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LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LES MAITRES - Par Annie BESANT - 1912

L'HOMME PARFAIT L'HOMME PARFAIT EST UN CHAINON DE L'ÉVOLUTION

L'HOMME PARFAIT


L'HOMME PARFAIT EST UN CHAINON DE L'ÉVOLUTION


Il y a dans l'évolution humaine un degré qui précède immédiatement le but où tend l'effort humain, et, ce degré franchi, l'homme en tant que tel est au bout de sa tâche. Il est devenu parfait, sa carrière humaine est achevée.
Les grandes religions donnent des noms divers à cet Homme parfait, mais quel que soit le nom, l'idée reste la même ; qu'Il soit Mithra, Osiris, Krishna, Bouddha ou Christ, toujours Il symbolise l'homme devenu parfait. Il n'appartient pas à une religion seulement, Il ne fait point partie d'une nation seule, d'une [10] famille humaine unique ; Il n'est point emprisonné dans les formes d'une foi particulière. Partout c'est Lui le plus noble, le suprême idéal. Toutes les religions Le proclament, en Lui est leur raison d'être à toutes. Il est l'Idéal auquel aspire toute foi et une religion ne remplit efficacement sa mission qu'en raison de l'intensité de la lumière qu'elle projette, de la précision des enseignements qu'elle formule sur la voie qui conduit vers Lui.
Le nom de Christ qui désigne l'Homme parfait par toute la chrétienté est le nom d'un état bien plus que celui d'un homme. "Le Christ en vous, c'est l'espoir du triomphe", telle est la pensée de l'instructeur chrétien. Au cours de leur longue évolution, les hommes parviennent à l'état de Christ, car tous doivent accomplir en leur temps le pèlerinage séculaire et Celui qui est connu sous ce nom en Occident est l'un des "Fils de Dieu" qui ont atteint le but final de l'humanité. Ce nom a toujours comporté un attribut : l'Oint du Seigneur, qui indique un état, et cet état chacun doit l'atteindre. Il est dit : "Regarde au dedans de toi, tu es Bouddha" et "Jusqu'à ce que Christ soit né en vous".
De même qu'un musicien qui aspire à devenir artiste doit écouter les chefs-d'oeuvre de son art [11] et se plonger dans les flots d'harmonie créés par le génie, de même nous devons nous, enfants des hommes, élever nos regards et nos coeurs en une contemplation sans cesse renouvelée vers les cimes où se tiennent les Hommes parfaits de notre race. Ils furent ce que nous sommes, nous deviendrons ce qu'Ils sont. Tous les fils des hommes peuvent réaliser ce qu'a accompli le Fils de l'Homme et l'existence des Maitres est le gage de notre propre triomphe ; le développement en nous du degré de divinité semblable au leur n'est qu'une question d'évolution.

 

LA LOI INTÉRIEURE ET LA LOI EXTÉRIEURE


J'ai quelquefois divisé l'évolution intérieure en trois périodes : la première, sub-morale ; la seconde, morale ; la troisième, supra-morale. Au premier stade, l'homme ne distingue pas le bien du mal et obéit à ses désirs sans hésitation et sans scrupule ; parvenu au stade moral, l'homme reconnait le bien et le mal d'une manière de plus en plus définie et précise et s'efforce d'obéir à la loi ; enfin, au stade supra-moral, la loi extérieure est transmuée en sa [12] forme supérieure, parce que le principe divin de l'homme commande à ses véhicules. Dans la période de moralité, nous voyons en la loi une barrière légitime, une restriction salutaire opposée à nos appétits. La loi dit : fais ceci, évite cela ; l'homme s'efforce d'obéir, de là une lutte constante entre sa nature inférieure et sa nature supérieure. Au stade supra-moral, la nature divine de l'homme trouve son expression naturelle sans le secours d'un guide extérieur ; l'homme aime, non parce qu'il doit aimer, mais parce que lui-même est amour. "Il agit enfin", suivant la noble parole d'un Initié chrétien, "non en vertu d'une loi matérielle, mais par la puissance même d'une vie infinie manifestée en lui".
La moralité est transmuée en sa forme la plus haute quand toutes les facultés de l'homme se tournent d'elles-mêmes vers le Bien, comme l'aiguille aimantée se tourne vers le nord ; quand ce qu'il y a de divin en l'homme cherche sans cesse à réaliser le bien de tous. Il n'y a plus de lutte, car la victoire est gagnée ; le Christ n'atteint sa stature parfaite que lorsqu'il est devenu le Christ triomphant, maitre de la vie et de la mort. [13]


LA PREMIÈRE INITIATION


On parvient à ce stade de la vie du Christ, de la vie de Bouddha, par la première des grandes Initiations où l'Initié est appelé le "petit enfant" ou "le nouveau-né" parfois "le jeune enfant de trois ans". L'homme doit retrouver son état d'âme d'enfant qu'il a perdu ; il doit "devenir un petit enfant" pour "entrer dans le Royaume". En franchissant ce portail, il nait à la vie de Christ et, parcourant le "chemin de la Croix", il avance sur le sentier à travers les portes successives. Lorsqu'il parvient au bout, il est définitivement libéré des limitations et de l'esclavage de la vie ; il meurt au temps pour vivre dans l'éternité et prend conscience de lui-même en tant que vie plutôt qu'en tant que forme.
Sans nul doute, le christianisme primitif reconnaissait positivement que ce degré de l'évolution est accessible à chacun des chrétiens. L'ardent désir exprimé par saint Paul que le Christ pût naitre dans le coeur de ses disciples est un témoignage suffisant de ce fait sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à d'autres citations pour l'appuyer. Quand bien même ce [14] verset serait unique en son genre, il suffirait à montrer que l'idéal chrétien considérait cet état de Christ comme un état intérieur, marquant la période finale de l'évolution du croyant. Et il est bien qu'il en soit ainsi et que les chrétiens reconnaissent la réalité de ce fait au lieu de considérer la vie du disciple aboutissant à l'Homme Parfait comme une fleur exotique transplantée en Occident mais qui ne peut naitre que dans le lointain Orient. Cet idéal fait partie du véritable christianisme spirituel et la naissance du Christ en toute âme chrétienne est l'objet de l'enseignement chrétien. Le but même de la religion est de provoquer cette éclosion, et si cet enseignement mystique venait à disparaitre du christianisme, cette religion perdrait le pouvoir d'élever jusqu'à l'état divin ceux qui la pratiquent.
La première des grandes Initiations est la naissance de Christ, de Bouddha, dans la conscience humaine, la transmutation de la soi conscience, la suppression des limitations. Les étudiants savent que le stade de Christ comprend quatre degrés depuis celui de l'homme parfaitement bon jusqu'à celui du Maitre triomphant. On franchit chacun de ces degrés par une Initiation, et pendant ces divers stades de l'évolution la conscience doit s'élargir, croitre, [15] atteindre enfin son développement extrême dans les limites que lui impose le corps humain. Au premier degré, le changement consiste en l'éveil de la conscience dans le monde spirituel, dans ce monde où la conscience, cessant de s'identifier avec les formes passagères qui emprisonnent la vie, s'identifie avec cette vie même.
Cet éveil est caractérisé par une sensation d'expansion soudaine, d'élargissement de la vie au-delà des limites habituelles, par la découverte d'un Soi divin et puissant qui n'est pas forme, mais vie, joie et non douleur ; par le sentiment d'une paix merveilleuse qui dépasse tout ce qu'on peut rêver de plus beau. En même temps que disparaissent les limitations la vie augmente d'intensité, on dirait qu'elle se précipite de tous côtés, heureuse de ne plus rencontrer d'obstacle et donnant une si vivante impression de réalité que toute forme vivante semble morte, que toute lumière terrestre est ténèbres. Cette expansion est si merveilleuse qu'il semble à la conscience ne s'être jamais connue jusque-là, car tout ce qu'elle considérait comme conscience n'est qu'inconscience, comparé à ce torrent de vie. La soi-conscience, qui avait commencé à germer dans l'humanité-enfant, qui s'est développée, a grandi, s'élargissant toujours dans les limites de la forme, se [16] croyant séparée des autres, ayant toujours ce sentiment du "moi", parlant sans cesse du "mien", cette soi-conscience sent tout à coup que les "sois" sont "le Soi" et toutes les formes un bien commun. L'Initié voit que les limitations étaient nécessaires pour la construction d'un centre d'individualité où puisse se maintenir l'identité du Soi, et il sent en même temps que la forme n'est qu'un instrument dont il se sert, tandis que lui-même, la conscience vivante, est un avec tout ce qui vit. Il saisit le sens profond de cette formule si souvent répétée : "l'unité de l'humanité" et sent ce que signifie de vivre en tout ce qui vit et se meut et cette conscience est accompagnée d'une joie immense, de cette joie de vivre qui même dans ses plus pâles reflets terrestres est l'une des jouissances humaines les plus intenses. Non seulement l'unité est vue par l'intellect mais elle est ressentie, elle vient étancher cette soif d'union que connaissent tous ceux qui ont aimé ; c'est l'unité sentie du dedans et non vue du dehors, ce n'est pas une conception intellectuelle, c'est la vie même.
En de nombreuses pages de jadis, la naissance du Christ dans l'homme nous a été retracée, et toujours sous les mêmes traits ; mais combien les mots forgés pour l'univers des formes sont [17] impuissants à peindre le monde de la Vie !
Pourtant il faut que l'enfant se développe et devienne un homme parfait, et il y a beaucoup à faire, bien de la fatigue à affronter, bien des souffrances à endurer, bien des luttes à livrer, bien des obstacles à surmonter avant que le Christ, né dans la faiblesse de l'enfance, ne parvienne à la stature de l'Homme parfait. Devant lui, sur le sentier où il vient d'entrer, se dressent toutes ces épreuves. C'est d'abord la vie de labeur parmi les hommes, ses frères, ce sont le ridicule et le soupçon qu'il lui faudra affronter, le mépris qui accueillera le message qu'il apporte, l'angoisse de l'isolement, la souffrance, enfin, de la crucifixion et les ténèbres du tombeau.
Par un entrainement continuel, le disciple doit apprendre à s'assimiler la conscience des autres et à placer le centre de la sienne propre non dans la forme mais dans la vie afin de pouvoir se libérer de l' "hérésie de la séparativité" qui lui fait considérer les autres comme étant différents de lui-même. Il lui faut, par un travail de tous les jours, élargir sa conscience jusqu'à ce que l'état auquel elle était parvenue lors de sa première Initiation devienne son état normal. Dans ce but, il s'efforcera, dans sa vie quotidienne, d'identifier sa conscience avec la [18] conscience de ceux auxquels il a affaire journellement ; il tâchera de sentir comme eux, de penser comme eux, de se réjouir et de souffrir comme eux. Peu à peu, il lui faudra développer en lui-même une sympathie parfaite, une sympathie capable de vibrer en harmonie avec chacune des cordes de la lyre humaine. Graduellement, il devra apprendre à répondre comme si elle était sienne, à toute sensation éprouvée par un autre, si humble ou si élevé soit-il. Peu à peu, par un exercice constant, il lui faut s'identifier avec les autres dans les circonstances diverses de leurs existences variées. Il doit apprendre la leçon de la joie et celle des larmes, et ceci n'est possible que lorsqu'il a transmué son moi séparé, lorsqu'il ne demande plus quoi que ce soit pour lui-même mais comprend qu'il doit désormais trouver sa vie uniquement dans la Vie. L'objet de sa première lutte cruelle est de rejeter tout ce qui jusqu'alors a été pour lui vie, conscience, réalité, et de continuer sa route seul et dépouillé, ne s'identifiant plus avec aucune forme. Il doit apprendre la loi de la vie par le moyen de laquelle seulement la divinité intérieure peut se manifester, loi qui est l'antithèse de son passé. La loi de la forme est de prendre, celle de la vie est de donner. La vie grandit en se répandant dans la forme à flots [19] sans cesse renouvelés à la source inépuisable de vie située au coeur de l'univers ; plus la vie se répand, plus le torrent intérieur grossit. Tout d'abord il semble au nouveau Christ que sa vie l'abandonne, que ses mains restent vides après avoir répandu leurs dons sur un monde ingrat ; ce n'est qu'après le sacrifice définitif de la nature inférieure que vient l'expérience de la vie éternelle et que ce qui semblait la mort de l'être se trouve être la naissance à une vie plus intense.


LA SECONDE INITIATION


C'est ainsi que la conscience se développe jusqu'à ce que, ayant parcouru la première étape du sentier, le disciple voie devant lui le second portail de l'Initiation représenté symboliquement dans les Écritures chrétiennes par le Baptême du Christ. À ce moment, lorsqu'il plonge dans les flots de la douleur humaine, fleuve dont l'eau doit baptiser tout Sauveur de l'humanité, un nouveau torrent de vie divine se répand sur lui, il prend conscience de lui-même comme du Fils en qui la vie du Père trouve son expression parfaite. Il sent la vie de la Monade, son Père céleste, se répandre dans [20] sa conscience, et il sait alors qu'il ne fait qu'un, non-seulement avec les hommes mais encore avec son Père céleste et qu'il ne vit sur terre que pour être l'expression de la volonté du Père, sa manifestation tangible. Désormais sa mission envers l'humanité devient la réalité la plus évidente de son existence. Il est le Fils dont les hommes doivent écouter le message, parce que par lui la Vie cachée se répand, et il est devenu le canal à travers lequel cette Vie cachée peut atteindre le monde extérieur. Il est le prêtre du Mystère qui est Dieu, il a pénétré derrière le voile et revient la face illuminée d'une gloire éclatante, reflet de la lumière du Sanctuaire.
C'est alors que commence son oeuvre d'amour symbolisée dans son activité extérieure par l'empressement qu'il apporte à guérir, à soulager ; autour de lui se pressent les âmes avides de lumière et de vie, attirées par sa force intérieure et par la vie divine manifestée dans le Fils, représentant élu du Père. Les âmes affamées viennent à Lui, et Il leur donne du pain, d'autres, souffrant de la souffrance du péché, s'approchent et Il les guérit par sa parole vivante, les âmes aveuglées par l'ignorance réclament son secours, par Lui la radieuse sagesse se montre à leurs yeux. L'une des caractéristiques de la mission d'un Christ est que les [21] abandonnés et les pauvres, les désespérés et les déchus s'approchent de lui sans aucun sentiment de séparation. Ils se sentent accueillis et non repoussés, car son être irradie la bonté et l'amour qui comprend se dégage de sa personne. En vérité l'ignorant ne sait pas qu'il est un Christ en devenir, mais il sent en lui un pouvoir qui élève, une vie qui vivifie et dans son atmosphère il puise de nouvelles forces, une nouvelle espérance.


LA TROISIÈME INITIATION


Devant lui se dresse le troisième Portail qui donne accès à un nouveau stade de progrès et il jouit d'une brève période de paix, de gloire, d'illumination symbolisée dans les écrits chrétiens par la Transfiguration. C'est une halte dans sa vie, un instant de repos dans son oeuvre de service, une ascension vers la montagne où trône la paix des cieux. Et là, près de quelques-uns de ceux qui ont reconnu sa divinité en évolution, cette divinité brille pour un instant de tout l'éclat de sa beauté transcendante.
Durant cette trêve au milieu du combat, il voit l'avenir qui l'attend en une série de tableaux qui passent devant ses yeux ; il sent les [22] souffrances qu'il devra endurer, la solitude de Gethsémani, l'angoisse du Calvaire. Dorénavant son regard restera fermement dirigé vers Jérusalem, vers les ténèbres où il doit descendre pour l'amour de l'humanité. Il comprend qu'avant d'atteindre à la conscience parfaite de l'unité, il faut qu'il subisse la quintessence de l'isolement. Jusque-là, quoique conscient de la croissance de sa vie, il lui semblait que cette vie lui venait du dehors ; il lui faut à présent acquérir la conscience que le centre en est en lui-même. Dans la solitude de son coeur, il doit expérimenter la véritable unité du Père et du Fils, unité intérieure et non extérieure, et ensuite la perte même de la vue du Père ; et pour cela tout contact extérieur avec les hommes et avec Dieu même doit être rompu, afin que dans son propre Esprit il trouve l'Unité.


LA NUIT DE L'ÂME


À mesure qu'approche l'heure sombre il ressent de plus en plus douloureusement la faillite des sympathies humaines auxquelles il était accoutumé à se fier durant les dernières années de son ministère, et lorsqu'à l'heure critique, jetant les yeux autour de lui en quête de [23] réconfort, il voit ses amis plongés dans le sommeil de l'indifférence, il lui semble que tous les liens humains sont brisés, que tout amour humain n'est qu'ironie, toute foi humaine que trahison. Il est rejeté vers lui-même et apprend que seul subsiste le lien entre son Père céleste et lui et que toute aide matérielle est vaine. On nous dit qu'en cette heure d'isolement l'Âme est remplie d'amertume et que rarement elle traverse le vide de ce gouffre sans un cri d'angoisse. C'est alors qu'éclate ce reproche désespéré : Eh quoi, vous n'avez pu veiller une heure ?
Mais il n'est donné à nulle main humaine d'en presser une autre dans la désolation de Gethsémani.
Lorsque se dissipent les ténèbres de cette heure de solitude humaine, alors, en dépit du recul d'effroi de la nature à la vue du calice, s'approchent les ténèbres plus profondes de l'heure où un abime semble se creuser entre le Père et le Fils, entre la vie incarnée et la vie infinie. Le Père, que la conscience percevait encore à Gethsémani, quand sommeillaient tous les amis terrestres, est voilé durant la Passion sur la Croix. C'est là l'épreuve la plus cruelle pour l'Initié de perdre même la conscience de sa vie filiale et de voir l'heure du triomphe rêvé se changer en celle de la plus basse ignominie. [24] Il se voit entouré d'ennemis exultant et abandonné par ses amis, par ses fidèles ; il sent l'aide divine s'écrouler sous ses pieds, et il boit jusqu'à la lie ce calice de solitude et d'isolement sans qu'aucun contact divin ou humain ne vienne soutenir son âme défaillante suspendue au-dessus de l'abime. Alors s'échappe du plus profond de ce coeur qui se sent abandonné même par son Père ce cri : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ?"
Pourquoi cette dernière épreuve, cette illusion, la plus cruelle de toutes ? Illusion, en vérité, car le Christ mourant est en contact intime avec le coeur Divin. C'est afin que le Fils sache qu'il ne fait qu'un avec le Père qu'il cherche, qu'il reconnaisse Dieu non seulement au dedans de lui, mais comme étant son moi le plus intime. Ce n'est que lorsqu'il sait que l'éternel est lui-même, et que lui-même est l'éternel qu'il a définitivement triomphé de tout retour possible d'un sentiment de séparativité. Alors, mais alors seulement, il est parfaitement à même d'aider les hommes et de devenir une partie consciente de l'énergie qui élève la race. [25]


LA GLOIRE DANS LA PERFECTION


Le Christ triomphant, le Christ de la Résurrection et de l'Ascension a gouté l'amertume de la mort, a souffert toutes les douleurs humaines et s'est élevé au-dessus d'elles par la puissance de sa propre divinité. Qu'est-ce qui pourrait désormais troubler sa paix ou détourner sa main miséricordieuse qui se tend pour aider ? Durant son évolution, il a appris à recueillir en lui-même toutes les vibrations des peines humaines et à les renvoyer transformées en vibrations paisibles et joyeuses. Son oeuvre consistait donc à transmuer, dans ce qui était alors le cercle de son activité, des forces discordantes en forces harmonieuses. Maintenant il doit en faire autant pour le monde, pour-cette humanité dont il est la fleur épanouie. C'est ainsi que les Christs et leurs disciples chacun dans la mesure de son évolution, protègent et aident le monde ; et les luttes que l'humanité doit soutenir seraient bien plus âpres encore, les combats qu'il lui faut livrer infiniment plus désespérés sans la présence au milieu d'elle de ceux dont les mains soulèvent "le lourd Karma du monde". [26]
Ceux-là même qui en sont encore à la première étape du Sentier deviennent des forces évolutives, comme le sont d'ailleurs tous ceux qui travaillent pour les autres avec désintéressement, quoique les premiers le fassent plus consciemment et d'une manière plus continue.
Mais le Christ triomphant accomplit parfaitement ce que font d'autres à des degrés variés d'imperfection, voilà pourquoi on l'appelle un "Sauveur" et cette appellation le caractérise parfaitement. Il nous sauve, non en se substituant à nous, mais en nous faisant partager sa vie. Par sa sagesse, tous les hommes deviennent plus sages, car sa vie se répand à flots dans le sang et dans les moelles, dans le coeur de tous. Il n'est prisonnier d'aucune forme mais non plus étranger à aucune. Il est l'Homme idéal, l'Homme parfait, chaque homme est une cellule de son corps et chaque cellule participe à sa vie.
En vérité, il n'eût pas valu la peine de souffrir sur la Croix et de parcourir le Sentier qui y mène dans le seul but d'obtenir un peu plus tôt sa propre libération, de parvenir un peu plus vite au repos. C'eût été payer trop cher la victoire, si par son triomphe l'humanité tout entière ne se fût trouvée exaltée, si le sentier foulé par tous n'en eût été rendu plus court. [27] L'évolution de toute la race en est accélérée, le pèlerinage de chacun devient moins long. Telle est la pensée qui l'inspirait dans la violence du combat, qui soutenait ses forces et adoucissait l'angoisse des revers. Il n'est pas un être si faible, si dégradé, si ignorant ou si coupable fût-il, qui ne se trouve rapproché de la lumière par le fait qu'un Fils du Très-Haut a atteint le but. Combien sera accélérée l'évolution à mesure que ces Fils triomphants se dresseront de plus en plus nombreux pour entrer dans la vie éternelle et consciente. Comme elle tournera vite la roue qui élève l'homme vers la divinité à mesure que des hommes de plus en plus nombreux deviendront consciemment des Dieux.

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