. Il offrait un sens mystique et symbolisait, dans les Mystères Mineurs, la moelle épinière et la glande pinéale, et, dans les Grands Mystères, une Verge que connaissent les Occultistes. "Celui que le Thyrse a frappé" signifie donc, en d'autres termes, l'homme initié aux Mystères.

101 Vol. IV, CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromata, 1. I, ch. I.
102 Vol. IV, Stromata, 1. I, ch. XXVIII.
103 Il semble qu'à cette époque déjà il y eut des personnes trouvant mauvais qu'on n'enseignât secrètement aucune vérité !

"Nous n'avons pas la prétention, continue Clément, d'expliquer suffisamment les choses secrètes, loin de là, mais seulement de les rappeler à la mémoire, soit que quelques-unes nous aient échappé, soit dans le but de ne pas les oublier. Bien des choses, je le sais fort bien, nous ont, à la longue, échappé sans avoir été jamais rapportées par écrit… Il y a donc des choses dont nous n'avons pas conservé le souvenir, car la puissance des bienheureux était grande." Les disciples des Grands Êtres en font souvent l'expérience, car la présence du Maitre stimule et appelle à l'activité des facultés normalement encore latentes et que l'élève ne saurait, seul, mettre en jeu. "Certains points qui restèrent longtemps sans être notés par écrit nous ont maintenant échappé ; d'autres ont disparu, l'intelligence en ayant perdu la trace, car les personnes sans expérience ne peuvent facilement les retenir ; ces points, je les mets en lumière dans mes commentaires. J'omets intentionnellement certaines choses, exerçant en cela une sage sélection et craignant [61] de confier à l'écriture ce que je craignais d'exprimer de vive voix. Je n'agis point par jalousie, ce serait mal, mais je crains de voir mes lecteurs les interpréter d'une manière inexacte et trébucher ; suivant le proverbe, ce serait donner une épée à un enfant. Car il est impossible que les matières traitées par écrit ne s'échappent point (ne soient pas divulguées) : même si je ne les publie point personnellement. Mais, alors même qu'elles sont dans le domaine public (l'écriture étant toujours le mode de transmission employé), elles donnent au chercheur qui les interroge des réponses plus profondes que les mots écrits. Elles exigent, en effet, l'aide de quelqu'un, soit de l'auteur, soit d'une personne ayant suivi ses pas. J'indiquerai certains points d'une manière voilée ; j'insisterai sur d'autres ; d'autres enfin ne seront que mentionnés. Je m'efforcerai de parler imperceptiblement, de montrer secrètement et de procéder par démonstration silencieuse 105."

104 Stromata, 1. I, 13.
105 Stromata, 1. I, ch. I.

Ce passage suffirait, à lui seul, pour établir l'existence, dans la Primitive Église, d'un enseignement secret. Mais il y en a bien d'autres. Dans le XIIe chapitre de ce même livre Ier, intitulé les Mystères de la Foi qui ne doivent pas être communiqués à tous, Clément déclare que, son travail pouvant tomber sous les yeux de personnes dénuées de sagesse, "il est nécessaire de jeter le voile du Mystère sur les enseignements oraux donnés par le Fils de Dieu". Á celui qui parle, il fallait des lèvres pures, à celui qui écoute, un coeur attentif et pur. "Voilà pourquoi il m'était [62] difficile d'écrire. Aujourd'hui même, je crains, comme il est dit, de jeter les perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et que, se tournant, ils ne nous déchirent. Car il est difficile de parler de la vraie lumière, en termes absolument clairs et transparents, à des auditeurs d'une nature porcine et indisciplinée. Rien au monde ne semble plus ridicule à la multitude, mais en même temps, rien de plus admirable ni de plus inspirateur pour les âmes nobles. Les sages n'ouvrent point la bouche sur ce qui est dit dans leur assemblée. Mais le Seigneur a commandé de proclamer sur les maisons ce qui avait été dit à l'oreille, prescrivant à ses disciples de recevoir les traditions secrètes de la vraie sagesse, puis de les interpréter hautement et ouvertement. Nous devons donc transmettre aux personnes qui en sont dignes ce qui nous a été dit à l'oreille, sans pourtant communiquer à tout venant le sens des paraboles. On ne trouvera dans ces notes qu'une esquisse ; les vérités y sont clairsemées, afin qu'elles échappent à ceux qui ramassent les semences comme des corneilles ; les semences trouvent-elles un bon cultivateur, chacune germera et produira du blé."
Clément aurait pu ajouter que proclamer du haut des maisons signifiait proclamer ou interpréter dans l'assemblée des Parfaits ou initiés et, en aucune façon, de crier la vérité aux passants.
Il dit ailleurs : "Les personnes encore aveugles et sourdes, qui ne possèdent ni l'entendement ni la vue nette et pénétrante, facultés de l'âme contemplative… ne sauraient faire partie du coeur divin… C'est pourquoi, [63] fidèles à la méthode secrète, les Égyptiens nommaient adyta et les Hébreux le lieu voilé la Parole véritablement sacrée, véritablement divine et très nécessaire aux hommes, déposée dans le sanctuaire de la vérité. Seules, les personnes consacrées… y avaient accès. Platon lui-même trouvait qu'il n'était pas légitime que les impurs touchassent les purs. Les prophéties et les oracles étaient donc prononcés sous une forme énigmatique. Quant aux Mystères, ils n'étaient pas dévoilés d'emblée à tout venant, mais seulement après certaines purifications et un enseignement préparatoire."
Clément s'étend ensuite longuement sur les Symboles, Pythagoriciens, Hébreux, Égyptiens et fait observer que les personnes ignorantes et sans instruction sont incapables d'en saisir le sens. "Mais le Gnostique comprend. Il ne convient donc pas que tout soit indistinctement montré à tous, ni que les bienfaits de la sagesse soient accordés à des hommes dont l'âme n'a jamais, même en rêve, été purifiée (car il n'est pas permis de livrer au premier venu ce qui fut acquis au prix de si laborieux efforts) ; les Mystères de la parole ne doivent pas davantage être expliqués aux profanes." Les Pythagoriciens possédaient, comme Platon, Zénon et Aristote, des enseignements exotériques et des enseignements ésotériques. Les philosophes instituèrent les Mystères, car, "n'était-il pas préférable, pour la sainte et bienheureuse contemplation des choses réelles, qu'elle fût cachée 106 ?" Les Apôtres, eux aussi, approuvaient [64] que "les mystères de la foi fussent voilés", car il existait "des enseignements pour les parfaits". Nous trouvons des allusions à ceci dans l'Épitre aux Colossiens, chapitre I, 9-11 et 25-27.
"Il y a donc, d'une part, les Mystères qui étaient restés cachés jusqu'au temps des Apôtres et leur furent confiés tels que le Seigneur les leur donna et que, dissimulés dans l'Ancien Testament, ils furent manifestés aux saints, et, d'autre part, la richesse de ce glorieux mystère parmi les païens, c'est-à-dire la foi et l'espoir en Christ, appelés ailleurs le fondement."
Clément cite saint Paul pour montrer que cette "connaissance n'appartient pas à tous", et dit, en se reportant à l'Épitre aux Hébreux, chapitres V et VI, qu' "il existait certainement parmi les Juifs des enseignements oraux" ; il cite ensuite ces mots de saint Barnabé : Dieu a mis en nos coeurs la sagesse et la faculté de comprendre Ses secrets ; et ajoute : "Peu d'hommes sont à même de comprendre ces choses, où subsistent des traces de la tradition Gnostique." – "C'est pourquoi l'instruction qui révèle les choses cachées s'appelle illumination, car l'instructeur seul soulève le toit de l'arche 107."
Plus loin, Clément, revenant à saint Paul, commente ces paroles adressées aux Romains : Je sais qu'en me rendant auprès de vous, j'y viendrai avec une pleine bénédiction de Christ 108, et dit que l'Apôtre entend par là "le don spirituel et l'interprétation Gnostique", [65] et qu'il voulait, étant présent, communiquer aux Romains la plénitude du Christ, conformément à la révélation du Mystère resté scellé à travers les âges de l'Éternité, mais aujourd'hui manifesté dans les Écrits prophétiques 109.
…Mais à quelques-uns seulement sont montrées, telles qu'elles sont, les choses contenues dans les Mystères. C'est donc avec raison que Platon, parlant de Dieu, dit : "Il nous faut parler en énigmes ; car si quelques feuilles de nos tablettes venaient à s'égarer, sur terre ou sur mer, leur lecture n'apprendrait rien 110."
Après s'être étendu considérablement sur certains écrivains Grecs et avoir passé en revue la philosophie, saint Clément déclare que la Gnose "communiquée et révélée par le Fils de Dieu, est la sagesse… Or la Gnose, elle-même est un dépôt qui est parvenu par transmission à quelques hommes ; elle avait été communiquée oralement par les Apôtres 111". Saint Clément décrit très longuement la vie du Gnostique, de l'Initié, et dit en terminant : "Que l'exemple ici donné suffise à qui sait entendre. Car il n'est pas désirable de voiler le mystère, mais seulement de donner, à ceux qui savent, des indications suffisantes pour le leur rappeler 112."

106 Stromata, ch. IX.
107 Stromata, 1. V, ch. X.
108 Rom., XV, 20.
109 Ibid., XVI, 25, 26 ; la version citée diffère, dans les termes, de la version autorisée Anglicane, mais le sens est le même.
110 Stromata, 1. V, ch. X.
111 Ibid., 1. VI, ch. VII.

Regardant l'Écriture comme composée d'allégories et de symboles où se dissimule le sens, afin d'encourager [66] l'esprit d'examen et de préserver les ignorants de certains dangers 113, saint Clément réserve naturellement aux personnes instruites les leçons supérieures. "Notre Gnostique, dit-il, sera profondément instruit 114" ; et ailleurs : "Or, le Gnostique doit être érudit 115." "Les dispositions acquises par un entrainement préparatoire permettent d'assimiler les connaissances plus avancées." "Un homme peut assurément posséder la foi sans avoir rien appris ; mais, nous l'affirmons, il est impossible pour un homme sans instruction de comprendre les choses déclarées dans la foi 116."
"Certaines personnes, se croyant douées d'une manière spéciale, ne veulent s'occuper ni de philosophie, ni de logique. Que dis-je ! Elles ne veulent pas apprendre les sciences naturelles. Elles demandent la foi et rien de plus… J'appelle véritablement instruit l'homme qui découvre en toutes choses la vérité, si bien que, empruntant à la géométrie, à la musique, à la grammaire et à la philosophie les éléments qui lui conviennent, il protège la foi contre les attaques… Combien il est nécessaire à l'homme qui doit participer à la puissance divine, de traiter par la méthode philosophique des sujets intellectuels 117 !" "Le Gnostique emploie les différentes branches de la science comme exercices préparatoires auxiliaires 118." Tant saint Clément était éloigné [67] de penser que l'ignorance des illettrés devait donner la mesure des enseignements Chrétiens ! "L'homme familiarisé avec tous les genres de sagesse sera le Gnostique par excellence 119." Ainsi, tout en accueillant les ignorants et les pécheurs, et en trouvant pour eux, dans l'Évangile, ce qui convenait à leurs besoins, Clément ne regardait comme candidats dignes des Mystères que les personnes instruites et pures. "L'Apôtre, distinguant la foi ordinaire de la perfection Gnostique, appelle la première la fondation et parfois le lait 120" ; mais sur cette fondation devait s'élever l'édifice de la Gnose, et la nourriture de l'homme devait remplacer celle de l'enfant. Aucune rudesse, rien de méprisant dans la distinction établie par Clément, mais seulement une constatation faite, avec calme, par un esprit éclairé.

112 Ibid., 1. VII, ch. XIV.
113 Stromata, 1. VI ch. XV.
114 Ibid., 1. VI, ch. X.
115 Ibid., 1. VI, ch. VII.
116 Ibid., ch. I.
117 Stromata, ch. IX.
118 Ibid., 1. VI, ch. X.
119 Ibid., 1. VI, ch. XIII.

Malgré toute la préparation du candidat, malgré l'instruction et l'entrainement du disciple, il n'est possible d'avancer que pas à pas dans les vérités transcendantes révélées dans les Mystères ; Clément le donne nettement à entendre dans son commentaire de la vision d'Hermas ; ici encore il indique, à mots couverts, certaines méthodes à suivre pour la lecture des ouvrages occultes. "La Puissance apparue dans la Vision, à Hermas, sous l'apparence de l'Église, ne lui a-t-Elle pas Elle-même donné à transcrire le livre qu'Elle désirait faire connaitre aux élus ? Or, ce livre, Hermas nous dit qu'il le transcrivit littéralement sans parvenir à compléter les syllabes. Il faut [68] entendre par là que l'Écriture ne présente d'obscurité pour personne quand elle est prise dans son sens le plus simple et que cette foi représente l'instruction rudimentaire. D'où aussi l'emploi de cette expression figurée : lire suivant la lettre. Enfin, nous comprenons que l'élucidation Gnostique des Écritures, quand le développement de la foi est déjà considérable, est ici comparée à une lecture suivant les syllabes… Grâce à l'enseignement donné par le Sauveur aux Apôtres, l'interprétation orale des textes sacrés a été transmise jusqu'à nous et gravée, par la puissance de Dieu, sur des coeurs nouveaux, conformément à la rénovation du livre. Voilà pourquoi les Grecs les plus éminents consacrent la grenade à Hermès, qui, disent-ils, représente la parole (les mots ayant besoin d'interprétation). Car la parole dissimule bien des choses… L'histoire de Moïse nous enseigne que cette difficulté d'atteindre la vérité n'existe pas seulement pour ceux qui lisent superficiellement, mais que la grâce de contempler cette vérité n'est pas accordée d'emblée, même aux hommes dont la prérogative est de la connaitre. Le jour où nous serons accoutumés à contempler, comme les Hébreux, la gloire de Moïse, et comme les prophètes d'Israël les visions angéliques, nous deviendrons, nous aussi, capables de regarder en face les splendeurs de la vérité 121."
Nous pourrions citer d'autres textes, mais ce qui précède suffira pour établir que saint Clément connaissait l'existence de Mystères dans l'Église, qu'il y avait [69] été admis, enfin qu'il écrivait pour ceux qui y avaient été initiés avec lui.

120 Vol. XII. Ibid., 1. V, ch. IV.
121 Stromata, 1. VI, ch. XV.

Son disciple Origène vient, à son tour, nous apporter son témoignage. Origène, dont l'érudition, le courage, la sainteté, la dévotion, l'humilité, l'ardeur, illuminent le siècle, et dont les ouvrages subsistent, semblables à des mines d'or où le chercheur peut découvrir les trésors de la sagesse.
Dans sa fameuse dispute contre Celse, le Christianisme eut à subir des attaques qui provoquèrent, de la part d'Origène, une défense des principes chrétiens ; il y fait souvent mention des enseignements secrets 122. Celse ayant attaqué le Christianisme, en alléguant que c'était un système secret, Origène s'élève contre cette opinion et déclare que, si certaines doctrines étaient secrètes, bien d'autres étaient publiques et que ce système d'enseignements exotériques et ésotériques adopté par les Chrétiens était répandu de même parmi les philosophes. On remarquera, dans le passage qui suit, la distinction établie entre la résurrection de Jésus envisagée au point de vue historique et le "mystère de la résurrection".
"D'ailleurs, Celse appelant souvent la doctrine chrétienne un système secret, nous devons, ici encore, le réfuter ; car, enfin, le monde entier, ou peu s'en faut, est plus au courant des doctrines prêchées par les chrétiens que des opinions favorites des philosophes ! Qui ne sait que Jésus est né d'une vierge ; qu'Il a été crucifié, que Sa résurrection est un article de [70] foi pour beaucoup de personnes et qu'un jugement général est annoncé, qui punira les méchants comme ils le méritent et récompensera les justes ? Et pourtant le Mystère de la résurrection, étant mal compris, est tourné en ridicule par ceux qui ne croient point. Dans ces conditions, il est complètement absurde d'appeler la doctrine chrétienne un système secret. Si, d'autre part, certaines doctrines cachées à la masse sont révélées après l'enseignement des doctrines exotériques, ce n'est pas là un fait particulier au Christianisme, car il se retrouve dans les systèmes philosophiques, dont certaines vérités sont exotériques et d'autres ésotériques. Parmi les auditeurs de Pythagore, les uns se contentaient de ses affirmations, tandis que d'autres étaient secrètement instruits dans les doctrines qui n'étaient pas jugées communicables à des oreilles profanes et insuffisamment préparées. D'ailleurs, si les nombreux Mystères, partout célébrés en Grèce et dans les contrées barbares, sont tenus secrets, ils n'en sont pas pour cela discrédités. Celse s'efforce donc inutilement de calomnier les doctrines secrètes du Christianisme, puisqu'il ne se fait pas une idée exacte de sa nature 123."
Dans ce passage, il est impossible de le nier, Origène place nettement les Mystères Chrétiens dans la même catégorie que ceux du monde Païen et demande qu'une manière d'agir non reprochée à d'autres religions ne devienne pas un sujet d'attaques quand sa présence est constatée dans le Christianisme. [71]
Origène déclare, s'opposant toujours aux idées de Celse, que l'Église conserve les enseignements secrets de Jésus ; il invoque en termes précis les explications données par Jésus à Ses disciples, dans Ses paraboles, pour répondre à la comparaison établie par Celse entre les Mystères intérieurs de l'Église de Dieu et le culte des animaux pratiqué en Égypte. "Je n'ai pas encore parlé de l'observance de tout ce qui est écrit dans les Évangiles, car chacun d'eux contient de nombreuses doctrines difficiles à comprendre, non seulement pour la masse, mais aussi pour certains esprits plus intelligents, par exemple une explication très profonde des paraboles adressées par Jésus à ceux du dehors, paraboles dont il réservait l'interprétation complète aux hommes qui avaient dépassé le stade de l'enseignement exotérique et qui venaient vers lui en particulier, dans la maison. Quand le lecteur aura compris cela, il admirera la raison qui a fait dire des uns qu'ils sont au dehors, des autres, qu'ils sont dans la maison."
Origène fait ensuite, à mots couverts, une allusion à la "montagne" gravie par Jésus, montagne dont Il redescendit pour aider "ceux qui ne pouvaient Le suivre là où L'accompagnaient Ses disciples 124". Cette allusion se rapporte à "la Montagne de l'initiation", expression mystique bien connue. Moïse, de même, fit le tabernacle selon la forme qui lui avait été montrée sur la montagne 125. Plus loin, Origène y revient à nouveau, disant que "Jésus se montra sur [72] "la Montagne" très différent de ce qu'Il paraissait être à ceux qui ne pouvaient Le suivre aussi haut 126."

122 Le livre du Contre Celse se trouve dans le vol. X de l'Ante-Nicene Library. Les autres livres se trouvent dans le vol. XXIII.
123 Vol. X, Origène contre Celse, 1. I, ch. VII.
124 Origène contre Celse, I. III, ch. XXI.
125 Ex., XXV, 40 ; XXVI, 30. Cf. Héb., VIII, 5, et IX, 23.

Dans son commentaire du chapitre XV de l'Évangile selon saint Matthieu, Origène dit encore, à propos de l'épisode de la femme Syro-Phénicienne : "Peut-être certaines paroles de Jésus sont-elles des pains qu'il est possible de donner exclusivement, comme à des enfants, aux personnes les plus développées ; d'autres sont, en quelque sorte, les miettes qui viennent du palais et de la table des grands, miettes que certaines âmes viendront, comme des chiens, ramasser."
Celse ayant trouvé mauvais que des pécheurs fussent admis dans l'Église, Origène lui répond que l'Église a des remèdes pour les malades, mais aussi, pour les âmes bien portantes, l'étude et la connaissance des choses divines. On apprend aux pécheurs à ne plus pécher ; puis quand ils ont fait des progrès et qu'ils ont été "purifiés par la Parole", "alors seulement nous les invitons à participer à nos Mystères. Car nous parlons de la sagesse parmi ceux qui sont parfaits 127". Les pécheurs viennent demander leur guérison : "Car il y a, dans la divinité de la Parole, des ressources, pour ceux qui sont malades… D'autres, encore, dévoilent aux hommes purs de corps et d'âme la révélation du mystère qui était resté caché depuis le commencement du monde, mais qui aujourd'hui est manifesté par les écrits des prophètes et par [73] l'apparition de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette apparition se manifeste à tout homme parfait et illumine la raison, dans la connaissance véritable des choses 128." Des apparitions semblables se produisaient, comme nous l'avons constaté, dans les Mystères Païens ; les Mystères de l'Église étaient également visités par des Présences glorieuses. "Dieu le Verbe, dit Origène, fut envoyé aux pécheurs comme un médecin, mais, à ceux qui sont déjà purs et ne pèchent plus 129" comme un Maitre des divins Mystères. "La sagesse n'entrera point dans l'âme d'un homme vil et n'habitera point dans un corps esclave du péché." Voilà pourquoi ces enseignements supérieurs sont exclusivement donnés à ceux qui sont "des athlètes dans la piété comme dans toutes les vertus".

126 Origène contre Celse, 1. IV, ch. XVI.
127 Origène contre Celse, 1. III, ch. LIX.
128 Ibid., ch. LXI.
129 Ibid., ch. LXII.

Les Chrétiens ne communiquaient pas ces connaissances aux impurs, mais disaient : "Un homme a-t-il des mains pures, élève-t-il, par conséquent, vers Dieu des mains saintes… qu'il vienne à nous… Un homme est-il pur, non seulement de toute souillure, mais encore de transgressions considérées comme moins graves, qu'il se fasse hardiment initier aux Mystères de Jésus que seuls, doivent connaitre les saints et les purs." C'est encore pourquoi, avant le commencement de la cérémonie d'Initiation, le personnage remplissant les fonctions d'Initiateur, suivant les préceptes de Jésus l'Hiérophante, adressait ces paroles significatives à ceux dont le coeur a été purifié : [74] "Que l'homme dont l'âme n'a, depuis longtemps, été consciente d'aucun mal, en particulier depuis qu'il s'est soumis à l'action curative de la Parole, que cet homme reçoive les doctrines communiquées, en secret, par Jésus à Ses vrais disciples." Ainsi commençait "l'Initiation aux Mystères sacrés, des hommes déjà purifiés 130". Ceux-là seuls pouvaient apprendre à connaitre les réalités des mondes invisibles, seuls ils pouvaient pénétrer dans l'enceinte sacrée où, comme autrefois, les anges venaient enseigner et où les leçons se donnaient par la vue directe et non pas seulement par la parole. Il est impossible de ne pas être frappé de la différence entre le ton de ces Chrétiens d'autrefois et celui de leurs successeurs modernes. Pour les premiers, une vie parfaitement pure, la pratique des vertus, l'accomplissement de la Loi Divine, dans tous les détails de la conduite extérieure, la justice irréprochable, n'étaient, comme pour les païens d'ailleurs, que le commencement du chemin, au lieu d'en marquer le terme. Aujourd'hui la religion est considérée comme ayant glorieusement atteint son but, quand elle a fait un Saint ; jadis elle soumettait les Saints à ses énergies suprêmes et, prenant par la main les hommes au coeur pur, les menait jusqu'à la vision béatifique.
Origène fait encore mention de l'enseignement secret quand il discute les arguments de Celse concernant l'opportunité de conserver les coutumes des ancêtres basées sur cette croyance que "les différentes régions terrestres ont été, dès le commencement, [75] assignées en partage à différents Esprits directeurs et distribuées ainsi entre certaines Puissances gouvernantes, mode suivant lequel procède l'administration du monde 131".
Origène critique les déductions de Celse, puis il ajoute : "Mais, jugeant probable que certaines personnes habituées à pousser plus avant leurs recherches partageront les idées de ce traité, nous oserons donner quelques aperçus d'un caractère plus profond, renfermant des vues mystiques et secrètes concernant le partage primitif des différentes régions terrestres, dont quelques-unes d'ailleurs sont mentionnées dans l'histoire Grecque elle-même". Origène cite ensuite le Deutéronome, XXXII, 8-9 : Quand le Souverain partagea les nations, quand il dispersa les fils d'Adam, il établit les bornes du peuple suivant le nombre des fils d'Israël, mais la portion du Seigneur fut son peuple, Jacob et Israël la corde de son héritage. Les termes sont ceux de la version des Septante et non ceux de la version autorisée Anglicane, mais ils semblent bien indiquer que le nom de "Seigneur" n'était donné qu'à l'Ange Souverain des Juifs et non pas au "Très-Haut", c'est-à-dire à Dieu. L'ignorance a fait perdre de vue cette distinction ; d'où l'inexactitude de maint passage se rapportant au "Seigneur", quand il est appliqué au "Très-Haut". Nous citerons, comme exemple, Juges, I, 19.

130 Origène contre Celse, ch. LX.
131 Vol. XXIII, Origène contre Celse, 1. V, ch. XXV.

Origène raconte alors l'histoire de la Tour de Babel et poursuit en ces termes : "Mais il y aurait, et cela au point de vue mystique, beaucoup à dire sur ces [76] questions. Nous citerons, à ce propos, le passage suivant, de Tobie, XII, 7 : Il est bon de garder le secret d'un roi, afin que la doctrine de la descente des âmes dans des corps (je ne veux pas dire le passage d'un corps à un autre) ne soit pas livrée aux esprits vulgaires, ni les choses saintes données aux chiens, ni les perles jetées devant les pourceaux. Procéder de la sorte serait impie, ce serait trahir les mystérieuses déclarations de la sagesse Divine… Il suffit cependant de représenter, dans le style d'un récit historique, ce qui est destiné à offrir, sous le voile de l'histoire, un sens secret, afin que ceux qui en sont capables parviennent eux-mêmes à s'assimiler tout ce qui a trait à la question 132." Origène interprète ensuite d'une manière plus complète, l'histoire de la Tour de Babel. "En second lieu", dit-il, "que tous ceux qui le peuvent comprennent que, dans les récits donnés sous la forme historique et qui contiennent certaines choses littéralement vraies tout en présentant un sens plus profond 133…"

132 Origène contre Celse, ch. XXIX.
133 Ibid., ch. XXXI.

Après s'être efforcé de montrer que le "Seigneur" était plus puissant que les autres Esprits directeurs des différentes régions terrestres, et qu'Il avait envoyé Son peuple au dehors expier ses fautes sous la domination des autres puissances, pour le faire revenir ensuite, avec toutes les nations moins favorisées qui s'y prêtèrent. Origène termine par ces mots : "Comme nous l'avons déjà fait observer, il faut comprendre que nous avons parlé à mots couverts, afin de mettre [77] en lumière les erreurs de ceux qui affirment 134…" comme le faisait Celse.
Plus loin, Origène constate que "l'objet du Christianisme est de nous faire acquérir la sagesse", puis il lui dit : "Si maintenant vous prenez les livres écrits après l'époque de Jésus-Christ, vous verrez que ces multitudes de croyants qui écoutent les paraboles sont, pour ainsi dire, au dehors ; ils ne sont dignes que des doctrines exotériques ; les disciples, au contraire, reçoivent en particulier l'explication des paraboles. En effet, Jésus dévoila tout, en secret, à Ses propres disciples, mettant au-dessus du vulgaire ceux qui désiraient connaitre Sa sagesse. Il promit d'ailleurs à ceux qui croient en Lui de leur envoyer des hommes sages et des scribes… Paul, de son côté, dans son énumération des charismata que Dieu accorde à l'homme, met en première ligne la Parole de la Sagesse, en seconde ligne, comme lui étant inférieure, la Science, en troisième ligne, enfin, et plus bas, la Foi. Et, parce qu'il regardait la Parole comme supérieure au don des miracles, il place le don des miracles et des guérisons au-dessous des dons de la Parole 135."
Assurément l'Évangile est une aide pour les ignorants, "néanmoins l'éducation, l'étude des meilleurs auteurs et la sagesse sont, non pas un obstacle, mais bien un secours pour l'homme qui désire connaitre Dieu 136". Quant aux inintelligents, "je m'efforce, eux aussi, de les former de mon mieux, malgré mon [78] désir de ne pas faire entrer dans la communauté Chrétienne d'éléments semblables. Car je recherche de préférence les esprits plus cultivés et plus capables, parce qu'ils sont à même de saisir le sens des paroles obscures 137".
Nous trouvons ici, clairement énoncées, les anciennes idées Chrétiennes ; elles sont identiques avec les considérations présentées dans le premier chapitre de cet ouvrage. Le Christianisme est ouvert aux ignorants, mais il ne leur est pas exclusivement réservé ; pour les esprits "cultivés et capables", il y a des enseignements profonds.
C'est pour eux qu'Origène s'efforce de démontrer que les Écritures Judaïques et Chrétiennes présentent un sens caché sous le voile de récits dont le sens extérieur est choquant et absurde. Il fait ici allusion au serpent et à l'arbre de vie et aux "récits suivants dont la seule lecture pourrait suffire à faire comprendre à un lecteur candide que toutes ces choses avaient, à juste titre, un sens allégorique 138".

134 Ibid. ch. XXXII.
135 Origène contre Celse, ch. XLVI.
136 Origène contre Celse, ch. XLVII-LIV.
137 Ibid., ch LXXIV.

De nombreux chapitres sont consacrés à ces significations allégoriques et mystiques, cachées dans les paroles de l'Ancien et du Nouveau Testament ; Origène allègue que Moïse, suivant l'habitude des Égyptiens, donnait à ses histoires un sens occulte 139. "Le lecteur veut-il envisager ces récits sans parti pris…", telle est, en résumé, la méthode d'interprétation adoptée par Origène ; "tient-il, d'autre part, à ne [79] pas être induit en erreur, il exercera son jugement pour déterminer les récits qu'il admettra, ceux qu'il prendra au figuré, cherchant à découvrir ce qu'ont voulu dire les auteurs d'inventions semblables, ceux enfin auxquels il refusera de croire, parce qu'ils ont été écrits pour satisfaire certaines personnes. Or, nous disons cela, par anticipation, de tous les écrits renfermés dans les Évangiles concernant Jésus 140."
Les exemples d'interprétation mystique de récits Bibliques remplissent une bonne partie du Livre Quatrième ; toute personne désireuse d'étudier cette question pourra le lire en entier.
Dans le De Principiis, Origène nous dit que, suivant la doctrine de l'Église, "les Écritures ont pour auteur l'Esprit de Dieu et qu'elles offrent un sens déterminé, non seulement celui qui se découvre à première vue, mais encore un autre qui échappe à la plupart des lecteurs. Car ces (mots) écrits sont les formes de certains Mystères et les images de choses divines. Á cet égard l'Église est unanime à penser que, dans son ensemble, la loi est vraiment spirituelle, que cependant le sens spirituel de la loi n'est pas connu de tous, mais seulement de ceux qui ont reçu l'Esprit-Saint dans la parole de sagesse et de science 141". – Le lecteur qui se rappelle les citations précédentes reconnaitra dans "la parole de sagesse" et "la parole de science" les deux grands enseignements mystiques, spirituel et intellectuel. [80]

138 Origène contre Celse, 1. IV ch. XXXIX.
139 Vol. X, Ibid., 1. I, c. XVII et autres.
140 Ibid., ch. XLII.
141 Vol. X, De Principiis. Préface, p. 8.

Dans le quatrième livre du De Principiis, Origène explique longuement comment il comprend l'interprétation des Écritures. Elles ont un "corps", c'est-à-dire "le sens ordinaire et historique", une "âme", sens figuré qui peut être intellectuellement saisi, enfin un "esprit", sens intérieur et divin que peuvent seuls connaitre ceux qui possèdent "l'intelligence de Christ". Origène estime que les éléments hétérogènes et impossibles introduits dans l'histoire ont pour objet d'exciter le lecteur intelligent et de l'obliger à chercher une explication plus profonde. Quant aux lecteurs simples, ils lisent sans s'apercevoir des difficultés 142.
Le Cardinal Newman, dans Arians of the Fourth Century (les Ariens du Quatrième Siècle), fait quelques remarques intéressantes au sujet de la Disciplina Arcani, mais, avec le scepticisme invétéré du dix-neuvième siècle, ne parvient pas à croire complètement aux "richesses de la gloire du Mystère", ou, sans doute, n'a pas un seul instant jugé possible l'existence d'aussi merveilleuses réalités. Il croyait pourtant à Jésus, à Jésus dont la promesse est claire et catégorique : Je ne vous laisserai point orphelins ; je viendrai à vous. Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez ; parce que je vis, vous aussi vous vivrez. En ce jour-là, vous connaitrez que Je suis en mon Père et que vous êtes en Moi et que Je suis en vous 143. Cette promesse fut largement tenue, [81] car Il vint vers Ses disciples et les instruisit dans Ses Mystères ; ils Le virent alors, bien que le monde ne Le vit plus, et ils surent que le Christ était en eux et que leur vie était celle du Christ.
Le Cardinal Newman admet l'existence d'une tradition secrète remontant aux Apôtres, mais suppose qu'elle consistait en doctrines Chrétiennes divulguées plus tard ; il oublie que les hommes déclarés encore incapables de recevoir cet enseignement n'étaient pas des païens, ni même des catéchumènes encore incomplètement instruits, mais des membres de l'Église Chrétienne admis aux sacrements. Il estime que cette tradition secrète fut plus tard "volontairement répandue au dehors, qu'elle se perpétua sous des formes symboliques" et fut incorporée "dans les crédos des premiers Conciles 144". Mais cette thèse est insoutenable, car les doctrines des crédos se trouvent clairement énoncées dans les Évangiles et dans les Épitres, ayant toutes été antérieurement divulguées ; ces doctrines, enfin, les membres de l'Église les possédaient certainement à fond. Ainsi expliquées, les affirmations maintes fois répétées qu'il y avait un enseignement secret n'ont plus aucun sens. Le Cardinal ajoute, par contre, que "tout ce qui n'a pas ainsi reçu un caractère d'authenticité, soit prophéties, soit commentaires sur les dispensations obtenues dans le passé, se trouve, de fait, perdu pour l'Église 145". Au point de vue de l'Église, c'est très probablement, certainement même exact, mais il n'en est pas moins possible de retrouver la doctrine perdue. [82]

142 De Principiis, ch. I.
143 S. Jean, XIV, 18-20.
144 Loc. cit., ch. I, sec. III, p. 55.

Le Cardinal s'exprime en ces termes, au sujet d'Irénée, qui, dans son ouvrage Contre les Hérésies, insiste beaucoup sur l'existence, dans l'Église, d'une Tradition Apostolique :
"Il parle ensuite de la puissance et de la clarté des traditions conservées dans l'Église, ces traditions qui contiennent la véritable sagesse des parfaits mentionnée par saint Paul et que les Gnostiques ont la prétention de posséder. Il n'existe pas de preuves péremptoires de l'existence et de l'autorité, dans les temps primitifs, d'une Tradition apostolique, mais il est bien certain qu'une tradition semblable a dû exister, en admettant que les Apôtres causassent et que leurs amis eussent, tout comme d'autres, de la mémoire. Il est impossible de croire qu'ils n'aient pas été amenés à disposer la série des doctrines révélées, plus systématiquement que dans leurs Écrits, dès le moment où leurs convertis se virent exposés aux attaques et aux appréciations erronées des hérétiques, à moins qu'il ne leur ait pas été permis de le faire ; mais cette supposition est à écarter. Les déclarations Apostoliques ainsi motivées auraient, tout naturellement, été conservées, ainsi que ces autres vérités secrètes moins importantes auxquelles saint Paul semble faire allusion et dont les auteurs les plus anciens reconnaissent plus ou moins l'existence, vérités relatives tant aux types de l'Église Juive qu'aux perspectives d'avenir de l'Église Chrétienne. De semblables souvenirs des enseignements apostoliques auraient évidemment été des articles de foi pour les fidèles auxquels ils étaient communiqués : à moins de supposer que, venant d'instructeurs inspirés, ils [83] n'eussent cependant pas une origine divine 146." Dans la section de son ouvrage relative à la méthode "allégorisante" le Cardinal dit encore, trouvant dans le sacrifice d'Isaac et ailleurs "le type de la révélation du Nouveau Testament" : "Pour corroborer cette observation, je ferai observer qu'il semble avoir existé 147 dans l'Église une interprétation traditionnelle de ces types historiques, interprétation remontant aux Apôtres, mais reléguée parmi les doctrines secrètes, comme étant dangereuse pour la majorité des auditeurs. Á coup sûr, saint Paul, dans l'Épitre aux Hébreux, nous donne un exemple d'une tradition semblable et nous montre à la fois son existence et son caractère secret (malgré son origine Juive bien caractérisée), lorsque, après avoir interrompu ses explications et mis en doute la foi de ses frères, il leur communique, non sans hésitation, le sens évangélique du récit concernant Melchisédech, tel qu'il est donné dans le livre de la Genèse 148."
Les convulsions sociales et politiques qui marquèrent la fin de l'Empire Romain commençaient à torturer son vaste organisme ; les Chrétiens eux-mêmes se trouvèrent attirés dans la mêlée orageuse des intérêts personnels. Nous trouvons encore mentionnées çà et là certaines connaissances spéciales communiquées aux chefs et aux instructeurs de l'Église, ainsi la connaissance des hiérarchies célestes, des enseignements donnés par les Anges, et d'autres [84] encore. Mais le manque d'élèves qualifiés amena la disparition des Mystères, ils cessèrent d'être une institution dont l'existence était connue de tous, et les enseignements furent communiqués, de plus en plus secrètement, aux âmes de plus en plus rares qui, par leur savoir, leur pureté, leur dévotion, se montraient capables de les recevoir. Il n'y eut plus, désormais, d'écoles enseignant les premiers éléments, et, avec leur disparition, "la porte se ferma".

145 Loc. cit., ch. I, sec. III, pp. 55-56.
146 Loc. cit., pp. 54, 55.
147 "Semble avoir existé" est une expression plutôt faible – étant données les affirmations de Clément et d'Origène – affirmations dont nous avons cité plus haut quelques exemples.
148 Loc. cit., p. 62.

Il est cependant possible de retrouver dans la Chrétienté deux courants ayant pris leur source dans les Mystères disparus : l'un est le courant de la science mystique ; il descend de la Sagesse, de la Gnose, communiquée dans les Mystères ; l'autre est le courant de la contemplation mystique, issu, lui aussi, de la Gnose ; il mène à l'extase et à la vision spirituelle ; mais cette vision, sans l'aide de la science, atteignit rarement la véritable extase, ou bien elle se perdit dans une foule changeante de formes subtiles hyperphysiques, visibles sous une apparence objective par la vision intérieure ; amenée prématurément par le jeûne, les veilles et des efforts d'attention soutenus, elle naquit, le plus souvent, des pensées et des émotions du visionnaire. Alors même que les formes aperçues n'étaient pas des pensées extériorisées, elles étaient vues à travers une atmosphère déformante d'idées et de croyances préconçues et, par ce fait, perdaient une grande partie de leur valeur. Certaines visions furent cependant bien des visions de choses célestes. Jésus apparut véritablement de temps à autre à Ses adorateurs fervents ; des anges illuminèrent [85] parfois de leur présence la cellule du moine et de la religieuse, la solitude de l'extatique et du chercheur, à l'esprit tendu vers Dieu. Nier la possibilité d'expériences semblables serait saper, dans leurs fondations mêmes, les réalités auxquelles les hommes de toute religion ont le plus surement attaché leur foi et que connait tout Occultiste, la communication entre les Esprits voilés de chair et les Esprits couverts d'enveloppes plus subtiles, le contact entre les intelligences malgré les barrières physiques, l'épanouissement, en l'homme, de la Divinité, la certitude d'une vie au-delà des portes de la mort.
Jamais, au cours des siècles qui le séparent de son origine, le Christianisme n'a été entièrement privé de Mystères. "C'est probablement vers la fin du cinquième siècle, au moment où la philosophie ancienne se mourait dans les Écoles d'Athènes, que la philosophie spéculative du Néoplatonisme prit pied définitivement dans la pensée Chrétienne, grâce aux supercheries littéraires du "Pseudo-Denys". Les doctrines du Christianisme étaient déjà si fermement établies que l'Église pouvait le voir, sans inquiétude, interpréter d'une manière symbolique et mystique. Aussi l'auteur de la Theologia Mystica et d'autres ouvrages attribués à l'Aréopagite, fait-il des doctrines de Proclus, sans y apporter grand changement, un système de Christianisme ésotérique. Dieu est l'Unité, innommée, supra-essentielle, supérieure à la Bonté même. C'est donc la théologie négative qui, s'élevant de la créature jusqu'à Dieu, en écartant, l'un après l'autre, tout attribut déterminé, nous amène le plus près de la vérité. Le retour à Dieu est la consommation [86] suprême et le but indiqué par l'enseignement Chrétien. Ces mêmes doctrines furent prêchées, mais avec une ferveur plus ecclésiastique, par Maxime le Confesseur (580-622).
Maxime représente à peu près la dernière activité spéculative de l'Église Grecque, mais l'influence des ouvrages du "Pseudo-Denys" fut transmise à l'Occident, au neuvième siècle, par Érigène, dont le génie spéculatif a donné naissance à la scolastique comme au mysticisme du moyen âge. Érigène traduisit en latin l'oeuvre de Denys ainsi que les commentaires de Maxime ; son propre système est, au fond, basé sur les leurs. Érigène adopte la théologie négative ; il déclare que Dieu est un Être sans attributs et qu'il peut par conséquent, non sans raison, être appelé Rien (Aucune Chose ?). De ce Rien ou essence incompréhensible est éternellement créé le monde des idées ou des causes primordiales. C'est là le Verbe ou Fils de Dieu. En Lui existent toutes choses, si, du moins, elles ont une existence réelle. Toute existence est une théophanie. Dieu, comme Il est le commencement de toutes choses, en est aussi la fin. Érigène enseigne le retour à Dieu de toutes choses, sous la forme de l'adunatio ou deificatio de Denys. Tels sont les caractères permanents de ce qu'on peut appeler la philosophie du Mysticisme de notre ère ; le peu de changements avec lequel on les retrouve de siècle en siècle est remarquable 149."

149 Article "Mysticisme", Encycl. Brit.

Au onzième siècle, Bernard de Clairvaux (1091-1153) et Hugues de Saint-Victor continuent la tradition [87] mystique, ainsi que Richard de Saint-Victor au siècle suivant et, au treizième siècle, saint Bonaventure, le Docteur Séraphique et le grand saint Thomas d'Aquin (1227-1274). Thomas d'Aquin domine l'Europe du moyen âge, autant par la force de son caractère que par son savoir et sa piété. Il voit dans la "Révélation" une première source de nos connaissances qui se répand dans deux canaux, l'Écriture et la tradition ; l'influence du "Pseudo-Denys", évidente dans ses oeuvres, le rattache aux Néoplatoniciens. La deuxième source est la Raison, dont les déversoirs sont la philosophie Platonicienne et les méthodes d'Aristote. Le Christianisme n'eut pas à se féliciter de cette dernière alliance, car Aristote devint un obstacle pour les progrès de la pensée supérieure ; les luttes qu'eut à soutenir Giordano Bruno, le Pythagoricien, devaient en être la preuve. Thomas d'Aquin fut canonisé en 1323, et le grand Dominicain reste le type de cette alliance entre la théologie et la philosophie, à laquelle il a consacré sa vie.
Ces hommes appartiennent à la grande Église de l'Europe Occidentale ; ils justifient sa prétention d'avoir reçu en dépôt la torche sainte de la science mystique. Autour d'elle s'élevèrent des sectes nombreuses, jugées hérétiques, mais possédant des traditions exactes de l'enseignement occulte ; tels sont les Cathares et bien d'autres encore, persécutés par une Église jalouse de son autorité et craignant de voir les perles saintes tomber entre des mains profanes. Le quatorzième siècle voit encore, en sainte Elizabeth de Hongrie, rayonner la douceur et la pureté, tandis qu'Eckhart (1261-1329) se montre [88] un digne héritier des Écoles d' Alexandrie. Eckhart enseignait que "le Dieu suprême est l'essence absolue (Wesen) impossible à connaitre, non seulement pour l'homme, mais encore pour Lui-même. Il est l'obscurité, la privation absolue de tout attribut déterminé, le Nicht opposé à l'Ichf ou à l'existence définie et compréhensible. Et cependant Il renferme potentiellement toutes choses ; Sa nature est de parvenir, par un processus triadique, à la conscience de Lui-même, Dieu à la fois triple et unique. La création n'est pas un acte temporel, mais une éternelle nécessité de la nature divine. Je suis aussi nécessaire à Dieu, aimait à dire Eckhart, que Dieu m'est nécessaire. Dans ma connaissance et dans mon amour, Dieu Se connait et S'aime Lui-même 150".
À Eckhart succédèrent, au quatorzième siècle, Jean Tauler et Nicolas de Bâle, "l'Ami de Dieu, dans l'Oberland" ; ils donnèrent naissance à la Société des Amis de Dieu, véritables mystiques, continuateurs de la tradition ancienne. Mead fait observer que Thomas d'Aquin, Tauler et Eckhart succédèrent au "Pseudo-Denys", celui-ci à Plotin, Jamblique et Proclus, ces derniers enfin à Platon et Pythagore 151. Tel est le lien qui unit à travers les âges les fidèles de la Sagesse. Un "Ami" fut sans doute l'auteur de Die Deutsche Theologie ; cet ouvrage de dévotion mystique eut la fortune étrange d'être approuvé par Staupitz, le Vicaire Général des Augustins, qui le recommanda à Luther ; celui-ci l'approuva lui-même [89] et le publia en 1516, comme étant un livre à placer immédiatement après la Bible et les écrits de saint Augustin d'Hippone. Un "Ami" encore, Ruysbroeck, dont l'action, jointe à celle de Groot, donna naissance à l'ordre des Frères du Sort commun ou de la Vie Commune, Société à jamais mémorable puisqu'elle a compté parmi ses membres ce prince des mystiques, Thomas A. Kempis (1380-1471), l'auteur de l'immortelle Imitation de Jésus-Christ.

150 Article "Mysticisme", Encycl. Brit.
151 Orpheus, pp. 53, 54.

Dans les deux siècles suivants, le côté purement intellectuel du mysticisme est plus marqué que le côté extatique, qui domine si fortement dans ces sociétés du quatorzième siècle. Nous trouvons à cette époque le Cardinal Nicolas de Cuse, Giordano Bruno, le chevalier-martyr de la philosophie, et Paracelse, le savant si souvent calomnié qui puisa directement ses connaissances à la source-mère, en Orient, et non pas à ses canaux Helléniques.
Le seizième siècle vit naitre Jacob Böhme (1575-1614), "le savetier inspiré", un Initié traversant, en vérité, une période obscure, cruellement persécuté par des hommes ignorants.
À cette époque aussi parurent sainte Thérèse, la mystique Espagnole qui eut à subir tant d'oppressions et de souffrances ; saint Jean de la Croix, flamme ardente de profonde dévotion ; enfin, saint François de Sales. Sage fut l'Église Romaine en les canonisant, plus sage que la Réforme, qui persécuta Böhme. Mais l'esprit de la Réforme a toujours été profondément antimystique, et partout où son souffle a passé, les fleurs exquises du mysticisme se sont flétries, comme au souffle du siroco. [90]
Rome, après avoir cruellement tourmenté Thérèse, l'avait canonisée après sa mort ! Mais elle méconnut Mme Guyon (1648-1717), une véritable mystique. Au dix-septième siècle, Miguel de Molinos (1627-1696), digne émule de saint Jean de la Croix, montra la dévotion exaltée d'un mystique, sous une forme particulièrement passive : le Quiétisme.
Au dix-septième siècle, encore, parut l'école des Platoniciens de Cambridge, dont Henry More (1614-1687) fut un représentant remarquable. Alors aussi vécurent Thomas Vaughan et Robert Fludd, le Rose-Croix, et se forma la Philadelphian Society. William Law (1686-1761), dont la carrière active appartint au dix-huitième siècle, a pu connaitre Saint-Martin (1748-1803). Les ouvrages de ce dernier auteur ont exercé leur fascination sur bien des chercheurs du dix-neuvième siècle 152.
N'oublions pas Christian Rosenkreutz (mort vers 1484), dont la Société mystique de la Rose-Croix, formée en 1514, posséda la connaissance vraie et dont l'esprit se retrouve dans "le Comte de Saint-Germain", ce personnage mystérieux qui apparait et disparait dans l'ombre, sous les éclairs livides du dix-huitième siècle expirant. Il faut aussi compter parmi les mystiques certains Quakers, cette secte des "Amis", tant persécutés, qui demandent l'illumination à la Lumière Intérieure et dont l'oreille est tendue sans cesse vers la Voix du Dedans. Il y eut bien d'autres mystiques encore, "dont le monde n'était pas digne", [91] comme cette vraiment charmante et sage Mère Juliane de Norwich, qui vécut au quatorzième siècle. C'étaient là des Chrétiens d'élite, trop peu connus, mais qui justifiaient le Christianisme dans le monde.

152 Nous devons ces détails à l'article "Mysticisme", dans l'Encyclopcedia Britannica, bien que cette publication ne soit aucunement responsable des opinions exprimées.

Nous saluons, avec respect, ces Enfants de Lumière qui émergent, çà et là, au cours des siècles, mais, il faut bien le reconnaitre, ils ne possédaient pas cette union étroite d'intelligence pénétrante et d'ardente dévotion, que donnait l'entrainement des Mystères ; nous sommes étonnés par leurs sublimes envolées, mais nous ne pouvons que regretter que leurs dons si rares n'aient pas été développés sous cette magnifique disciplina arcani.
Alphonse Louis Constant, mieux connu sous son pseudonyme, Éliphas Lévi, s'est exprimé en termes assez justes, au sujet de la disparition des Mystères et la nécessité de les rétablir. "Un grand malheur", dit-il en substance, "est arrivé au Christianisme. En trahissant les Mystères, les faux Gnostiques (par les Gnostiques, j'entends ceux qui savaient, furent les Initiés du Christianisme primitif) amenèrent l'Église à rejeter la Gnose et l'éloignèrent des vérités suprêmes de la Kabbale qui contiennent tous les secrets de la théologie transcendante… Que la science absolue, que la raison la plus haute redeviennent le patrimoine des conducteurs du peuple ; que l'art sacerdotal et l'art royal saisissent le double sceptre des initiations antiques, et une fois encore le monde social émergera du chaos. Cessez de bruler les saintes images, car il faut aux hommes des temples et des images ; mais chassez les mercenaires de la maison de prière. Que les aveugles cessent de conduire les aveugles. Reconstituez [92] la hiérarchie de l'intelligence et de la sainteté. Reconnaissez enfin ceux qui savent comme maitres de ceux qui croient 153."
Les Églises reprendront-elles, de nos jours, l'enseignement mystique, les Mystères Mineurs ; prépareront-elles ainsi leurs enfants pour le rétablissement des Grands Mystères ; appelleront-elles de nouveau sur la terre des Instructeurs angéliques, ayant pour Hiérophante le Maitre Divin, Jésus ? – De cette question dépend l'avenir du Christianisme.
153 Les Mystères de la magie. Trad. par A.-E. Waite, pp. 58 et 60.
La citation est tirée, ainsi que celle de la p. 162 du présent volume, de l'ouvrage de A.-E. Waite qui est plutôt une adaptation qu'une traduction de l'oeuvre d'E. Lévi (NDT).

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